Première diffusion le 21/01/2019
L’Instant M est une émission diffusée chaque matin de la semaine sur France Inter et présentée par Sonia Devillers. « 40 minutes d’actu médias » où tout est dans la façon de traiter les sujets. Après le premier épisode sur le conspirationnisme, notre épisode 2, décryptage de l’émission du 18 janvier.
Le 18 janvier 2019, L’Instant M s’intitule « Brexit : comment les médias britanniques prennent parti ». Un titre qui laisse entendre la venue d’une émission neutre, un panorama.
Au commencement était le Sun
Sonia Devillers commence l’émission en évoquant le cas du Sun. Il s’agit de s’interroger sur les analyses des médias britanniques, après le rejet du Brexit par la Chambre des Communes, et le même rejet de la motion de censure à l’encontre de Theresa May. Choisir le Sun comme point de départ n’est pas anodin : « Theresa May en dodo, oui en dodo, l’oiseau disparu, à la Une du Sun. Le tabloïd britannique pilonne la première ministre au lendemain de son échec cuisant au Parlement ».
La journaliste ne fait pas dans la dentelle sémantique, osant un pilonner à l’égard de Madame May qui pourrait prêter à confusion. C’est pour la bonne cause : « Le Sun qui avait fait campagne pour le brexit avec beaucoup d’agressivité, avec ses jeux de mots inoubliables pour le Live (jeu de mots en anglais entre live vivre et leave quitter, note de la rédaction), verbe qui signifie quitter en anglais. Probrexit ou europhiles, journaux, radios, télés, qui prône quoi ? ».
Puis vient le journaliste expert à l’accent so british
Pas de surprise, c’est le journaliste européiste anglais, devenu Français, supposément « journaliste anglais préféré des Français » (on se demande un peu quel français a été interrogé à ce sujet) qui s’y colle. Le Huffpost le présente ainsi : « qui fait des émissions de radio et de télévision sur l’Europe depuis 30 ans », sans s’apercevoir de ce que cela signifie en creux : toujours le même, plus précisément toujours le même européiste bruxellois, depuis un tiers de siècle, partout, de France 3 à France Inter en passant par Franceinfo, Arte, Euronew, LCP ‚France Musique, Europe 1, RFI ou TV5 Monde, le tout donnant de hauts gages d’indépendance sans aucun doute. C’est ainsi que sur TV 5 Monde, Alex Taylor, peu après le vote du brexit, se déclarait « en deuil à cause du brexit », et même « j’ai honte de mon pays, si c’est mon pays qui a donné le top départ de cette formidable chose qui s’appelle l’Union Européenne ». Taylor était invité en tant que journaliste, afin de commenter l’actualité.
Malgré ce genre de choix récurrents, d’aucuns continuent pourtant à trouver illégitime la critique des médias, en tant que système, et des individus journalistes formatés. Sur Franceinfo, en 2017, Taylor évoquait un « brexitanic qui poursuit son chemin vers l’iceberg », regrettant qu’il n’y ait « pas un Macron qui incarne l’espoir en Angleterre ». Un homme du monde version Bruxelles. Présentation de Sonia Devillers : « Homme qui a entamé sa démarche de naturalisation française à l’instant même où le brexit a été voté ». Comme il ne faut pas se gêner : « Je conseille à tous nos auditeurs de s’abonner à votre compte twitter, Alex, car c’est devenu une source très documentée sur le sujet ». On s’attend à une présentation du journaliste. On attend toujours, il n’y a pas de conception contradictoire en face des deux journalistes dont l’un est censé être l’invité mais où les deux protagonistes sont d’accord entre eux, petit monde de l’entre soi.
Que dit l’émission finalement ?
Retour sur la Une du Sun : « il y a une tradition de Unes choc ». En Grande-Bretagne, dit Taylor, il y a plus de titres, ils doivent se battre et donc attirer des lecteurs. D’où les Unes agressives. Sachant que, d’après le journaliste devenu Français, le Sun vend plus que toute la presse quotidienne française réunie. Sonia Devillers précis que le Sun appartient à Rupert Murdoch, « ce milliardaire australien, devenu américain, ultralibéral, républicain, qui n’a pas attendu pour être antieuropéen ». Précision : Murdoch possède aussi le Times, Skynews… Un Times plutôt partisan du maintien en Europe du Royaume-Uni.
La BBC, qui n’appartient pas à Murdoch, n’est pas en reste : d’après Taylor, « ses trois principales vedettes sont pour le brexit ». Les médias seraient clairement acteur du brexit : « Les journalistes ne sont pas objectifs », sur la BBC, d’après Taylor, encore moins que le Skynews de Murdoch. Et même, toujours Taylor : « La BBC a joué un rôle opaque dans la campagne du brexit ». On reste interloqué tant la BBC a milité globalement pour le maintien dans l’U.E.
Sonia Devillers demande ensuite à son invité de « parler de la presse de gauche ». Taylor s’exclame : « Quelle presse de gauche ! » en riant, ainsi que le fait son interlocutrice, sous-entendant qu’il n’y a pas de presse de gauche en Angleterre, plus précisément qu’il n’y aurait pas de presse assez à gauche pour être « de gauche », de leur point de vue… de gauche justement. . « Le problème pour le brexit, c’est que la vaste majorité des titres était pour le brexit depuis des années » avec des « Unes haineuses ».Oubliés les titres comme The Guardian, The Independant hostiles au Brexit. Oublié le Daily Mirror lié au parti travailliste, clairement de gauche mais tiraillé entre ses sympathies pro E.U. et son électoral populaire. Oublié encore The Economist le premier hebdomadaire du pays, un magazine libéral libertaire fanatiquement partisan du maintien. Trop d’oublis pour une émission qui prétend connaître les médias.
Donc : un seul invité, profondément antibrexit au point d’avoir changé de nationalité, un seul point de vue, pro Bruxelles et une ambiance générale d’une prétention assourdissante, critiquant tout ce qui peut sembler populiste. L’Instant M, une émission de critique et d’analyse des médias ? On attend toujours le pluralisme réclamé par certains gilets jaunes.