Initialement publié le 03/03/2015
Le réseau Internet, avec ses sites et ses blogues, a permis depuis bientôt quinze ans de relativiser les canaux officiels de l’information et d’élargir le spectre critique. Alors que ces canaux étaient peu à peu devenus les pompes à gavage de la Pensée Unique, cette diversification des supports et des médias a sans doute aidé une partie de la population à éviter l’asphyxie intellectuelle complète. Pourtant, étrangement, ces nouveaux espaces dévolus à la réinformation, au décryptage, à la lecture critique des premiers médias, une fois recyclés par ceux-ci, peuvent également être le lieu d’une seconde couche de propagande, incarner une sorte d’IGPN (police des polices) de la pensée ou permettre à des hyper-délateurs de relever les soi-disant dérapages que les journalistes aux ordres, malgré leur zèle, auraient laissé passer. L’OJIM propose à ses lecteurs une sélection éclairante des récents faits d’armes de ces seconds couteaux de la doxa — souvent à la limite du délire…
Afin de n’être pas totalement débordés par l’apparition des nouveaux médias, les médias classiques ont naturellement tenté de les intégrer au mieux au sein de leur propre fonctionnement. En décidant d’héberger de nombreux blogues sur leurs sites, ces médias pouvaient ainsi à la fois rediriger vers eux une partie de l’attention qui s’était détournée et rétablir une hiérarchie qui leur fût favorable : le blogue apparaissant comme un journalisme low-cost pratiqué dans les marges du média classique restauré quant à lui dans sa primauté. Mais si le phénomène des blogues avait pris son essor, c’était, initialement, parce qu’on y trouvait autre chose que la soupe tiède invraisemblablement homogène que déversait la plupart des médias. La « réacosphère », par exemple, proposant des discours alternatifs à l’idéologie libérale-libertaire connut un succès remarquable. Les médias classiques, eux, lorsqu’ils hébergent des blogues et leur accordent leur autorité, ne les sélectionnent qu’à condition qu’ils véhiculent des discours caricaturalement calibrés. On a même parfois l’impression, à leur lecture, que chaque blogueur rivalise de marques d’allégeance à la Pensée Unique. Cette attitude est sans doute inconsciente et l’on peut imaginer qu’elle découle d’une forme d’émulation dans la docilité, parce c’est autant de signes de ralliement qui sont ainsi fournis à un milieu médiatique auquel le blogueur élu rêve sans doute d’appartenir davantage. En tout cas, le résultat est souvent édifiant, parce que loin de diversifier les angles et les analyses, les blogues en question offrent généralement une version simplifiée voire radicalisée de la doxa ; doxa qui se martèle alors sans plus de limites et même avec fureur, comme si, dérouté par l’émergence d’Internet, le « Camp du Bien » avait suscité et intronisé ses cyberkapos.
Cas de conscience d’un fanatique
Le site du Nouvel Observateur dispose d’une véritable meute de soldats « engagés volontaires » de la Bien-Pensance. Le jeune Charles Gautier, par exemple, est tout à fait remarquable. Il a été chargé de réagir chaque semaine au talk show le plus célèbre du PAF, « On n’est pas couchés », qu’anime Laurent Ruquier. C’est là que sévit Aymeric Caron, moitié statisticien, moitié inquisiteur. Le journaliste, dont la foi dans les chiffres truqués de l’INSEE est inébranlable, n’oublie jamais de relever chez les invités le moindre manquement au dogme que ceux-ci auraient pu laisser échapper, cela aurait-il eu lieu trente ans plus tôt et cela n’aurait-il aucun rapport avec le sujet. Pourtant, en dépit de sa vigueur, il semble que le fanatisme du chroniqueur ne soit pas encore suffisamment tatillon et implacable aux yeux du blogueur recruté par L’Obs. En effet, le 7 février dernier, Ruquier reçoit l’écrivain Sylvain Tesson, quasi ressuscité après une chute très grave, et, même si l’invité est encore obligé de se tenir la bouche pour s’exprimer correctement et qu’on ne voit pas en quoi il devrait être responsable des propos de son père, Caron exige néanmoins des explications au sujet de ceux qui firent récemment scandale. En effet, Philippe Tesson, à rebours de l’« esprit Charlie » — lequel suggère de défendre les citoyens français des balles djihadistes grâce à une traque impitoyable de l’amalgame — a lâché : « C’est pas les Musulmans qui amènent la merde en France aujourd’hui ? Il faut le dire ! » Certes, un propos de comptoir, proféré dans une forme particulièrement maladroite par un intellectuel qui, en effet, depuis quelque temps, semble perdre son contrôle, mais qu’on peut comprendre aussi comme une réaction exaspérée au lavage de cerveau « désamalgamant » bombardé par les médias. Sylvain Tesson, donc, reconnaît une maladresse de forme dans de tels propos mais refuse pour autant de condamner son père et de participer ainsi au lynchage que ce dernier subit depuis la phrase malheureuse. Caron, peut-être pris d’un recul salutaire, libéré un instant de ses obsessions inquisitrices, réalise à cet instant – sait-on jamais — qu’il est en train d’insister pour qu’un infirme crache au visage de son propre père devant les caméras de télévision et quelques millions de spectateurs. Il lâche alors sa proie.
