On parle très souvent de la propagande russe, de ses influences réelles ou supposées sur les élections en Europe et aux États-Unis. Qu’en est-il de la propagande américaine ? Nous empruntons au site Les Crises la traduction d’un article de Consortium News du 18 novembre 2020 sur certaines nominations de la nouvelle administration Biden. Certains intertitres sont de notre rédaction.
Nommé par Biden, Richard Stengel est un ancien « chef propagandiste » partisan d’une propagande aux États-Unis
Source : Consortium News, Ben Norton
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises
Le mois dernier, Richard Stengel a été nommé par Joe Biden au sein de son équipe de transition pour soutenir les efforts de transition en lien avec la U.S. Agency for Global Media. Pour Ben Norton, Richard Stengel représente l’escalade imminente de l’administration Biden dans la surveillance des médias en ligne qui sont considérés comme une menace pour les impératifs américains à l’étranger.
Richard Stengel, le principal représentant des médias d’État dans l’équipe de transition du président américain élu Joe Biden, a défendu avec enthousiasme l’utilisation de la propagande contre les Américains.
« Propagandiste en chef »
« Mon ancien poste au Département d’État, comme certains en plaisantaient, était celui de propagandiste en chef, a déclaré Stengel en 2018. Je ne suis pas contre la propagande. Chaque pays en fait, y compris sur sa propre population. Et je ne pense pas nécessairement que ce soit si terrible. »
Richard « Rick » Stengel a été le sous-secrétaire d’État à la diplomatie publique et aux affaires publiques le plus longtemps en poste dans l’histoire des États-Unis.
Au Département d’État sous le président Barack Obama, Stengel s’est vanté d’avoir « créé la seule entité gouvernementale, non classifiée, qui lutte contre la désinformation russe. » Cette institution était connue sous le nom de Global Engagement Center, et elle représentait un moyen puissant pour faire avancer la propagande du gouvernement américain dans le monde.
Guerre de l’information
Croisé engagé dans ce qu’il décrit ouvertement comme une « guerre de l’information » mondiale, Stengel a fièrement proclamé son dévouement à la gestion minutieuse de l’accès du public à l’information.
Stengel a exposé sa vision du monde dans un livre qu’il a publié en juin dernier, intitulé Information Wars : How We Lost the Global Battle Against Disinformation and What We Can Do About It [NdT : Les guerres de l’information : comment nous avons perdu la bataille mondiale contre la désinformation et ce que nous pouvons faire].
Stengel a proposé de « repenser » le Premier amendement qui garantit la liberté d’expression et de la presse. En 2018, il a déclaré : « Ayant été autrefois presque un absolutiste du Premier amendement, j’ai vraiment changé de position à ce sujet, parce que je pense simplement que pour des raisons pratiques dans la société, nous devons en quelque sorte en repenser certaines parties.»
La sélection par l’équipe de transition de Biden d’un cyber-guerrier censeur pour un poste de haut niveau dans les médias d’État intervient alors qu’une campagne de répression concertée s’installe sur les médias sociaux. La vague de censure en ligne a été supervisée par les agences de renseignement américaines, le Département d’État et les sociétés de la Silicon Valley qui ont conclu des contrats de plusieurs milliards de dollars avec le gouvernement américain.
Alors que le réseau de censure soutenu par l’État s’étend, les médias indépendants se retrouvent de plus en plus souvent dans la ligne de mire. Au cours de l’année écoulée, les plateformes de médias sociaux ont supprimé des centaines de comptes de publications d’informations étrangères, de journalistes, de militants et de fonctionnaires de pays ciblés par les États-Unis pour un changement de régime [Opération de renversement de régime, NdT].
La nomination de Stengel semble être le signal le plus clair d’une escalade prochaine par l’administration Biden de la censure et de la suppression des médias en ligne qui sont considérés comme une menace pour les impératifs américains à l’étranger.
Colporteur du Russiagate
Avant d’être nommé « propagandiste en chef » du Département d’État américain en 2013, Richard Stengel était rédacteur en chef du magazine Time.
Dans l’administration Obama, Stengel a non seulement créé la dynamique de propagande du Global Engagement Center [Centre anti propagande et désinformation US, NdT], mais il s’est également vanté d’avoir « dirigé la création de L’Anglais pour tous, un programme gouvernemental pour promouvoir l’enseignement de l’anglais dans le monde entier. »
Après avoir quitté le Département d’État en 2016, Stengel est devenu conseiller stratégique de Snap Inc, la société qui gère les applications de médias sociaux Snapchat et Bitmoji.
Stengel a également trouvé du temps pour une participation au Conseil atlantique, un groupe de réflexion étroitement lié à l’OTAN et au camp Biden qui a reçu des fonds du gouvernement américain, de la Grande-Bretagne, de l’Union européenne et de l’OTAN elle-même, ainsi que d’une foule de fabricants d’armes occidentaux, de sociétés d’énergie fossile, de monarchies du Golfe et de spécialistes de la Big Tech.
Stengel a travaillé en étroite collaboration avec le laboratoire de recherche en criminalité numérique du Conseil atlantique, une organisation douteuse qui a alimenté les actions de censure des médias indépendants au nom de la lutte contre la « désinformation. »
De MSNBC à la Maison Blanche
Mais Stengel est peut-être plus connu en tant qu’analyste politique régulier sur MSNBC [Chaine d’info NBC du cable en association avec Microsoft, NdT] à l’époque de Donald Trump. Sur la chaîne, il a alimenté les théories du complot du Russiagate, dépeignant le président républicain comme un idiot utile de la Russie et prétendant que Trump avait une « bromance à sens unique » avec Vladimir Poutine [Bromance: amitié virile,NdT].
