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Navalny, le résistant Potemkine. Assange le résistant oublié

16 mai 2021

Temps de lecture : 8 minutes
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Navalny, le résistant Potemkine. Assange le résistant oublié

Temps de lecture : 8 minutes

Changement d’administration aux États-Unis, regain de tension en Ukraine : tous les ingrédients sont réunis pour rejouer le coup de la guerre froide. Un contexte propice à la surmédiatisation de l’opposant à Vladimir Poutine, Alexeï Navalny. Porté aux nues par la majorité de la presse occidentale, il n’en demeure pas moins une figure peu connue.

Dans le même temps, un autre « lanceur d’alerte » con­naît une médi­ati­sa­tion bien famélique eu égard à l’importance de ses révéla­tions à l’échelle mon­di­ale : l’Aus­tralien Julian Assange, fon­da­teur de Wikileaks.

Cette croisade médi­a­tique en faveur d’Alexeï Naval­ny est curieuse car elle fait la pro­mo­tion d’un per­son­nage aux valeurs opposées à celles que prône l’Occident. Autre élé­ment sin­guli­er dans ce traite­ment asymétrique : le dés­in­térêt de nom­breux titres pour Julian Assange, par­ti-pris non dénué d’esprit calculateur.

Alexeï Navalny, un produit « made in » USA

Bel homme, plutôt jeune à l’époque, Alex­eï Naval­ny a été adoubé il y a une décen­nie par le New York Times, qui le com­para­it alors à une « Erin Brock­ovich » de la cor­rup­tion en Russie. En 2010, le jeune Alex­eï âgé de seule­ment 33 ans, s’en allait, dans les esprits de la presse améri­caine, pour­fendre un pou­voir russe obscur où l’oligarchie pié­tine les droits de l’homme. Der­rière les gros sabots mac­carthystes, se cachait une volon­té de faire mon­ter une oppo­si­tion au pou­voir en place à Moscou ; plus pré­cisé­ment de faire naître une fig­ure face à un Vladimir Pou­tine dont la feuille de route poli­tique dif­fère large­ment de celle de Washington.

Fon­da­teur d’une ONG anti-cor­rup­tion en 2011, Naval­ny mul­ti­pli­era les coups de com­mu­ni­ca­tions, tan­tôt avec la cas­quette asso­cia­tive tan­tôt comme mil­i­tant lors de man­i­fes­ta­tions de rue ou, enfin, comme opposant poli­tique, quand il se présente à la mairie de Moscou en 2013. C’est d’ailleurs son plus haut fait d’arme, puisqu’il attein­dra la deux­ième posi­tion avec 27 % des voix, con­tes­tant le déroule­ment du scrutin à l’image d’ONG occidentales.

À droite toute

Homme de com­mu­ni­ca­tion, Alex­eï Naval­ny voit cepen­dant son image écornée par ses engage­ments à la droite de la droite… Une vidéo par­ti­c­ulière­ment cri­ante en la matière, datée de sep­tem­bre 2007, mon­tre le chou­chou du Monde et de Libéra­tion com­par­er les Tchétchènes à des cafards, face aux­quels le pis­to­let est jugé plus pra­tique que la tapette.

Dans une sec­onde vidéo datée de la même année, on le retrou­ve déguisé en den­tiste « blaguant » sur la dés­in­fec­tion et la dépor­ta­tion des migrants…

Une légère ten­dance à la xéno­pho­bie qui colle mal avec le sou­tien occi­den­tal. En témoignent les erre­ments d’Amnesty Inter­na­tion­al face au cas du russe : en févri­er 2021, Alex­eï Naval­ny se voy­ait même retir­er le label « pris­on­nier d’opinion » par Amnesty Inter­na­tion­al avant que l’association ne fasse finale­ment volte-face en avril

Prob­a­ble­ment pas fon­cière­ment extrémiste mais résol­u­ment oppor­tuniste, Naval­ny par­ticipera à la Marche Russe régulière­ment jusqu’en 2013 (une man­i­fes­ta­tion nation­al­iste à laque­lle par­ticipent des mou­ve­ments qui pour­raient être qual­i­fiés de très rad­i­caux en France).