Incitation au parricide
« Faiblesse impardonnable ! » s’exclame en substance le jeune blogueur de L’Obs. Pour présenter la scène, il écrit au sujet de Sylvain Tesson : « Auteur-baroudeur reconnu (“Dans les forêts de Sibérie”, etc.), il est venu présenter son nouveau livre “Berezina” dans lequel il raconte son épopée en side-car, pour revivre la retraite napoléonienne. Pourquoi pas. » Passons sur l’expression infâme d’ « auteur-baroudeur » que le blogueur aura préféré à celle, classique, d’ « écrivain voyageur », Gautier surtout, nous dit : « Pourquoi pas. » et l’on se demande vraiment ce que peut signifier ce « Pourquoi pas », lequel serait censé relever quelque incongruité bénigne sur laquelle le blogueur aurait néanmoins choisi de passer, sauf qu’on ne voit pas ce qu’il peut y avoir d’incongru à ce qu’un écrivain en promotion vienne faire la promotion de son dernier livre dans une émission dont c’est la vocation. Bref, Charles Gautier est jeune, il ne sait pas encore écrire français, mais en revanche il y a une chose qu’il sait parfaitement : c’est qu’on ne transige pas avec le dogme. Et qu’un dérapage se paie. Par fils interposé si nécessaire, et qu’importe l’état du fils et l’absurde hérédité qu’on prétend lui faire porter, alors même qu’en règle générale, l’hérédité est un concept haï. Sylvain Tesson, pour n’avoir pas renié son père, est donc subitement amalgamé et accusé d’avoir soutenu « l’impardonnable », rien de moins… Mais si les propos du père sont « impardonnables », quel châtiment doit-il subir ? Charles Gautier ne nous le dit pas. Sauf que c’est tout de même ce qu’implique inéluctablement une notion pareille. Ce qu’il nous dit, en revanche, c’est qu’après « avoir été puéril, le climat de cette émission est maintenant nauséabond. Jusqu’où cela va s’arrêter ? (sic) » ONPC, nauséabond. Ruquier rouge-brun. Caron, crypto-lepéniste… Lorsqu’on entrevoit quelle pureté idéologique le blogueur vise derrière son fatras conceptuel flou et sa langue d’élève de sixième, on en reste effaré.
