Ojim.fr
PUBLICATIONS
Yann Barthès, Dilcrah, Netflix, Frontex, Bellingcat... Découvrez les publications papier et numériques de l'Observatoire du journalisme.
→ En savoir plus
PUBLICATIONS
Yann Barthès, Dilcrah, Netflix, Frontex, Bellingcat... Découvrez les publications papier et numériques de l'Observatoire du journalisme.
→ En savoir plus
Decodex : Le Monde financé par Google, l’effet boomerang

1 août 2017

Temps de lecture : 6 minutes
Accueil | Dossiers | Decodex : Le Monde financé par Google, l’effet boomerang

Decodex : Le Monde financé par Google, l’effet boomerang

Temps de lecture : 6 minutes

[Red­if­fu­sions esti­vales 2017 – arti­cle pub­lié ini­tiale­ment le 10/02/2017]

Boomerang : « acte d’hostilité qui se retourne con­tre son auteur », Nou­veau Petit Robert, édi­tion 1993.

« Prends garde de cracher con­tre le vent » Proverbe navajo

Connaissez vous le Fonds pour l’Innovation Numérique de la Presse, le FINP ? Non ? C’est pourtant le fonds Google pour la France distribuant la manne à la « bonne presse ». Si vous allez sur le site de cette discrète association loi de 1901, vous saurez … et bien presque rien. Ni les rapports d’activité (le dernier remonte à 2013) ni à qui a été distribué la manne, ni qui sont les membres du conseil d’administration, tout au plus aurez vous le nom d’un obscur président. Début février 2017 la dernière actualité postée remonte à juillet 2015. On a connu Google plus réactif.

À moins que… À moins que ni Google ni les heureux béné­fi­ci­aires ne souhait­ent trop se van­ter des détails de l’aide de la multi­na­tionale améri­caine. Tout juste sait-on (mais pas à par­tir du site) qu’en 2014 le fonds a prof­ité à des « pau­vres » : Les Échos comme Le Figaro (2 mil­lions d’euros cha­cun, Arnault et Das­sault remer­cient), Le Parisien, Rue 89 et quelques autres. Et que sans doute en 2015 et/ou 2016 Le Monde a reçu une par­tie du tré­sor comme l’apprend un arti­cle du 17 novem­bre 2016 du quo­ti­di­en « Le Monde a fait par­tie des pro­jets soutenus par le FINP et la DNI pour la refonte de ses édi­tions mobiles, le développe­ment de la vidéo, le lance­ment de Snapchat Dis­cov­er, Le Monde Afrique et un futur ser­vice de démon­tage de rumeurs » (c’est nous qui soulignons). Un sou­tien de com­bi­en on ne saura pas. Mais alléluia il est né ce petit ser­vice de démon­tage, c’est Decodex.

Decodex ? Non, ce n’est pas un mar­su­pi­al aus­tralien mais un logi­ciel mai­son qui classe les sites inter­net et les médias en général. Mais atten­tion pas sur des critères poli­tiques, ouh là non ! sur des critères de FIA-BI-LI-TÉ de l’information. Vous insérez l’URL d’un média papi­er ou en ligne ou radio ou télévi­sion et mir­a­cle une petite lumière s’allume, un peu comme les vierges lumineuses à Lour­des. Petite lumière grise : Decodex pas savoir, lui pas dire. Lumière orange : atten­tion ce site peut par­fois te don­ner des infor­ma­tions exactes mais elles peu­vent aus­si être tron­quées ou utilis­er des sources non fiables voire mil­i­tantes, évite mon gars, va plutôt voir ailleurs. Lumière rouge : ça mau­vais, patron ! ça sen­tir rous­si et effluves dia­boliques, toi par­tir tout de suite sinon toi ris­quer con­t­a­m­i­na­tion. Lumière verte, une douce musique t’enveloppe, fau­teuils de cuir anglais et vins de qual­ité, des hôt­esses demi nues t’apportent des petits fours, ce site est fiable, suave, il fleure bon l’encens, lui vrai boula matari, toi bien infor­mé, toi heureux.

