[Première diffusion le 8 avril 2016] Rediffusions estivales 2016
C’est ce qu’étaye de façon indiscutable une étude très approfondie sur la formation en Allemagne réalisée sous le patronage du très officiel Bundesministerium für Bildung und Forschung, le ministère fédéral allemand à la formation et à la recherche, une information relayée par les médias allemands.
De nombreux clichés courent partout en Europe sur les relations entre immigration et économie : les entreprises européennes seraient généralement favorables à l’immigration parce que celle-ci permettrait à la fois de combler le manque de main d’œuvre (dans des pays comme l’Allemagne) et de faire pression sur les salaires. L’immigration serait donc une chance pour l’économie (mais pas pour les salariés) et partant pour l’équilibre des comptes sociaux et publics. L’étude dont nous parlons, réalisée auprès de 4 500 personnes âgées de 15 à 79 ans et habitant en Allemagne depuis 12 mois au moins, balaye d’un revers de main l’ensemble de ces assertions. Elle jette un éclairage remarquable sur les questions liant les différentes immigrations et les équilibres économiques et sociaux des pays européens.
C’est le paradoxe de l’Allemagne par rapport à la France : en France l’examen de la réalité est quasi interdit parce que la réalité devient d’essence satanique si elle contredit l’idéologie officielle. La France des médias dominants devient un État néo-soviétique. En Allemagne, la tradition de sérieux et de rationalité demeure un des piliers de la culture de l’État prussien. Certes, l’étude Bildung in Deutschland 2014 (La formation en Allemagne en 2014), un pavé de 357 pages publié par W. Bertelsmann Verlag (wbv) sous l’égide de la très officielle conférence permanente des lands de la République Fédérale d’Allemagne et du Ministère Fédéral à la Formation et à la Recherche, veille à rester pétrie de bons sentiments. Et les médias mainstream sont restés prudents : « Les Turcs sont ceux qui posent le plus de souci d’intégration » (Die Welt) ; « Les Turcs ont complètement décroché », « Aucune chance n’est laissée aux Turcs » (n‑tv, chaîne de télévision consacrée à l’info en continu, filiale de RTL) ; « Les Turcs doivent sortir de leur rôle en marge de la société » (TAZ). Les politiciens d’extrême-gauche et les Verts sont quant à eux furieux des conclusions « ethnicisantes » de l’étude.
Celle-ci n’en permet pas moins de tirer un certain nombre de constats passionnants sur les questions liant les immigrations et les équilibres économiques et sociaux. Que révèle cette étude relayée par les médias? Que le système de formation allemand, pourtant orienté vers les besoins de l’économie contrairement à son homologue français (avec pour corollaire le fait que ceux qui en sortent ont de bonnes chances de trouver un emploi) est loin de profiter à tous dans les mêmes proportions selon leurs cultures d’origine. Qu’on juge plutôt de quelques faits chiffrés :
- Les Allemands d’origine sortent très majoritairement du système éducatif avec une formation professionnelle ou supérieure. Moins de 10% d’entre eux sortent de leur cursus sans qualification. C’est ce qui explique leur bonne employabilité et leur faible taux de chômage global.
- Trois fois plus de personnes d’origine immigrée en revanche, soit 35%, quittent le système éducatif sans qualification. Mais les différences sont énormes entre les groupes ethniques : les 2/3 des Polonais par exemple possèdent une qualification professionnelle ou supérieure contre 41% des Turcs. Les Grecs obtiennent également d’assez bons résultats.
- Les Turcs ont énormément de difficultés à s’intégrer économiquement et socialement en Allemagne. Et ce nettement plus que les autres groupes d’étrangers, et durablement : 50% des hommes et 60% des femmes d’origine turque sortent de l’école sans aucun diplôme de fin de scolarité. 14% seulement réussissent à décrocher le baccalauréat. Cela explique certaines autres caractéristiques sociologiques de ce groupe : 15% des Turcs vivent sous le régime Hartz IV (une sorte de « RSA » allemand), contre 7,6% des Grecs et moins encore pour les Polonais ; et les Turcs qui travaillent sont très souvent de modestes ouvriers qualifiés et non des techniciens recherchés et bien payés ; 70% des femmes d’origine turque finissent femmes au foyer alors que la plupart des Allemandes travaillent. Elles se marient d’ailleurs en moyenne à 23 ans contre 33 ans pour les Allemandes. Avec au mieux un seul salaire peu qualifié voire l’aide Hartz IV, les foyers turcs décrochent complètement par rapport à des foyers allemands alimentés par deux salaires qualifiés. Mais il y a mieux : cette étude de 2014 réitérée tous les 2 ans depuis 2006 montre en effet que ces caractéristiques ne changent pas dans le temps et même sur plusieurs générations. La communauté turque est en panne et n’apporte que peu à l’économie allemande : les Turcs au chômage ou sous assistanat ne rentrent pas au pays où rien ne les attend ; ils préfèrent vivoter sous perfusion sociale en Allemagne. Près de 20% des Turcs parlent en outre un allemand très approximatif. L’une des raisons à cela est que « les Turcs ont tendance à rester entre eux» : beaucoup d’entre eux en effet épousent des filles peu ou pas qualifiées, trouvées au pays dans le cadre de mariages arrangés dans leurs villages d’origine. Résultat : on ne parle que turc dans leurs foyers, on y regarde la télévision turque et on n’y lit que des journaux turcs. Et ce mode de vie est transmis à la descendance en deuxième et en troisième génération. Les Turcs lient peu de liens matrimoniaux ou même amicaux avec des Allemands.
