[Première diffusion le 3 mars 2020]
Sous le titre « Qui est vraiment Sylvain Tesson », l’hebdomadaire L’Express consacre sa couverture du 26 février 2020 au célèbre écrivain voyageur. Tesson ? Un danger politique ? C’est ce que pensent les auteurs de « l’enquête » Jérôme Dupuis et Camille Vigogne Le Coat.
Depuis Le Monde de l’époque Plenel et l’invention des « néo-réacs », la traque à un certain type d’écrivains jugés « de droite », et donc par nature proche du mal, est un marronnier de la presse convenue. Une jeune journaliste, dont l’OJIM propose un intéressant portrait, Camille Vigogne Le Coat, accompagnée de Jérôme Dupuis, auquel nous avons consacré aussi un portrait, semble rechercher une spécialisation de ce côté.
Accusé Tesson levez-vous !
« Tesson n’a pas craint d’animer le Libre Journal de l’aventure, à la fin des années 1990, sur Radio Courtoisie, autoproclamée « radio de toutes les droites », surtout les plus extrêmes. Ni de préfacer, en 2015, un recueil de romans de Jean Raspail, avec lequel il aimait boire quelques whiskies en lui jouant de la cornemuse. Sylvain Tesson préfère voir dans l’auteur du Camp des saints, roman prémonitoire et raciste sur les migrants, l’aventurier qui partait en canoë à la rencontre de tribus indiennes de Terre de Feu. Il n’a pas hésité non plus à accorder trois ans plus tard une interview qui fera la Une de la revue Eléments, en invitant pour l’occasion à son domicile Alain de Benoist, théoricien de la Nouvelle Droite, courant ethno-différentialiste radical né en 1969. »
Cet extrait en est tout point remarquable, sans doute un condensé de ce qui s’enseigne actuellement dans les écoles de journalisme ou à Science po, lieux où aujourd’hui l’on interdit la venue de personnalités pensant autrement. Un florilège remarquable pour plusieurs raisons :
- les faits (bases du journalisme) sont noyés dans des formules idéologiques non factuelles : « n’a pas craint », « autoproclamée », « surtout les plus extrêmes », « il n’a pas hésité », « en invitant à son domicile »…. Cela tient plus du rapport d’un officier des renseignements en charge de la surveillance d’un individu que du journalisme. Qui sait, d’ailleurs ? Les services sont par nature discrets.
- Camille Vigogne Le Coat et Dupuis n’ont pas lu Le Camp des saints, sans quoi ils n’accuseraient pas ce roman d’être « raciste sur les migrants » mais sauraient qu’il décrit précisément ce qui se produit cette première semaine de mars 2020 en Grèce : l’entrée massive de migrants, avec une Europe à la limite de perdre le contrôle. De même, était prémonitoire ce roman au sujet de la crise de 2015. C’est un roman dans lequel Raspail, qui semble être à leurs yeux une sorte d’icône de l’extrême droite quand il est un de nos derniers grands écrivains.
- Les journalistes se penchent aussi sur la « Nouvelle droite », bouc émissaire et marronnier ancien pour qui veut trouver des très méchants en France. A commencer par Alain de Benoist, qui fut même accusé par Libération en 2016 d’être responsable de l’élection de Trump aux Etats-Unis, c’est dire… La Nouvelle droite dont parlent Vigogne Le Coat et Dupuis n’existe tout simplement plus en tant que groupe, et depuis belle lurette. Ils n’en paraissent pas informés. C’est d’ailleurs une obsession de Jérôme Dupuis, lequel appelait à lancer l’assaut contre la Nouvelle Libraire à Paris, dans L’express, ainsi que l’OJIM l’expose ici.
Tout cela n’a rien à voir avec du journalisme, beaucoup avec le militantisme politique intersectionnel, celui même qui gangrène les médias officiels français et leur a depuis longtemps maintenant enlevé beaucoup de leur crédibilité auprès de la majorité des Français.
Qu’en est-il du reste de l’enquête ?
- le terme « icône réac », en titre du papier, s’il correspond à une réalité, mérite démonstration.
- l’accroche : « Ses livres sont des best-sellers et sa critique de l’époque séduit les Français. Et si, derrière cette image consensuelle, l’écrivain voyageur incarnait un nouveau visage de la droite antimoderne ? ». Houellebecq vieillit et se fait discret, Zemmour fait trop de bruit, L’express cherche un « produit » neuf. Évidemment, rien de complotiste, le complotisme c’est pour les autres. Les pauvres Français, trop bêtes, se laissent séduire par une réalité qu’ils ne saisiraient pas et qui, de ce fait, n’en serait que plus dangereuse.