Quelques exem­ples ? Voyons un peu… Le Monde, celui qui pro­duit le Decodex (avec l’aimable assis­tance finan­cière de Google, reposons la ques­tion, com­bi­en au fait ?) est … est … Vert ! Vous aviez dev­iné ? Et les Inrock­upt­ibles (pro­priété du char­mant ban­quier Matthieu Pigasse co-action­naire du Monde) ? Vert aus­si ! Et L’Express, Libéra­tion (pro­priété du très aimable mil­liar­daire Drahi) ? Vert émer­aude ! Et L’Humanité ? Vert encore ! Vous aurez ensuite le choix (per­son­nel) de nuances de vert, vert pomme, vert prairie, vert galant, vert Islam, vert espoir pour tous nos amis de CNN, du Point (François Pin­ault, autre ami des arts et des let­tres) , Arte, RTL, Europe1, LObs (pro­priété de Bergé, Niel, Pigasse, action­naires du Monde, la con­fra­ter­nité n’est pas un vain mot) et pèle mêle le JDD (Lagardère) France Inter (pro­fes­sion sec­tarisme), France Cul­ture, France2, FR3, FR5, FR293 etc… tous des copains. Surpris ?

Mais con­tin­uons et appro­chons nous du bord du Styx, la couleur orange, un orange un peu sale et sans doute mal­odor­ant, celui des class­es dan­gereuses. Vous y trou­verez l’Ojim (hour­rah !), Bre­it­bart le site améri­cain qui n’a pas été pour rien dans le vic­toire de Trump, Boule­vard Voltaire, François de souche (qua­tre mil­lions de vis­i­teurs uniques par mois), TVL, Fakir (pau­vre François Ruf­fin son mer­veilleux film Mer­ci patron ! sur Bernard Arnault ne lui sera pas par­don­né), et un paquet de penseurs et de sites en dehors des clous des médias de pro­pa­gande subventionnés.

Pas­sant, perds ici tout espoir, tu t’approches des fonds de l’enfer, Charon a pris ton obole, tu es dans le rouge, un rouge pro­fond (Pro­fon­do rosso cher à Dario Argen­to pour les cinéphiles). Pas le rouge bais­er, le rouge vam­pire. Tu côtoieras un site catholique (non, pas ça, pas ça !) comme le Salon Beige, une fon­da­tion con­ser­va­trice comme Polemia, un site sion­iste et con­ser­va­teur comme Dreuz Info,et d’autres peut-être pires encore. Fuyons prudemment.

Tout ceci prêterait à rire si cette ini­tia­tive ne s’inscrivait pas dans un ensem­ble plus vaste. Avec Face­book qui man­i­feste des vel­léités de con­trôle de l’information il s’agit d’une ten­ta­tive d’établissement pro­gres­sif d’un Min­istère de la Vérité où le très petit Samuel Lau­rent du Monde et père du Decodex ne fait fig­ure que d’officiant de qua­trième ordre tout droit sor­ti de 1984 d’Orwell. Le Decodex n’est qu’un Index, non pas votre doigt mais celui du Con­cile de Trente (1545) repris par l’Inquisition espag­nole quelques années plus tard : ce qu’il ne faut pas lire, ce qu’on ne doit pas lire, ce qui devrait être inter­dit de lire.

Comme le note Daniel Schnei­der­mann dans Libéra­tion

«  …de quel droit, une source d’information vient-elle dire que d’autres sources d’informations con­cur­rentes sont fiables ou non ? Quelle est sa fia­bil­ité ? C’est comme si on demandait à la com­pag­nie de taxis G7 de label­lis­er Uber ou aux agences immo­bil­ières de dire si Airbnb est une appli cool. Jour­nal favor­able à la mon­di­al­i­sa­tion, le Monde classe en vert les jour­naux pro-mon­di­al­i­sa­tion et les autres en rouge. Le Monde est pure­ment et sim­ple­ment en con­flit d’intérêts. Juge et par­tie. Mort (pro­vi­soire ?) d’une belle idée. »

Résumons : une multi­na­tionale améri­caine finance les pro­grammes d’un jour­nal pos­sédé par des mil­liar­daires et déjà abon­dam­ment sub­ven­tion­né. Elle le finance pour établir la Prav­da, la Vérité avec un grand V à un moment où les médias et les jour­nal­istes sont de plus en plus dis­crédités comme le prou­ve à l’envi l’enquête annuelle de La Croix. Quel en sera le résul­tat ? Le vent des réseaux soci­aux se retourne déjà con­tre l’initiative. Feu vert, méfi­ance, ce doit être un média de l’oligarchie. Feu orange, à voir. Feu rouge, mérite le détour. De l’art de cracher con­tre le vent

Voir nos dossiers

Voir aussi

Vidéos à la une

Derniers portraits ajoutés