[Rediffusions estivales 2017 – article publié initialement le 10/02/2017]
Boomerang : « acte d’hostilité qui se retourne contre son auteur », Nouveau Petit Robert, édition 1993.
« Prends garde de cracher contre le vent » Proverbe navajo
Connaissez vous le Fonds pour l’Innovation Numérique de la Presse, le FINP ? Non ? C’est pourtant le fonds Google pour la France distribuant la manne à la « bonne presse ». Si vous allez sur le site de cette discrète association loi de 1901, vous saurez … et bien presque rien. Ni les rapports d’activité (le dernier remonte à 2013) ni à qui a été distribué la manne, ni qui sont les membres du conseil d’administration, tout au plus aurez vous le nom d’un obscur président. Début février 2017 la dernière actualité postée remonte à juillet 2015. On a connu Google plus réactif.
À moins que… À moins que ni Google ni les heureux bénéficiaires ne souhaitent trop se vanter des détails de l’aide de la multinationale américaine. Tout juste sait-on (mais pas à partir du site) qu’en 2014 le fonds a profité à des « pauvres » : Les Échos comme Le Figaro (2 millions d’euros chacun, Arnault et Dassault remercient), Le Parisien, Rue 89 et quelques autres. Et que sans doute en 2015 et/ou 2016 Le Monde a reçu une partie du trésor comme l’apprend un article du 17 novembre 2016 du quotidien « Le Monde a fait partie des projets soutenus par le FINP et la DNI pour la refonte de ses éditions mobiles, le développement de la vidéo, le lancement de Snapchat Discover, Le Monde Afrique et un futur service de démontage de rumeurs » (c’est nous qui soulignons). Un soutien de combien on ne saura pas. Mais alléluia il est né ce petit service de démontage, c’est Decodex.
Decodex ? Non, ce n’est pas un marsupial australien mais un logiciel maison qui classe les sites internet et les médias en général. Mais attention pas sur des critères politiques, ouh là non ! sur des critères de FIA-BI-LI-TÉ de l’information. Vous insérez l’URL d’un média papier ou en ligne ou radio ou télévision et miracle une petite lumière s’allume, un peu comme les vierges lumineuses à Lourdes. Petite lumière grise : Decodex pas savoir, lui pas dire. Lumière orange : attention ce site peut parfois te donner des informations exactes mais elles peuvent aussi être tronquées ou utiliser des sources non fiables voire militantes, évite mon gars, va plutôt voir ailleurs. Lumière rouge : ça mauvais, patron ! ça sentir roussi et effluves diaboliques, toi partir tout de suite sinon toi risquer contamination. Lumière verte, une douce musique t’enveloppe, fauteuils de cuir anglais et vins de qualité, des hôtesses demi nues t’apportent des petits fours, ce site est fiable, suave, il fleure bon l’encens, lui vrai boula matari, toi bien informé, toi heureux.
Quelques exemples ? Voyons un peu… Le Monde, celui qui produit le Decodex (avec l’aimable assistance financière de Google, reposons la question, combien au fait ?) est … est … Vert ! Vous aviez deviné ? Et les Inrockuptibles (propriété du charmant banquier Matthieu Pigasse co-actionnaire du Monde) ? Vert aussi ! Et L’Express, Libération (propriété du très aimable milliardaire Drahi) ? Vert émeraude ! Et L’Humanité ? Vert encore ! Vous aurez ensuite le choix (personnel) de nuances de vert, vert pomme, vert prairie, vert galant, vert Islam, vert espoir pour tous nos amis de CNN, du Point (François Pinault, autre ami des arts et des lettres) , Arte, RTL, Europe1, L’Obs (propriété de Bergé, Niel, Pigasse, actionnaires du Monde, la confraternité n’est pas un vain mot) et pèle mêle le JDD (Lagardère) France Inter (profession sectarisme), France Culture, France2, FR3, FR5, FR293 etc… tous des copains. Surpris ?
Mais continuons et approchons nous du bord du Styx, la couleur orange, un orange un peu sale et sans doute malodorant, celui des classes dangereuses. Vous y trouverez l’Ojim (hourrah !), Breitbart le site américain qui n’a pas été pour rien dans le victoire de Trump, Boulevard Voltaire, François de souche (quatre millions de visiteurs uniques par mois), TVL, Fakir (pauvre François Ruffin son merveilleux film Merci patron ! sur Bernard Arnault ne lui sera pas pardonné), et un paquet de penseurs et de sites en dehors des clous des médias de propagande subventionnés.
Passant, perds ici tout espoir, tu t’approches des fonds de l’enfer, Charon a pris ton obole, tu es dans le rouge, un rouge profond (Profondo rosso cher à Dario Argento pour les cinéphiles). Pas le rouge baiser, le rouge vampire. Tu côtoieras un site catholique (non, pas ça, pas ça !) comme le Salon Beige, une fondation conservatrice comme Polemia, un site sioniste et conservateur comme Dreuz Info,et d’autres peut-être pires encore. Fuyons prudemment.
Tout ceci prêterait à rire si cette initiative ne s’inscrivait pas dans un ensemble plus vaste. Avec Facebook qui manifeste des velléités de contrôle de l’information il s’agit d’une tentative d’établissement progressif d’un Ministère de la Vérité où le très petit Samuel Laurent du Monde et père du Decodex ne fait figure que d’officiant de quatrième ordre tout droit sorti de 1984 d’Orwell. Le Decodex n’est qu’un Index, non pas votre doigt mais celui du Concile de Trente (1545) repris par l’Inquisition espagnole quelques années plus tard : ce qu’il ne faut pas lire, ce qu’on ne doit pas lire, ce qui devrait être interdit de lire.
Comme le note Daniel Schneidermann dans Libération
« …de quel droit, une source d’information vient-elle dire que d’autres sources d’informations concurrentes sont fiables ou non ? Quelle est sa fiabilité ? C’est comme si on demandait à la compagnie de taxis G7 de labelliser Uber ou aux agences immobilières de dire si Airbnb est une appli cool. Journal favorable à la mondialisation, le Monde classe en vert les journaux pro-mondialisation et les autres en rouge. Le Monde est purement et simplement en conflit d’intérêts. Juge et partie. Mort (provisoire ?) d’une belle idée. »
Résumons : une multinationale américaine finance les programmes d’un journal possédé par des milliardaires et déjà abondamment subventionné. Elle le finance pour établir la Pravda, la Vérité avec un grand V à un moment où les médias et les journalistes sont de plus en plus discrédités comme le prouve à l’envi l’enquête annuelle de La Croix. Quel en sera le résultat ? Le vent des réseaux sociaux se retourne déjà contre l’initiative. Feu vert, méfiance, ce doit être un média de l’oligarchie. Feu orange, à voir. Feu rouge, mérite le détour. De l’art de cracher contre le vent