- Tesson est un beau sujet, le papier le reconnaît : avec 500 000 exemplaires de sa Panthère des neiges, prix Renaudot, il vend autant que le Goncourt. Alors, à L’Express, on a dû se dire que si 10 % des lecteurs de Tesson achetait le magazine…
- à peine revenu des montagnes où il pratique l’alpinisme, que se passe-t-il ? Ceci :
« Changement de décor deux jours plus tard. Son sac n’est pas encore vidé que Sylvain Tesson se précipite déjà dans une étrange librairie, face au jardin du Luxembourg, à Paris. Ce 3 février, peu avant 19 heures, le baroudeur est venu écouter Julien Hervier, le grand biographe d’Ernst Jünger, cet écrivain allemand conservateur qu’il admire tant. Parmi la trentaine d’initiés présents, ce nationaliste de l’entre-deux-guerres controversé ne fait pas débat. “Quels sont les liens entre Carl Schmitt et Ernst Jünger ?” demande, au premier rang, Anne-Laure Blanc, fille de l’ancien Waffen-SS Robert Blanc. Petite précision : la Nouvelle Librairie est une officine d’extrême droite, ouverte en 2018. Peu de gens reconnaissent Sylvain Tesson, blouson de cuir et casquette de tweed, qui tend son oreille gauche — la seule valide après sa terrible chute depuis la façade d’un chalet de Chamonix en août 2014 — pour saisir les paroles de l’orateur du soir. »
À peine croyable. Ces « journalistes » semblent devenus des flics du quotidien et Tesson n’aurait plus le droit de décider qui et où il va écouter parler d’un sujet qui l’intéresse ? Pourquoi évoquer le père de Madame ou Mademoiselle Blanc, sinon pour écrire avec extase « Waffen-SS »… Dans cette « presse »-là le sous-entendu remplace les faits. Car enfin : Sylvain Tesson a‑t-il un lien quelconque avec… la Waffen-SS ? Et que vient faire ici Mademoiselle ou Madame Blanc, si ce n’est le fait que personne ne choisit son père ? Et dans une librairie régulièrement attaquée, les vitres cassées, par des militants ayant idées en partie communes avec les deux « journalistes » de L’Express, ce qui pourrait expliquer pourquoi ils ne dénoncent pas cette violence mais plutôt le fait que Tesson s’intéresse à un écrivain qui le passionne.
Plus loin :
« Je suis tellement réactionnaire que je préfère le début de mes phrases à leur fin”, écrit-il dans Une très légère oscillation (Équateurs). “Il n’y a plus que la Matinale de France Inter pour ne pas s’être rendu compte que Sylvain était de droite”, plaisante Maxime Dalle, qui lui a récemment consacré un numéro de sa revue littéraire droitière Raskar Kapac. »
Et ?
Être « de droite » serait une tare, où est l’argument ?
Plus loin encore, le délit d’opinion absolu :
« Et puis, évidemment, il y a la question de l’islam. Un épisode traumatisant a changé à jamais sa vision de cette religion. Une scène d’une violence inouïe, sur laquelle il refuse de s’épancher. Était-ce lors de son périple dans l’Afghanistan du mollah Omar, en 2001 ? “Vous savez, quand vous sillonnez certaines régions à vélo, vous mesurez le sort horrible qui est réservé aux femmes dans nombre de pays, consent-il seulement à dire. Moi qui crois au pouvoir des mots, je ne peux m’empêcher d’établir un lien avec ce qui est écrit dans le Coran.” Et d’ajouter, un brin provocateur : “Si vous voulez faire peur à vos enfants, ne leur lisez pas les Contes de Grimm, mais certaines sourates du Prophète !”
Quinze ans avant que le mot “féminicide” fasse la une, il forgeait dans son Petit traité sur l’immensité du monde (Equateurs) un beau néologisme, le “gynécide”, pour désigner les violences systémiques faites aux femmes dans certaines régions du monde. Une trace de l’héritage maternel, sans doute : sa mère, Marie-Claude, féministe disparue en 2014, a créé Equilibres & Populations, une ONG qui prône l’accès à l’instruction et à la contraception pour les filles dans les pays pauvres.
En privé, plusieurs de ses amis s’étonnent : “Avec ce qu’il écrit sur l’islam, c’est un miracle que Sylvain ne se soit pas encore retrouvé au coeur d’une polémique !” La foudre est pourtant tombée tout près. C’était le 13 janvier 2015. Alors que les rafales des frères Kouachi dans les locaux de Charlie hebdo résonnent encore dans tous les esprits, son père Philippe déclare sur Europe 1 : “D’où vient le problème de l’atteinte à la laïcité sinon des musulmans ? C’est pas les musulmans qui amènent la merde en France aujourd’hui ?” Réprobation générale, procès d’associations antiracistes, les deux sœurs de Sylvain reçoivent même des coups de fil menaçants venus d’Algérie ou du Yémen. »
Reprise de l’argument « fils ou fille de son père », Sylvain Tesson semble pourtant s’être fait un prénom sans papa et il n’est pas certain qu’il partage ses opinions…Pas une once de déontologie journalistique dans un « article », repris tel quel le même jour dans la revue de presse de la matinale de France Inter, sans autre vérification des « faits » sinon celle de la confiance de l’entre-soi.
Toute honte bue, L’Express accueillait Sylvain Tesson sans aucun souci… un mois auparavant.
Bientôt, écrivent les journalistes, La panthère des neiges sortira au cinéma, et peut-être sera présentée à Cannes. Le portrait à charge dont L’Express gratifie Tesson, ressemble à s’y méprendre au début d’une mise en scène : celle du nouveau réac dont ont régulièrement besoin les médias de grand chemin. À suivre ?
Sur la nouvelle formule de L’Express copié de l’anglais The Economist, notre article ci-dessous