Alors que sa popularité était au plus bas et qu’il se trouvait confronté au mécontentement des Français en gilet jaune, le président Macron aurait été l’objet d’une tentative avortée d’attentat venu de l’ultra droite. Le concept n’étant pas clair, une émission de France Inter l’étudiait le 12 novembre 2018.
L’émission intitulé Le Nouveau rendez-vous, animée et produite par Laurent Goumarre, est diffusée le lundi soir et prétend se porter « sur tous les fronts » de l’actualité culturelle, politique et sociale en deux heures. Outre Laurent Goumarre, dont certaines amitiés sont de notoriété publique, ainsi avec Christine Angot, l’équipe accueille Christophe Bourseiller comme éditorialiste.
Détails du menu, selon France Inter
Sur le site de la radio, l’émission « Ultra droite : épouvantail ou vrai danger ? », s’annonce ainsi :
Six personnes ont été interpellées mardi dernier pour un projet d’attentat contre Emmanuel Macron, 4 d’entre eux étaient sympathisants d’un groupe d’ultra droite. Il y a une branche politique encore plus à droite que l’extrême-droite : l’ultra droite, dont on n’entend rarement parler mais qui existe bel et bien. Quatre sympathisants d’un groupe proche de l’ultra-droite, qui avaient évoqué ce projet d’attaque contre le président de la République lors des commémorations du 11 Novembre ont été mis en examen, dès samedi. Arrêtés mardi dernier, ces militants âgés de 22 à 62 ans ont été mis en examen pour « association de malfaiteurs terroriste criminelle » et “détention d’armes non autorisée en relation avec une entreprise terroriste”.
Qui sont ces militants de l’ultra-droite ? Au-delà de leur cas personnel, que représentent en France ces mouvements extrémistes ultra ? Et dans le reste du monde, après les attaques de Pittsburgh et les manifestations en Allemagne, que représente cette « internationale de l’ultra-droite » anti-système, anti-migrant et antisémite assumé ? Représente-t-elle un réel danger pour la démocratie et comment lutter contre elle ?
Pour nous répondre ce soir :
- Jean-Yves Camus,politologue, chercheur associé à l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques (Iris) et directeur de l’Observatoire des Radicalités à la fondation Jean Jaurès.
- Alya Aglan, historienne, professeur à Paris 1 Panthéon-Sorbonne.
- Alexandre Devecchio, journaliste politique au Figarovox.
- Et Guillaume Bigot,essayiste, membre du Comité les Orwelliens et directeur général de l’IPAG Business School.
Le spectre de l’ultra droite plane-t-il sur la France et sur le président ?
Une affaire dite d’ultra droite avait déjà été mise en avant de la scène médiatique en janvier 2017, en Bourgogne, et il s’était avéré que c’était fort peu structuré, et difficilement définissable par le mot « droite » ou même « ultra », par contre très aisé à utiliser à l’approche des élections présidentielles. Comme en général à l’approche de toute élection. En ce mois de novembre 2018, de quoi s’agit-il, si l’on écoute France Inter ?
Présentation de Laurent Goumarre : « militants âgés entre 22 et 62 ans », arrêtés pour menaces en relations avec le terrorisme. Que représente cette ultra droite et surtout « comment lutter contre elle », Goumarre en donne immédiatement une définition : « antisystème, anti-migrants et antisémite assumé ». Définition qui pose immédiatement trois problèmes d’orientation politique :
→ en quoi le fait d’être anti-système et anti-migrants implique-t-il d’être classable à « l’ultra droite » ? Et que signifie « anti-migrants » ?
→ à quoi peut bien servir la présence du mot « antisémitisme », sinon à faire ce que les amis de Goumarre dénoncent pourtant sans cesse : un amalgame ?
→ l’expression « internationale de l’ultra droite » est prononcée aussi par Goumarre. Pourquoi ? Le groupe de personnes arrêtées participe-t-il réellement d’une organisation agissant à l’échelle internationale voire mondiale ?
La parole est en premier lieu à Christophe Bourseiller, pour sa chronique : « L’ultra droite n’existe pas ». Il distingue d’un côté les grands partis populistes qui arrivent au pouvoir, mettent en place des démocraties autoritaires, dit-il, mais respectent les élections et, d’un autre côté, les petits groupes fascistes « qui rêvent d’un coup de force ou de révolutions nationalistes pour instaurer leur ordre nouveau ». Ultra droite ? « Nous parlons ici en fait de noyaux activistes égaillés dans la nature. L’ultra droite est à l’extrême droite ce que les autonomes sont à l’extrême gauche, des éléments incontrôlés, adeptes du passage à l’acte ». Ils n’auraient pas de doctrine, un corpus de pensée très faible et simpliste type “il y a trop de migrants” et « Macron met en place le remplacement des Français par des étrangers ». Elle serait « largement composée de déçus du RN et du frontisme, jugeant que Marine Le Pen ne va pas assez loin ».
