Un immense comédien et cinéaste américain, mondialement connu et reconnu, un film original, réaliste et talentueux, un sujet qui est tout à l’honneur de la France… et pourtant des médias hostiles voire haineux. Décryptage.
Clint Eastwood, le 15h17 pour Paris. Le film est sorti en salles en France début février 2018. Il retrace l’attentat du mois d’août 2015 à bord du Thalys à destination de Paris. Ce 21 août, le terroriste islamiste Ayoub El Khazzani sort des toilettes de l’un des wagons, une kalachnikov à la main, un automatique dans la poche, et environ 300 munitions. Son objectif ? Faire le plus grand carnage possible, autrement dit massacrer les civils qui voyagent ce jour-là dans le train. Il est mis hors d’état de nuire par trois jeunes américains, amis d’enfance en villégiature en Europe, de Rome à Berlin en passant par Venise et Paris. Deux de ces trois jeunes américains originaires de Californie sont des Marines, l’un des deux revient juste d’Afghanistan. Ils s’appellent Anthony Sadler, Alek Skarlatos et Spencer Stone. 500 voyageurs leur doivent la vie.
Une des originalités du film de Clint Eastwood réside dans le fait que le rôle des trois héros, car ce sont de toute évidence des héros, est joué par les trois jeunes hommes eux-mêmes. Stone, Skarlatos et Spencer incarnent leurs propres rôles, c’est aussi le cas d’autres personnes ayant vécu les événements (passagers, intervenants médicaux…). Le film dure une heure trente, est convaincant, réussi, avec des aspects originaux sur le plan technique et scénaristique tout en demeurant dans son cadre, c’est-à-dire celui d’un récit biographique. Outre le parcours de ces trois Américains ayant sauvé nombre de vies, dont une majorité de Français, le film retrace un fait dont la France entière et ses médias devraient se faire une fierté. Et pourtant ?
De l’art de parler d’un film sans en parler
L’avocate du tueur s’inquiète de l’influence que ce film pourrait avoir sur l’instruction en cours et annonce envisager d’en demander l’interdiction. Le 8 février, pour saluer la sortie du film, Le Monde axe sa présentation sur la même idée et non sur le film en tant que tel. « Pourrait », un conditionnel dont ne s’embarrasse pas l’article du quotidien du soir : « Clint Eastwood a d’ores et déjà influé sur le cours de l’instruction ». Le film ne conterait pas le drame mais en fournirait une interprétation destinée à devenir la « réalité ». Autrement dit, ce film mettrait en danger les droits d’un accusé qui s’apprêtait à massacrer des centaines d’innocents au nom de valeurs qui semblent être l’exact opposé des valeurs de la démocratie.
Le quotidien reproche clairement au cinéaste de ne pas se soucier de la « vérité », étant comme fasciné par sa préoccupation première, celle de la « légende ». Extrait entier : « Sans souci, parce que la préoccupation première du cinéaste, ces derniers temps, ne le porte pas vers la recherche de la vérité, mais du côté de l’alchimie par laquelle celle-ci se mue en légende. Après les GI devenus personnages d’une icône patriotique (Mémoires de nos pères), le bon à rien texan exalté en tant que tireur d’élite (American Sniper), le pilote quasi sexagénaire forcé de devenir l’ange gardien de ses passagers (Sully), Eastwood prend pour sujets d’étude Spencer Stone, Alek Skarlatos et Anthony Sadler, trois amis qui se sont connus au collège à Sacramento (Californie), deux soldats et un étudiant, des garçons ordinaires ».
Plus loin : « Pas plus que, dans American Sniper, il ne s’intéressait à ce qui pouvait pousser des Irakiens à prendre les armes contre l’armée américaine, Eastwood ne se préoccupera de ce qui peut bien pousser un jeune Marocain à monter dans un train armé jusqu’aux dents. El-Khazzani (Ray Corasani) restera une silhouette mortifère ». Le Monde ne saisit pas pourquoi Clint Eastwood ne cherche pas à comprendre les motivations du tueur, ce qui fait qu’un musulman devient un terroriste islamiste, mais plutôt pourquoi de jeunes américains assez banals deviennent des héros, face justement à la violence du marocain en question. Cette incapacité à comprendre le fait que les héros soient ces héros-là, symbolise peut-être tout ce qui sépare la France de Paris et la France périphérique.
Les héros ne sont pas le bobo gendre idéal ?
La particularité fort intéressante du film, que des personnages soient joués par les personnes elles-mêmes, est réduite à la maladresse d’acteurs « non professionnels » dans tous les journaux, à croire qu’une fiche a circulé. Un film « impossible à sauver », Télérama, qui « assomme », Le Parisien, « Voyage au bout de l’ennui », pour La Croix qui, ainsi, ne masque pas son interprétation politique du film…
Au fond, ce qui ne plaît pas dans les salles de rédaction parisiennes ? Les héros sont de jeunes américains, deux blancs et un métis, banals, croyants, évangélistes en appelant à Dieu, priant, venant de l’Amérique moyenne ou pauvre, militaires, patriotes… Tout ce que les médias libéraux libertaires français détestent. Des individus qui devraient plutôt être des suprématistes blancs adeptes du KKK, du moins pour deux d’entre eux, dans le logiciel de la presse dominante française.
Le magazine RollingStone va plus loin encore que Le Monde dans la caricature du média libéral libertaire en écrivant que le « plus frustrant » est la présentation du terroriste comme « l’étranger tellement plus facile à rejeter ». On suppose que l’auteur de l’article ne se trouvait pas dans ce train. Devant ce film, les réactions des médias, en ne disant rien du film en tant qu’œuvre cinématographique, disent de fait beaucoup de l’état de l’esprit des milieux auxquels ils appartiennent.