La groupe éditorial VA News publie nombre de livres intéressants comme celui de François-Bernard Huyghe, Fake News, dont nous avons rendu compte en mai 2020. Une tribune du 28 octobre 2020 d’une certaine Rym Boukhari appelant à toujours plus de censure et à une société de surveillance dans l’esprit de la loi Avia nous a interpellé.
Incitation à la haine ?
Sous le titre « L’incitation à la haine est-elle suffisamment punie ? » l’auteur en appelle à la création d’une société de délation générale pour lutter contre ce sentiment :
« …la liberté d’expression trouve ses limites quand elle vise à l’apologie de la haine.… Le délit de l’incitation à la haine est régi par l’article 24 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, loi qui depuis a été adaptée au développement d’internet et en dernier lieu par la loi n° 2020–766 du 24 juin 2020 visant à lutter contre les contenus haineux sur internet… cette dernière modification qui vise les propos haineux sur les espaces qu’offrent internet n’est pas suffisamment forte pour lutter contre le déferlement de contenus haineux sur les autres espaces, notamment publics. »
Surveiller et punir
La délicieuse Rym regrette que la mise en œuvre de cette loi soit « encore, hélas, conditionnée à une procédure rigoureusement formaliste rendant la mise en cause des auteurs des délits complexe ». Car la haine doit être traquée sur internet mais aussi « à l’école, dans la rue, dans les entreprises » et pourquoi pas dans les foyers avec des moniteurs de surveillance comme dans 1984 d’Orwell ? Michel Foucault était prophète (au moins sur ce point) quand il a écrit Surveiller et punir en 1975. Soulignons qu’une procédure rigoureusement formaliste est ce qui protège les citoyens des abus de pouvoir.
Défense du droit d’asile et des migrations
Le point d’orgue déclenchant cette « haine de la haine » est dans un premier temps la décision de la vice-présidente de la CNDA (cour nationale du droit d’asile) qui a accordé l’asile politique au père du tchétchène islamiste qui a décapité Samuel Paty (Madame Boukhari est plus pudique et parle d’« exécution » comme si Samuel Paty avait été condamné par un tribunal, lequel ?). Et surtout dans un deuxième temps la mise en cause de la CNDA après la décapitation.
La Cour a été violemment mise en cause pour être « coresponsable » de l’exécution. La coresponsabilité est discutable, donc elle doit se discuter. Si on doit écarter la participation active à l’exécution de Samuel Paty parfois invoquée sur les réseaux sociaux, dans n’importe administration normale – privée ou publique – son principal responsable en l’espèce Isabelle Dely, vice-présidente de la CNDA aurait dû démissionner immédiatement ou se mettre en retrait, par simple dignité et à fins d’enquête. Dans une société démocratique on est responsable de ses actes et de leurs conséquences.
Envie du pénal
Par une opération de symétrie des fausses fenêtres, madame Boukhari met en parallèle le « séparatisme », une forme euphémistique désignant les décapiteurs et les « discours de haine » qui ont suivi la décapitation. Vouloir éteindre une juste colère et aggraver les lois qui ne doivent pas être « seulement punitives, mais aussi préventives contre toutes les formes d’expression qui propagent, incitent ou font l’apologie de la haine fondée sur l’intolérance », c’est mettre sur le même plan les assassins et ceux qui les dénoncent, parfois avec excès. Établir des lois préventives c’est mettre en œuvre la société panoptique de Jérémie Bentham où un maton d’un seul coup d’œil surveille ses détenus. On peut rêver meilleure société que celle de l’envie du pénal.