Le vrai danger, l’Islam radical
Pour Guillaume Bigot, l’ultra droite ne représente quasiment rien, ni politiquement ni en tant que menace. Pour Jean-Yves Camus, elle existe mais nous ne savons pas ce qu’elle représente. Les deux pensent que le danger est infiniment plus grand du côté de l’islam radical. Ce serait du terrorisme « low cost ». Bourseiller insiste : ils voulaient poignarder « à la façon des djihadistes ». Laurent Goumarre voudrait tout de même que la menace existe (cette partie de l’émission dure 45 minutes), il se tourne alors, plein d’espoir, vers Alya Aglan laquelle juge cependant que les militants de l’ultra droite n’ont rien inventé en envisageant de jouer du couteau : « c’est ce que font les communistes au métro Barbès en août 1941 ». C’est osé. Elle les trouve cependant dangereux car les structures sont « clandestines ». Ils seraient dans une « culture de guerre civile ». Camus n’est pas d’accord : « C’est peu clandestin. C’est du terrorisme de pieds nickelés ». Pourquoi ? Ils sont présents sur Facebook et publient même leurs coordonnées personnelles. Pour lui, ces dérives « terroristes du pauvre » sont le fait de rares déçus des groupuscules. Pour Devecchio, il y a l’extrême gauche, les blacks blocs, « soutenus par des sociologues médiatiques qui viennent sur les plateaux télé expliquer qu’il faut tuer du flic », l’islam radical, « qui tue », qui « veut ramener les femmes au moyen âge », mais l’ultra droite ? « Quelques pieds nickelés » et « un fantasme d’une partie de la gauche ». Il poursuit : « j’attends maintenant le moment où Macron va nous expliquer que les gilets jaunes sont en fait des chemises brunes, et la boucle sera bouclée ». Qui est visé ? Pour Camus, c’est « l’illégitimité du pouvoir, quel que soit le pouvoir ». Ici, « l’élu du suffrage universel est au fond une marionnette de pouvoirs plus puissants », le « complotisme » entre là en ligne de compte. Il y aurait « de véritables détenteurs du pouvoir », cachés, aux yeux de ces petits groupes isolés.
Ne pas tout mélanger
Suivent des extraits de médias au sujet des meurtres antisémites à Pittsburgh ainsi que des manifestations de Chemnitz. La question est celle de « l’internationale de l’ultra droite » et de la fracture supposée toujours présente en France de la Guerre d’Algérie. Aglan insiste sur la jeunesse, quelque chose de « romantique », « plus ultra », « plus nationaliste ». Camus indique qu’il s’agit de « refaire la guerre d’Algérie à l’envers, de lutter contre une colonisation à l’envers ». Bigot considère, quant à lui, que c’est avant tout une « expression très radicale qui monte ». À l’échelle internationale ? Il y aurait une adhésion encore forte « au nazisme » en Europe du Nord et en Afrique du Sud. Aux États-Unis, il y a une « tolérance pour toutes les opinions extrêmes, c’est une particularité de l’Amérique du Nord ». Camus intervient pour demander que tout ne soit pas mélangé et que « l’on soit précis au sujet du tueur de Pittsburgh qui incarne les églises identitaires ». Cercle d’idées suprémacistes évangéliques blancs américains, très peu important en nombre, qui pense que Ève aurait eu des enfants de la « semence de Satan », les Juifs, qui « seraient une sorte d’anti-humanité ». Très marginal, et souvent sectaire, rejeté par les Églises officielles. Du coup, le rapport avec l’ultra droite ?… Devecchio explique qu’il est gêné « qu’on fasse le lien entre ces individus isolés et les partis populistes ». Il est coupé par Bourseiller : « Pourtant ce sont les mêmes idées ». Dénégation de Devecchio et Camus, lesquels expliquent que les partis populistes sont démocrates et ne « prônent pas l’action violente ».
Révolte des élites contre le peuple
Camus explique qu’ultra signifie « ce qui est au-delà », et l’ultra droite est au-delà des partis populistes ou des groupuscules, ce sont « ceux qui ont dépassé ce qui existe, ceux qui sont à un point de non-retour ». Camus : « Ils sont au-delà de l’extrême droite » dont « les principaux groupuscules n’ont rien à voir avec cela ». Goumarre évoque alors des 80 ans de la Nuit de Cristal. Camus esquive à juste titre et préfère parler des Allemands considérant que l’État allemand serait « une imposture depuis 1945 ». Bigot explique que « l’ensemble de l’échiquier se déplace ». Il y aurait « une révolte des élites contre le peuple », une trentaine d’années où les élites se sont délestées du peuple, provoquant une colère radicale car il n’y a pas d’offre politique réunissant cette colère. Aglan s’inquiète de l’existence d’une « armée secrète de réserve », dans un réflexe d’autodéfense qui déborde l’autorité. Ils « prennent l’affaire en mains ».
Quelle conclusion peut on tirer de l’émisssion ? Les animateurs de la soirée, Laurent Goumarre au premier chef, cherchent à poser, mettre en valeur, voire inventer un danger grave selon eux, tandis que leurs invités… nient majoritairement et fermement l’existence de ce danger. Une sorte d’équilibre instable qui révèle surtout les inclinations du présentateur de la soirée.