Nous publions en tribune libre un article d’un de nos lecteurs sur le mouvement NoFakeScience. Les propos de cette tribune n’engagent pas notre rédaction.
Les passions déchaînées autour de l’hydroxychloroquine du Dr Didier Raoult sont dans toutes les mémoires. Dans ce cas comme dans d’autres, médias et personnel politique sont régulièrement les cibles de campagnes de désinformation que tente de démasquer le mouvement NoFakeScience. Histoire de remettre l’église (scientifique) au milieu du village.
#NoFakeScience. C’est sous ce hashtag que le collectif du même nom communique abondamment sur les réseaux sociaux. Son objectif : faire en sorte que « les sujets à caractère scientifique puissent être restitués à tous et à toutes sans déformation sensationnaliste ni idéologique et que la confiance puisse être restaurée sur le long terme entre scientifiques, médias et citoyen·ne·s », comme le stipule son manifeste publié dans la presse le 15 juillet dernier. Au total, 250 hommes et femmes de sciences réclament plus de rigueur aux journalistes et aux relais d’opinion. Car ces dernières années, bon nombre de sujets et de réalités scientifiques ont été travestis, soit pour plaire à l’opinion publique ou aux lobbies industriels, soit pour aller dans le sens des militants écologistes. « La science ne saurait avoir de parti-pris, souligne le manifeste. L’état de nos connaissances ne saurait être un supermarché dans lequel on pourrait ne choisir que ce qui nous convient et laisser en rayon ce qui contredit nos opinions. » À bon entendeur.
La science n’était pas contre, l’opinion si
Dans le débat public, le cas des pesticides est probablement celui qui déchaîne les passions depuis le plus longtemps. Les enquêtes à charge ont souvent eu un fort impact immédiat, tout en méritant d’être disséquées. À l’image de celle de Cash Investigation en 2016, menée par Élise Lucet et Martin Boudot, et démontée de bout en bout, comme le rappelle l’AFIS (Association française sur l’information scientifique). Non, contrairement à ce qui était annoncé, 97% des denrées alimentaires ne contiennent pas de résidus de pesticides dangereux. Dans le prolongement de ce dossier, celui sur le glyphosate continue encore d’alimenter les polémiques.
« Bien utilisé, le glyphosate est aux herbicides ce que le paracétamol est aux antalgiques : efficace, économique, quasi-absence d’effets secondaires », osait tweeter le 9 octobre dernier le journaliste de vulgarisation scientifique Mac Leggsy. Lui et d’autres journalistes comme Géraldine Woessner d’Europe 1 ou Emmanuelle Ducros de L’Opinion osent en effet battre en brèche la bien-pensance autour de la dangerosité du fameux glyphosate. Si elles semblent avoir perdu la guerre de l’opinion, ces voix discordantes méritent pourtant d’être écoutées. Comme d’autres, tel que ce représentant syndical agricole ayant requis l’anonymat : « Concernant le glyphosate ou certains néonicotinoïdes, l’ANSES (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) avait même donné un avis favorable spécifiant qu’à des niveaux raisonnables, il n’y avait pas de problème pour la mise sur le marché. C’est le poids de l’opinion publique qui a fait basculer la décision politique. Nous n’étions plus du tout dans une attitude rationnelle. » Une attitude rationnelle, c’est tout ce que réclame le collectif NoFakeScience : étudier les chiffres sans passion, mais avec rigueur, sans choisir uniquement les indicateurs susceptibles de prouver un postulat de départ. Le b.a.-ba de la démarche scientifique comme journalistique, sur le papier du moins…
Derrière les polémiques, des lobbies ?
Le cas des métaux lourds est plus complexe car il ne s’agit pas d’être pour ou contre, mais de savoir à partir de quel niveau la consommation humaine devient risquée. Les métaux lourds, comme le cadmium, le mercure ou le plomb, se trouvent naturellement dans la nature. Tous, à haute dose, se révèlent bien évidemment cancérigènes. Mais à partir de quel niveau d’exposition y a‑t-il un vrai risque pour la santé ?
Depuis plusieurs mois, c’est le cadmium qui a mauvaise presse : l’agriculture – à travers l’utilisation d’engrais phosphatés – empoisonnerait nos sols et nos assiettes, tel que le rappellent des médias pourtant réputés sérieux comme Le Monde ou France 5.