“ONPC”. Sylvain Tesson défend son père Philippe : des propos lamentables et nauséabonds http://t.co/Y5QHRHsViv via @GautierCharles — Cybile78 (@Sybile78) 9 Février 2015
Le maître : Bruno Roger-Petit
Charles Gautier est jeune et ignorant, dira-t-on, ce qui explique sa fermeture d’esprit et la violence inconsidérée dont il est le vecteur. Certes, mais non seulement il bénéficie de la caution d’un journal censément sérieux, mais il a également comme collègue blogueur sévissant dans la même écurie, un maître relativement âgé et pourtant presque pire que lui, le plus fervent traqueur de déviants de la toile : Bruno Roger-Petit ; un commentateur infatigable, inénarrable, proprement hystérique ; mieux qu’un commentateur : un phénomène toujours au paroxysme. Pour BRP, les fachos (i.e. : tous ceux qui dévient du dogme politiquement correct) sont partout et les grands médias sont accusés en permanence de leur servir la soupe, soit par bêtise, soit par complot… Quand tous les médias ligués tentent pourtant très ostensiblement d’abattre Zemmour en promotion du Suicide français, ce dernier se trouvant toujours et sans doute possible en situation de seul contre tous, BRP, lui, parvient néanmoins à en conclure que tous les médias sont zemmourisés. Lorsqu’Alain Finkielkraut, chez Taddeï (« Ce soir ou jamais ») avait été poussé à bout par le binôme constitué par Abdel Raouf Dafri et Pascal Blanchard dans ce qui ressemblait à un traquenard et qui produisit en tout cas un de ces « clashs » mémorables dont raffolent les internautes, BRP, lui, accuse Taddeï d’avoir mis en scène cet épisode dans le seul but de faire passer Dafri pour un monstre. L’inversion bourreau-victime, ce réflexe mental de la gauche contemporaine, fonctionne à plein régime dans le cerveau de BRP qui nourrit par ailleurs une vision quasi conspirationniste des médias français, dans le sens d’une propagande droitière… À ce niveau-là, certes, on serait tenté par l’analyse psychiatrique du cas BRP — un délire paranoïaque manifeste, sauf que nous ne voulons pas verser dans les méthodes de son camp… Dans la dernière émission de « Des Paroles et des Actes » où le philosophe était invité, BRP, qui écrit à peine mieux le français que Charles Gautier, taxe Finkielkraut de « prédicateur de toutes les plaies qui méritent de s’abattre sur la France. » A‑t-on déjà vu une plaie s’abattre où que ce soit ? On en a vu naître consécutivement à des couteaux qui s’étaient abattus, mais formulée ainsi, la proposition est absurde. « Dans le dernier “DPDA”, Pujadas a fait de Finkielkraut la vedette de l’émission. Et ce n’est pas un choix éditorial innocent. » Complot ! Mais ce que ne veut pas voir BRP et qui est pourtant évident, c’est que si ce genre d’émissions de débat tourne systématiquement autour d’un Zemmour ou d’un Finkielkraut, c’est qu’ils sont les seuls à penser un peu différemment et qu’il faut bien, à la fin, qu’un semblant de débat ait lieu. Mais débattre avec l’adversaire, c’est déjà transiger avec le diable, voilà ce que suffoque en permanence la prose maniaque de ce commissaire politique de banlieue.
Adjoints du CSA
Il arrive également, dans ces blogues assermentés, qu’on en appelle ouvertement à la mobilisation citoyenne pour la censure. Après le pathétique passage de François Asselineau chez Laurent Ruquier en septembre dernier, passage qui avait médiatiquement détruit le politicien amateur, une certaine « C.M. », préférant garder l’anonymat – sans doute parce qu’elle refuse les honneurs –, présentée seulement comme « féministe » (quelle étrange réduction identitaire…), écrit : « J’invite donc les personnes se posant des questions sur la pertinence d’inviter ce genre d’individu complotiste sans le présenter comme tel, ou de le laisser affirmer des inepties manipulatrices sur l’Irak ou les États-Unis, à en faire part au CSA qui croule sous les demandes des sympathisants d’extrême droite/complotistes pour obtenir encore plus de représentativité dans les émissions télévisées. » Où l’on apprend donc que tous les jours des nostalgiques du IIIe Reich rédigent leur missive appliquée au CSA pour demander plus de représentativité médiatique aux théories complotistes et nazies, un Conseil Supérieur auquel il faut se manifester dès lors qu’on se poserait une question sur la pertinence d’une invitation qu’on découvrirait en allumant son téléviseur — forcément, c’est tellement légitime… Délation rageuse sur fond de bêtise satisfaite, réflexions absurdes, rédactions d’analphabètes — de ce côté de la pensée, c’est-à-dire de ce côté des barbelés, tout est permis.
