[Rediffusions estivales 2017 – article publié initialement le 05/05/2017]
Le jour d’après. Jeudi 4 mai 2017, les médias sont unanimes sur un point : le débat télévisé ayant opposé Marine Le Pen et Emmanuel Macron la veille au soir n’a pas été au niveau des attentes. C’est indiscutable. Les raisons en sont multiples et partagées entre les acteurs. L’égalité des responsabilités a‑t-elle conduit à une égalité de traitement médiatique des deux candidats ? Revue de presse.
Durant l’entre-deux tours, le déséquilibre dans le traitement médiatique des deux candidats à la présidence de la République a été évident. Et souvent remarqué, comme analysé ici ou là. Le débat du 4 mai devait être le moment charnière de cette élection. Il a été suivi par plus de 16 millions de personnes. Le score le plus bas de la 5e République. Le jour d’après, les réseaux sociaux laissent paraître le sentiment général des téléspectateurs : la déception. Cela apparaît aussi dans les médias. En sourdine cependant. Car pour la presse le sentiment majoritaire est celui d’une victoire de Macron.
La télévision en continu c’est quand même télé-Macron
BFM reconnaît que Marine Le Pen a imprimé le rythme. Mais c’est dû à son agressivité. La rencontre a été virulente, violente même. La chaîne considère que c’est normal, étant donné les antagonismes opposant les deux adversaires. BFM: « On avait une caricature populiste avec Marine Le Pen ». Face à cela, « un candidat empêché puisque stigmatisé en permanence ». L’emploi du verbe stigmatiser résume la position de la chaîne. Macron annonce qu’il « s’est sali » en débattant avec Marine Le Pen, même si « débattre est nécessaire ». Un sondage « montre » que l’immense majorité des téléspectateurs aurait considéré Macron comme le plus convaincant, au point que son adversaire aurait « perdu 12 % de ses électeurs ». La chaîne insiste sur la question de la sortie de l’euro. Sur BFM, l’analyse ne risquait pas de surprendre. Sentiment général ici : « Marine Le Pen s’est cassée la figure » et sa « dynamique » est brisée. BFM relève une ou deux erreurs « minimes » d’Emmanuel Macron, en particulier son affirmation selon laquelle il y aurait eu plus de chômeurs en 1990 qu’aujourd’hui. Évidemment, à suivre le débat, l’affirmation avait surpris.
Pour CNews, le débat a été marqué par une virulence inédite : les « considérations de programme sont passées au second plan ». La parole est à Macron : « pour la hauteur, il faut être deux ». Puis à Marine Le Pen, pour qui la virulence est liée à un véritable antagonisme politique. Cependant, le sentiment qui domine est que « Marine Le Pen n’a pas mis Macron K.O », bien qu’ayant usé de « toutes les invectives et de toutes les bassesses ». Pour CNews, Marine Le Pen a « dit n’importe quoi, a manqué de professionnalisme, elle s’est noyée ». Tournent ensuite en boucle l’opinion de militants d’En Marche, images multiculturelles, et les appels divers et variés à surtout ne pas s’abstenir.
La presse en ligne ?
Pour Causeur, le débat a été « pitoyable », « ni Macron ni Le Pen n’ont pris la mesure du problème français » selon Jacques Bichot. Il a même été « indigne » aux yeux de David Desgouilles, « à la hauteur de la campagne qui l’a précédé ». Un tel débat montrerait que notre démocratie est « en phase terminale ». Sur Slate, l’analyse est plus orientée : « il nous faut affronter toute la vérité de cet odieux débat », écrit Claude Askolovitch. Pour le journaliste, la simple présence de Marine Le Pen sur le plateau ne pouvait rien produire d’autre que ce genre de débat : « croyait-on, enfin, qu’on puisse dialectiser avec l’extrême-droite, dans le plus apaisé des mondes et sur un plateau télé chatoyant ? Le voulait-on ? Rêvait-on, enfin, d’un lepénisme de bonne compagnie, définitivement intégré au petit spectacle du pouvoir ? Dans ses diatribes et ses mensonges, Le Pen a été honnête avec nous. Elle a transformé un instant démocratique en un marécage boueux ». Face à cela, Macron est notre sauveur. Il y va de la « civilisation » et le vote de dimanche doit éliminer la fille d’un « pervers narcissique », « Satan ». Selon Le Huffington Post, Macron est « jugé deux fois plus convaincant que Le Pen », avec qui il est « impossible de discuter ». Pour Geoffroy Clavel, Marine Le Pen est venu « piétiner » tout ce qui fait la dignité de la fonction présidentielle. Un seul présidentiable sur le plateau : Macron. Cela ne doit pas rassurer pour autant car Trump aussi avait raté ses débats, « on connaît la suite ». Atlantico indique que Macron est jugé le plus convaincant de ce qui a été vu comme un « pugilat » par la presse étrangère. Les Français n’ont réellement été convaincus par aucun des deux. Cependant, Valls et Royal ont trouvé Macron « à la hauteur, sérieux et efficace ».