Pour rappel, là où les réglementations de pays comme la Nouvelle-Zélande, l’Australie ou les États-Unis permettent des doses allant de plus de 122 à près de 900 mg/kg, la législation française actuelle autorise un taux de 90mg de cadmium par kilo d’engrais. Une nouvelle réglementation européenne, plus stricte, entrera même en vigueur en 2022 avec un taux de 60mg/kg.
Or aujourd’hui, aucune étude scientifique ne démontre une quelconque dangerosité des fertilisants minéraux à 60mg/kg. Pourquoi dans ce cas, comme dans l’enquête Cadmium : Le poison caché dans nos engrais, prendre une valeur témoin drastique (20mg/kg) largement contestée, plutôt que les taux en vigueur, déjà parmi les plus contraignants au monde ?
La démarche adoptée semble relever davantage du militantisme que du raisonnement scientifique. La méthode est toujours la même : on part d’une conclusion à charge, qu’on étaye à grands renforts de données instrumentalisées de façon plus ou moins spécieuse. En expliquant, par exemple, que sur 57 échantillons d’urine prélevés et testés sur la base d’une méthodologie douteuse… Douze dépassent la valeur maximale recommandée par l’ANSES. Mais en omettant de préciser que la totalité des échantillons testés sont largement en dessous des seuils de toxicité fixés par les autorités de santé.
Cette démonstration biaisée ravira toutefois certains professionnels du secteur des engrais, qui entendent favoriser sur le marché européen certains phosphates d’origine volcanique (ceux-ci étant naturellement pauvres en cadmium) en les exonérant de droits de douane par exemple. Derrière le sujet de la santé publique, se joue en réalité une bataille pour l’approvisionnement du marché européen en fertilisants : hasard du calendrier, militants écolos et lobbies industriels se rejoignent sur ce dossier.
Hydroxychloroquine : la guerre de clochers est presque terminée
En quelques semaines, Marseille est devenu le centre du monde. Entre le printemps et l’été 2020, l’IHU Méditerranée Infection du Pr Didier Raoult a gagné la bataille médiatique : le monde entier a parlé de son traitement contre le Covid-19, à base d’hydroxychloroquine et d’azithromycine. Pendant des mois, le monde politique et la communauté scientifique n’ont pas caché leurs divisions face aux affirmations de l’infectiologue marseillais. Comment les citoyens lambda pouvaient-ils donc se faire une vraie opinion sur le sujet ? Depuis, de nouvelles études sont venues mettre le holà sur les vérités et contre-vérités que les chaînes de télévision ont diffusées abondamment, sans jamais savoir à quel saint se vouer.
Certains médias ont ainsi voulu mettre un terme à ce bruit médiatique, comme le site Futura Sciences qui, le 9 août dernier, a décidé de ne plus alimenter la polémique autour de l’hydroxychloroquine : « Plusieurs études publiées ces dernières semaines viennent sonner la fin de partie concernant l’utilité de l’hydroxychloroquine dans le cadre de l’infection au SARS-CoV‑2 : ça ne marche pas… Avec ou sans antibiotique. Qu’importe le moment où la thérapie est donnée. Fin de partie. » En compilant les résultats d’études européennes, américaines et françaises, aucun argument scientifique n’est venu appuyer les thèses du Pr Raoult qui, malgré tout, continue de jouir de nombreux soutiens, à la fois dans les médias et dans le monde politique, comme le maire de Nice Christian Estrosi.
Vingt jours plus tard, fin août, une nouvelle étude de méta-analyses a tenté de clore une bonne fois pour toutes la polémique : « Des chercheurs ont étudié les résultats des travaux déjà parus sur le médicament. Ils confirment que les recherches menées jusqu’à présent n’ont révélé aucune efficacité de l’hydroxychloroquine dans le traitement des patients souffrant du Covid-19 », comme l’explique simplement FranceInfo. Ce qui n’a pas empêché, début septembre, le président de la région PACA Renaud Muselier de repartir au front pour défendre le protocole de Didier Raoult. Les pro et les anti n’ont donc pas fini de relancer le débat.
Cette bataille médiatico-politico-scientifique ne prendra probablement fin qu’à l’arrivée du vaccin. Et encore. Le collectif NoFakeScience aura certainement beaucoup de pain sur la planche pour affronter les puissants relais d’opinion anti-tout.
Jeremy Girard
Conseiller santé indépendant, ancien cadre de la fonction publique hospitalière