Le débat comme obscénité
Pour François Jost, présenté comme « analyste des médias » et épinglé « expert », la machine analytique s’embourbe au seuil du phénomène Zemmour. Il ne comprend pas que celui qui s’exprime ainsi durant la promotion de son dernier livre et se trouve invité partout ne soit pas un journaliste de gauche. C’est vrai que l’occurrence est rare, mais enfin, dans une démocratie, elle est censée être possible. Mais non, voilà qui est déjà trop pour Jost, inimaginable, suspect, et il tente pourtant par tous les moyens en sa possession (c’est vrai qu’ils sont faibles) d’éclairer ce mystère, mais demeure néanmoins dans un trouble presque opaque. Le fait d’oser inviter à débattre un adversaire idéologique lui pose un problème en soi : « Dès lors, se pose à propos de Zemmour une question qui tarauda les journalistes lors de la montée de Jean-Marie Le Pen : doit-on l’inviter sur un plateau ? Comment le traiter ? » C’est un polémiste, il fait de l’audience, on ne voit pas trop pourquoi il ne faudrait pas l’inviter… « Comment contrecarrer ses arguments ? » Avec des contre-arguments, peut-être ? Et ça ferait un débat ! L’évidence, pour Jost, devient un gouffre incompréhensible. Un débat, il connaît, mais avec quelqu’un qui pense différemment, il trouve tout de même la chose exagérée. Un adversaire qui croit avoir raison, en plus, et qui ne s’excuse pas d’énoncer une idée différente à chaque fois qu’il le fait : « C’est toujours au nom de la vérité qu’il profère ses discours et non au nom de la subjectivité d’une opinion. » On verrait mal le journaliste proférer ses discours au nom du mensonge, et l’on comprend mal comment « la subjectivité d’une opinion » pourrait être le « nom » de quoi que ce soit, mais encore une fois, notre expert qui, visiblement, n’a quant à lui aucun doute sur le bon droit de sa vulgate, s’exprime lui aussi comme un élève de 6ème. « Il avance dans les médias comme un historien », s’étonne encore l’expert, ébahi qu’un journaliste puisse disposer d’un minimum de culture (en filigrane, Jost reproche même à Zemmour de tricher avec tous les livres qu’il a lus…) Enfin, Jost achève par une piste : « Au fond de certains d’entre nous, il y a toujours ces gants de boxe que Paul Amar brandit un jour, pour son malheur, lors d’un débat Tapie-Le Pen. », et de conclure, sentencieux : « N’est-ce pas finalement cela le plus inquiétant : le fait que nous prenons plaisir à ce spectacle ? » Il trouve ça vicieux, Jost, qu’on prenne plaisir à assister à un débat, cela révélerait des penchants pas très nets. Selon sa cervelle 100% stalinienne, la rectitude idéologique uniformément partagée de gré ou de force est une situation beaucoup plus saine pour une société, beaucoup plus propre. L’altérité, en termes d’opinion, voilà qui lui paraît monstrueux ; quant au débat : une jouissance obscène.
Aujourd’hui, le populisme a sa fête: 27 ans de @jeanpierrepernaut
— François Jost (@francoisjost) 25 Février 2015
Marges révélatrices
Ces billets pourraient être considérés, au fond, comme purement anecdotiques ; leur bêtise et leur violence relever d’un phénomène marginal. Cependant, ces cyberfanatiques qui ne rêvent que d’épuration, de geôles, de baillons ou, a minima, de terreur paralysante et qui les rédigent, ces rêves effrayants, dans un français précaire, puéril et confus, ils sont adoubés par les médias dominants – dans les quelques exemples cités ici, par L’Obs. Ces blogues forment les marges d’un certain discours médiatique, certes, mais des marges assumées. Là s’exprime crûment ce qu’on tentera de mettre en forme de manière plus adulte et rationnelle dans les articles officiels. Or, c’est justement tout le fond d’intolérance exaltée, de fureur épuratrice, de prurit de la condamnation, tout le fond à demi avoué de la Pensée dominante qui se trahit au fil de ces blogues. Et ce background mental expose clairement quelles méthodes, quelles pratiques, on est prêt à employer sans frémir et sans honte du côté de la Pensée Unique, du moment qu’on se sent menacé mais qu’on demeure moralement et médiatiquement en position de force.
L’étude de ces blogues apporte une nouvelle pièce au dossier des règles biaisées du débat public, montrant encore de manière transparente où se trouve et d’où s’exerce le fanatisme le plus brutal et le plus décomplexé.
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