Le pal­marès nation­al­iste de Naval­ny n’est pas une vue de l’esprit. À tel point que Le Figaro, pour­tant peu per­méable aux charmes pou­tiniens, s’en est fait l’écho rap­pelant quelques faits d’armes du trublion opposant.

Ce dernier ten­tera finale­ment de récupér­er une colère pop­u­laire russe large­ment exprimée par un nation­al­isme rad­i­cal, tout en tein­tant celle-ci de reven­di­ca­tions libérales et démoc­rates. Cela s’avèrera un échec et lui vau­dra d’être qual­i­fié « d’avocat de la bour­geoisie et du grand cap­i­tal » par l’écrivain Zakhar Prilepine.

Agent de l’étranger ?

Alex­eï Naval­ny est con­sid­éré par le min­istère de la Jus­tice russe comme « agent de l’étranger » depuis octo­bre 2019. Il n’est pas ques­tion unique­ment de finance­ments mais aus­si d’agissements con­tre les intérêts russ­es. Ain­si, le pro­jet de gazo­duc Nord Stream 2 reliant la Russie à l’Allemagne est com­pro­mis sous le pré­texte bien oppor­tun de l’affaire Naval­ny. En réal­ité, der­rière l’opération de dis­crédit lancée con­tre Moscou se pro­file un jeu d’influence adjoint d’intérêts financiers. Pour Wash­ing­ton, il s’agit de tenir Moscou à dis­tance du jeu Con­ti­nen­tal et de con­tin­uer de ven­dre son gaz naturel liqué­fié sur le Vieux Con­ti­nent.

Par ailleurs, d’autres opposants russ­es ne béné­fi­cient d’aucune médi­ati­sa­tion occi­den­tale ; à l’image de Ser­gueï Oudaltsov, opposant de gauche, ancien du par­ti com­mu­niste post-sovié­tique, qui a fait plus de trois ans de prison (à l’isolement). La force de Naval­ny réside dans sa capac­ité à avoir réal­isé une sorte de grand écart, en séduisant l’opposition nation­al­iste en Russie et le camp libéral en Occident.

Navalny casse les compteurs

Une étude com­par­a­tive chiffrée de l’intérêt médi­a­tique pour Alex­eï Naval­ny et Julian Assange en dit plus qu’un long arti­cle. En tapant les mots « Naval­ny » ou « Assange » dans les moteurs de recherche des prin­ci­paux quo­ti­di­ens français, il est pos­si­ble de com­par­er l’intérêt porté à cha­cun d’eux.

Ain­si pour une recherche sur six mois du 12 novem­bre 2020 au 12 mai 2021, le jour­nal Le Monde pro­pose 10 arti­cles où fig­ure le nom du jour­nal­iste aus­tralien Julian Assange (dont 4 papiers ne con­cer­nent que lui). Sur la même péri­ode on retrou­ve 162 arti­cles dans lesquels fig­ure l’opposant à Vladimir Pou­tine, Alex­eï Navalny.

Même démarche chez Libéra­tion : sur une année, 18 arti­cles pour Assange con­tre 171 pour Navalny.

Quant au Figaro, pour une demi-année, le rap­port est de 297 con­tre 26, en faveur du russe…

Pour 2021 (en date du 12 mai 2021), l’hebdomadaire alter­mon­di­al­iste Cour­ri­er Inter­na­tion­al n’évoque que qua­tre fois le nom du fon­da­teur de Wik­ileaks dont deux fois seule­ment avec un arti­cle lui étant directe­ment dédié. Côté Naval­ny : 65 papiers !

Enfin au niveau inter­na­tion­al, on retrou­ve glob­ale­ment la même ten­dance, comme l’a mon­tré le jour­nal­iste bri­tan­nique Mark Cur­tis : prenant pour exem­ple la BBC, le jour­nal­iste a fait remar­quer que sur une année, cet organe de presse avait pub­lié 64 papiers sur Naval­ny con­tre 4 sur Assange.