Les survivants de la presse papier ?
Pour Le Figaro, le débat a vu s’affronter « deux visions profondément différentes de la France et de l’Europe ». La version papier a visiblement été envoyée à l’imprimeur avant la fin du débat. En ligne, la parole est donnée à Jean-Marie Le Pen, lequel estime que le débat a vu s’affronter « des chefs de partis et non des présidentiables ». Le journal a aussi interrogé 5 politologues, membres d’instituts de sondage et communicants. Verdict : ample victoire de Macron. Le Parisien de Bernard Arnault juge que le débat a été brutal. La faute à Marine Le Pen qui a lancé « les hostilités », cherchant à masquer son absence de crédibilité. Selon le journal, islamisme, terrorisme, sécurité, santé, famille, industrie, monnaie, pouvoir d’achat… Il n’y a pas photo. Macron était partout, Le Pen nulle part. Du côté de Libération de Patrick Drahi, le titre de Une résume le sentiment de la rédaction : « Basse du Front ». C’est l’avis habituel, pas de changement majeur en ce matin du 4 mai 2017. D’un côté, la dangereuse Le Pen et ses « agressions » ou sa « démagogie ». De l’autre, l’homme de « raison » Macron. La rédaction ayant choisi depuis longtemps, elle juge de façon guère surprenante que Le Pen « joue en deuxième division ». L’Humanité n’évoque pas le débat mais consacre 8 pages à « démontrer » le danger représenté par « l’extrême droite », reprenant en gros la masse des arguments militants « antifascistes » en usage depuis la création de SOS Racisme. La Croix évoque une « foire d’empoigne », sans aucune clarté, due au comportement de « la candidate d’extrême droite » avec laquelle il serait impossible de dialoguer. À Bruxelles, Le Soir titre sur un « Triste spectacle » et la « violence inouïe » du débat. Résultat des courses ? « La candidate du FN a complètement raté l’occasion de se présidentialiser ». Dans son édition datée du 5 mai, Le Monde du trio Bergé/Niel/Pigasse titre sur « la stratégie du mensonge » de Marine Le Pen. Cette dernière aurait choisi d’endosser le rôle « d’opposante radicale » plus que de présidentiable, multipliant « mensonges » et « contre-vérités ». Une stratégie calquée sur celle de Trump croit savoir le quotidien. Un échec, Macron sortant « vainqueur » de la rencontre.
Et France Inter ?
La radio publique n’est pas réputée pour son impartialité. Le journal de 13 heures du jeudi 4 mai 2017 a‑t-il échappé à cette règle ? Entrée en matière : « Un débat intense. Quelle soirée ». Et juste après : « Jean-Marie Le Pen, en père sévère mais juste, qui trouve que sa fille a manqué de hauteur ». C’est donc l’information prioritaire. Du pain béni pour la radio. Le sommaire est très ample et comporte même un drôle d’invité, psychanalyste, qui estime que « Marine Le Pen a manqué le débat pour retrouver l’image du père ». Le journaliste : un « affrontement violent qu’a voulu d’emblée la candidate du Front National. Ce fut parfois à la limite du supportable, désolé de vous remettre tout cela en mémoire ». La parole est donnée aux deux candidats mais immédiatement le journaliste spécifie que plainte a été déposée contre Le Pen pour « propagation de fausses informations ». La parole passe alors à la rue, à Toulouse. Il en ressort que Macron avait des propositions. Un intervenant du CEVIPOF fait remarquer que ce débat ne peut qu’éloigner encore les citoyens de la politique. Un combat révélateur de notre société, « du délabrement du débat public ». La faute à Marine Le Pen dont la stratégie était de recouvrir Macron d’un « tapis de bombes ». Les « pauvres » journalistes, incapables de maintenir l’ordre, sont plus à plaindre qu’autre chose, devant une « mission impossible ». Le psychanalyste annoncé apparaît : « J’ai vu son père au fond de sa gorge, à Marine Le Pen ». Il y a quelque chose « d’autodestructeur ». Avec une « danse des sept voiles tout à fait grotesque ». Accord généralisé dans le studio. Le journaliste parle de plafond de verre en matière de « capacités intellectuelles », au sujet de Marine Le Pen. Sur France Culture le premier invité du matin est Véronique Nahoum Grappe dont le titre de gloire est d’être la fille d’Edgar Morin et qui a vu des « yeux venimeux » à Marine Le Pen. Pour son interlocuteur le politologue Laurent Bouvet, Marine Le Pen « n’est pas à la hauteur ». L’animateur de l’émission ne précise pas que le « politologue » est membre de la fondation Jean Jaurès, émanation du PS, un oubli sans doute.
Que retenir de la réaction des médias en ce lendemain de débat ? Quelle que soit la qualité ou non des prestations des deux candidats, le 4 mai 2017 des médias est un jour comme les autres : une seule voix. Et une voix qui dit partout la même chose.