En janvier 2022, le Sénat auditionnait une pléiade de patrons de médias afin de se pencher sur la question de la concentration des médias entre les mains de quelques milliardaires. Xavier Niel représente l’un de ces milliardaires. Patron, entre autres, du groupe Le Monde, son influence dans les médias est notable. Voilà maintenant qu’il devient le mécène d’un nouveau média économique : l’Informé, à mi-chemin entre le canard et la lettre d’information.
Le média se veut « indépendant, factuel, basé sur le scoop », comme n’a de cesse de le dire le patron de la rédaction Gilles Tanguy, et sera un journal d’enquête sur le monde de l’économie. Le patron de la rédaction est rompu à l’exercice. Il a effectué ses classes dans le groupe Prisma. D’abord simple reporter high-tech, il finit directeur éditorial numérique des titres Capital, Ça m’intéresse et Géo. Son départ du groupe est en grande partie dû au rachat de celui-ci par Vincent Bolloré.
Objectif 50 000 abonnés
L’objectif pour le lancement du média est de franchir la barre des 50 000 abonnés dans les cinq ans. Pour y parvenir, l’aide financière de Xavier Niel est la bienvenue. Un nom qui permet également de faire un coup de pub au titre. Comme l’explique Gilles Tanguy : « C’était certain qu’avec Niel, on allait plus s’intéresser à nous que si notre investisseur était un concessionnaire de Poitiers. ». Néanmoins beaucoup se posent la question, le patron de Free ne va-t-il pas s’ingérer dans les affaires du journal ?
Le patron de la rédaction indique que Niel ne viendra apporter qu’un complément. Aucun chiffre n’est pour l’heure avancé. Par ailleurs, une autre sécurité mise en avant est la sanctuarisation de 61% du capital de l’Informé au sein du fonds pour l’indépendance de la presse. Gilles Tanguy souligne : « Il [Xavier Niel] ne détiendrait plus que 5% à titre personnel via son holding NJJ Médias ». En somme, il s’agit des mêmes garanties d’indépendance que celles offertes au Monde.
Un euro symbolique
Seulement, en creusant un peu plus le verni de ce fonds, nous trouvons une autre réalité, via notamment la fondation créée en 2021 par Xavier Niel (https://www.ojim.fr/la-mode-des-fondations-apres-patrick-drahi-xavier-niel/). Celui-ci y a en effet placé d’emblée, pour un euro symbolique, toutes ses participations au sein des médias. Lorsque Le Monde y est côté, Julia Cagé, présidente de la société des lecteurs du journal, et Benoît Huet, un avocat, signent une tribune qu’Arrêt sur images diffuse. Notons que Le Monde a refusé la publication de la tribune en question. Dans celle-ci, les deux rédacteurs pointent du doigt l’interprétation ambigüe de certains principes fondateurs du FIP.
Des actions ad vitam aeternam ?
Si les actions mises dans ce fonds sont incessibles et offrent donc la garantie que personne ne pourra racheter un média ou que celui-ci fasse faillite, cela signifie également que les actions détenues par Xavier Niel le sont ad vitam aeternam. Par ailleurs le fondateur, donc Xavier Niel, désigne lui-même le président du fonds selon l’article cinq des statuts, et peut en changer à tout moment. En l’occurrence, il est allé chercher dans son propre lignage en désignant son fils Jules, alors âgé de tout juste vingt ans. En outre, le conseil d’administration, qui oscille entre six et douze membres, ne compte que deux membres qui ne sont pas nommés par Niel lui-même. Enfin, l’article quatorze stipule qu’en cas de décès du fondateur, ses droits sont transférés à ses ayants droit. Ainsi, Xavier Niel, par l’intermédiaire de ce fonds, offre à lui et ses descendants la main mise sur certains titres dont l’Informé. C’est donc à raison qu’Arrêt sur images s’interroge sur la naissance d’une potentielle dynastie Niel au sein des médias.
« Nous ne sommes à la solde de personne »…
Si beaucoup notent que Xavier Niel n’est pas du genre à s’ingérer au sein des rédactions, rien n’indique, comme le notent Cagé et Huet, que ses successeurs en feront autant. De plus, le fait que Gilles Tanguy soit un ancien employé de Vincent Bolloré, concurrent de Niel, pourrait parfaitement amener une ligne éditoriale faisant de l’Informé l’arme que détiendrait Niel pour éclabousser ses concurrents.
« Nous ne sommes à la solde de personne » se plaît à affirmer Gilles Tanguy. Pour nous en rendre compte, nous sommes curieux à l’idée de constater les évolutions de la ligne éditoriale du journal dans les mois à venir.