Quelques voix discordantes

Pour trou­ver une ten­dance inverse, il faut se diriger vers Le Monde Diplo­ma­tique. A l’aide de l’outil de recherche du site en ligne de ce men­su­el, on retrou­ve 34 doc­u­ments con­cer­nant Assange pour 17 sur Naval­ny. Une sta­tis­tique ras­sur­ante : ce jour­nal qui pour­rait être qual­i­fié de « gauche alter­na­tive » (et indépen­dant sur le plan édi­to­r­i­al du quo­ti­di­en) compte plus de 100 000 abonnés…

Enfin, élé­ment éton­nant, pour Medi­a­part, on retrou­ve 623 résul­tats générés par une recherche « Naval­ny » quand Assange en dis­pose de 856. Le média d’Edwy Plenel a été créé en 2008 un peu avant la mise en orbite respec­tive des deux per­son­nages. Il est cepen­dant à not­er que cer­tains papiers de Medi­a­part intè­grent Assange à plusieurs arti­cles pour lesquels les travaux de Wik­ileaks sont repris.

Médi­a­part a d’ailleurs pro­duit des arti­cles divergeant sur Naval­ny, tan­tôt à charge, rap­pelant notam­ment qu’il a été con­damné pour détourne­ment de fonds, tan­tôt dans un exer­ci­ce d’équilibrisme un peu ridicule pour jus­ti­fi­er le passé droiti­er du per­son­nage.

Pour com­pléter le tableau, il serait injuste d’oublier l’hebdomadaire Mar­i­anne, qui a pro­duit plusieurs arti­cles de qual­ité dont un au titre évo­ca­teur « Naval­ny, Assange : les bons et les méchants lanceurs d’alerte ». Enfin le média Le Vent se lève s’est égale­ment inter­rogé sur le chou­chou libéral de l’Occident.

Assange, pourquoi sont-ils si méchants ?

Démon­stra­tion faite que le lanceur d’alerte Julian Assange intéresse moins que son homo­logue russe, il con­vient de s’interroger sur les faits reprochés à cha­cun d’entre eux. Le pre­mier a révélé des doc­u­ments à charge con­tre la pre­mière puis­sance mon­di­ale, la met­tant en cause notam­ment dans le cadre de son inva­sion de l’Irak ou en évo­quant large­ment des faits d’espionnage général­isés. Pour­fend­eur de l’impérialisme améri­cain, il est naturelle­ment moins bien perçu qu’Alexeï Naval­ny qui lui n’est « que » l’opposant d’une puis­sance rivale des États-Unis : la Russie.

La défi­ance améri­caine vis-à-vis d’Assange est telle que celui-ci a per­du le sou­tien du prési­dent équa­to­rien Lénin Moreno en avril 2019.

À not­er que l’abandon a eu lieu deux mois après que l’Équateur obti­enne un emprunt de 10 mil­liards de dol­lars auprès du FMI et de la Banque Mon­di­ale, dans un con­texte de virage poli­tique pour le prési­dent Moreno, issu de la gauche anti impéri­al­iste bolivarienne.

Voir nos arti­cles sur le procès Assange ici et .

Con­spué aux États-Unis par une large par­tie du spec­tre poli­tique, Assange l’est tout par­ti­c­ulière­ment par la gauche démoc­rate. Ain­si, l’actuel prési­dent Joe Biden le qual­i­fi­ait de ter­ror­iste high tech en 2010. La gauche améri­caine accuse égale­ment Wik­ileaks d’avoir fait cam­pagne pour Don­ald Trump en 2016 et col­laboré à l’élection de ce dernier avec l’aide de Moscou… Une lec­ture des faits qui, dans d’autres cir­con­stances, pour­rait être qual­i­fiée sans trop de dif­fi­culté de com­plo­tiste… Des sus­pi­cions de sym­pa­thie pour la Russie bien oppor­tunes qui se sont inten­si­fiées avec l’aide apportée par Wik­ileaks à Edward Snow­den, ancien la NSA et de la CIA en exil en Russie depuis 2013 après avoir révélé l’existence de pro­gramme de sur­veil­lance de masse bri­tan­niques et américains.

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