Stengel a quitté MSNBC ce mois-ci pour rejoindre la transition présidentielle de Biden. La campagne a annoncé qu’il était appelé à diriger l’équipe de supervision de l’agence Biden-Harris pour l’Agence américaine pour les médias mondiaux (USAGM).
L’USAGM est une organisation de propagande des médias d’État qui trouve son origine dans une « machine » de la Guerre froide créée par la CIA pour répandre la désinformation contre l’Union soviétique et la Chine communiste. (L’agence s’appelait auparavant le Broadcasting Board of Governors, ou BBG, jusqu’à ce qu’elle soit rebaptisée en 2018).
L’USAGM déclare sur son site web que sa mission la plus importante est « d’être en accord avec les grands objectifs de la politique étrangère des États-Unis. »
Un remaniement de l’agence cette année a révélé que l’USAGM avait fourni une assistance clandestine à des militants séparatistes lors des manifestations qui ont embrasé Hong Kong en 2019. Le programme prévoyait une aide en matière de communications sécurisées pour les manifestants et deux millions de dollars en « riposte rapide » pour les militants anti-Chine.
Le croisé « obsessionnel »
Lorsque Richard Stengel s’est présenté comme le « propagandiste en chef » du Département d’État, il a préconisé l’utilisation de la propagande contre le peuple américain et a proposé de « repenser » le Premier amendement alors,qu’il participait le 3 mai 2018 à une table ronde au Council on Foreign Relations [CFR, conseil en relations étrangères, NdT]).
Au cours de cet événement du CFR, intitulé « Perturbations politiques : combattre la désinformation et les fausses nouvelles », Stengel a évoqué la menace d’une prétendue « désinformation russe », un terme vague qui est de plus en plus utilisé comme un signifiant vide de sens pour tout récit qui heurte les sensibilités de l’establishment de la politique étrangère de Washington.
Stengel a déclaré qu’il était « obsédé » par la lutte contre la « désinformation », et a clairement indiqué qu’il avait une obsession particulière pour Moscou, accusant « les Russes » de se livrer à une désinformation « à tous les niveaux. »
Le politologue Kelly M. Greenhill l’a rejoint sur scène et a déploré que les plateformes de médias alternatifs publient « des choses qui semblent pouvoir être vraies… c’est la sphère où il est particulièrement difficile de les démystifier… c’est cette région grise, cette zone grise, où il ne s’agit pas de désinformation traditionnelle, mais d’une combinaison de désinformation et de jeu sur les rumeurs, de théories du complot, d’une sorte de propagande grise, c’est là que se situe, selon moi, le nœud ou le cœur du problème. »
Stengel a approuvé, en ajoutant : « Au fait, ces termes, la zone grise, proviennent tous de mesures actives russes, qu’ils font depuis un million d’années. »
Les participants n’ont fait aucun effort pour cacher leur mépris pour les médias indépendants et étrangers. Stengel a clairement déclaré qu’un « cartel de l’information » des médias d’entreprise majeurs avait longtemps dominé la société américaine, mais il a déploré que ces « cartels n’aient plus l’hégémonie qu’ils avaient auparavant. »
Stengel a clairement indiqué que sa mission est de contrer les perspectives alternatives données par les plateformes médiatiques étrangères qui remettent en question le paysage médiatique dominé par les États-Unis.
« Les mauvais acteurs utilisent l’objectivité journalistique contre nous. Et les Russes en particulier sont intelligents à ce sujet », a grommelé M. Stengel.
Il a pointé du doigt le réseau médiatique russe financé par l’Etat, RT, en déplorant que « Vladimir Poutine, lorsqu’ils ont lancé Russia Today, a dit que c’était un antidote à l’hégémonie américaine et anglaise sur le système médiatique mondial. C’est comme ça que les gens l’ont vu.»
Ben Decker, chercheur au Projet de désinformation de la Kennedy School of Government de Harvard, a déploré que « RT envahisse tous les espaces médiatiques financiers hebdomadaires. »
Mais Decker s’est réjoui de la profusion d’oligarques américains déterminés à reprendre le contrôle du récit. « En Amérique et dans le monde entier, a‑t-il déclaré, la communauté des donateurs est très désireuse de s’attaquer à ce problème, et très désireuse de travailler avec les communautés de chercheurs, d’universitaires, de journalistes, etc. pour cibler ce problème. »
« Je pense qu’il y a en haut une volonté de résoudre ce problème », a‑t-il poursuivi, exhortant les nombreux universitaires présents dans l’assistance « à demander des subventions » afin de lutter contre cette « désinformation » russe.
Le débat du CFR s’est terminé lorsqu’un membre africain du public s’est insurgé depuis la salle et a défié Stengel : « Parce que ce qu’il se passe en Amérique, c’est ce que les États-Unis ont fait avec les pays du Sud et du Tiers-Monde, ce avec quoi nous avons vécu, pendant beaucoup, beaucoup d’années, au travers d’un récit dominant qui était et qui reste de la propagande », a déclaré l’homme.
Plutôt que de répondre, Stengel a impoliment ignoré la question et s’est précipité vers la sortie : « Vous savez quoi, je déteste les dernières questions. Pas vous ? Je n’y réponds jamais, en général je veux juste conclure avant la dernière question. »
La vidéo de la confrontation révélatrice a provoqué une telle fureur que le compte YouTube du CFR a désactivé les commentaires et a déréférencé la vidéo. Elle ne peut pas être trouvée dans une recherche sur Google ou YouTube. Elle ne peut être trouvée qu’avec le lien direct.
La vidéo de la discussion complète est intégrée ci-dessous.
Ben Norton est journaliste et écrivain. Il est reporter pour The Grayzone et producteur du podcast « Moderate Rebels », qu’il co-anime avec Max Blumenthal. Son site web est BenNorton.com, et il tweete sur @BenjaminNorton.