- Tous les autres Européens en revanche nouent des amitiés essentiellement allemandes et épousent massivement des Allemandes ou d’autres filles d’immigrés ne venant pas de leur pays d’origine. Résultat : leurs familles parlent obligatoirement allemand et leurs enfants deviennent culturellement allemands, l’intégration ne pose donc aucun problème. Les Polonais d’origine touchés par le chômage ne restent pas si ce problème paraît durable : ils préfèrent rentrer chez eux pour travailler à un moindre salaire, quitte à continuer leur recherche d’emploi allemand depuis la Pologne, mais en restant occupé. C’est donc bien la perspective d’un salaire supérieur qui les pousse vers l’Allemagne. Ils viennent pour travailler, payent des impôts et des charges, et ne sont que peu à la charge des systèmes sociaux. Ils sont clairement une aubaine économique et sociale ce qui n’est pas le cas des Turcs. Le souci que nous avions évoqué lors d’un article précédent d’une immigration menaçant les équilibres sociaux fait sens quand on parle d’immigration afro-musulmane. L’immigration européenne se présente en revanche sous un jour très favorable.
Les constats de cette étude sont clairs :
- L’immigration de groupes culturellement proches de l’Allemagne, notamment d’origine slave ou balkanique, ou même d’Europe du Sud a de bonnes chances d’avoir un bilan favorable : ces groupes se fondent rapidement dans la masse allemande, sont intégrés assez vite au plan économique, présentent un degré d’emploi favorable et pèsent assez peu sur les systèmes sociaux ;
- Les groupes culturellement éloignés présentent au contraire un bilan très différencié selon leurs origines. Les Turcs (et il y a fort à parier que ce soit le cas de tous les groupes afro-musulmans) sont mal intégrés sociologiquement et culturellement, peu qualifiés, leurs foyers sont pauvres : ils paient donc moins d’impôts et de charges, consomment moins du fait de revenus nettement inférieurs, et pèsent lourdement sur les systèmes sociaux (chômage, Hartz IV) ;
- Il y a peu de chances par ailleurs que ces groupes « pèsent sur les salaires ». L’économie allemande, très bien différenciée et adaptée à la mondialisation, n’a pas besoin de personnel non qualifié ou va directement le chercher sur place dans des usines implantées dans les pays pauvres. Les salaires du personnel qualifié correspondent au niveau de leur rareté économique et sont encadrés par des conventions collectives.
- Notons que cela n’a rien à voir avec le « racisme », mais bel et bien avec une «adversité culturelle dans le monde » auquel nul ne peut rien, et qui n’est en rien un système hiérarchique dans son essence. Certains Turcs exemplaires réussissent parfaitement en Allemagne et deviennent médecins, ingénieurs, professeurs d’université, écrivains. Ce qui ne marche pas globalement peut marcher au cas par cas. Par rapport à la culture allemande, entendons-nous bien : et ce sont les gauchistes du TAZ qui enfoncent en effet l’un des clous les plus singuliers : […] « Ceux qui croient que le manque d’éducation n’a que des causes sociales et non culturelles se verront infliger un démenti cinglant en regardant l’exemple vietnamien. Aucun autre groupe n’engrange davantage de succès scolaire […] » (des études canadiennes, américaines et brésiliennes parviennent aux mêmes conclusions, NDLR). Les familles asiatiques ont inculqué à leurs enfants la passion de l’apprentissage, de l’éducation et de l’acquisition du savoir. …
- L’économie allemande demande-t-elle massivement une immigration extra-européenne ? Les PME allemandes se jettent littéralement sur les personnes qualifiées, et ce, sans préjuger de leurs origines. Massivement sur les Slaves et les Balkaniques, et les Asiatiques parce qu’ils sont qualifiés. Peu sur les Turcs parce qu’ils ne le sont souvent pas et que les produits à faible valeur ajoutée ne sont jamais produits en Allemagne par une main d’œuvre peu ou pas qualifiée, mais simplement achetés ailleurs. Les Turcs qualifiés sont engagés au même tarif que les autres. Mais pourquoi a‑t-on alors l’impression qu’une pression est exercée par certains milieux économiques en faveur d’une certaine immigration de masse globalement défavorable ? On trouvera des éléments de réponse en allant consulter la passionnante et fort coûteuse page Internet des Integrations-Initiativen der deutschen Wirtschaft (Initiatives d’intégration de l’économie allemande) dont les préférences extra-européennes sont ouvertement affichées au plan visuel. On en apprendra beaucoup par exemple en allant consulter en détail la liste des sponsors, qui est stupéfiante : on y cherchera en vain une PME, même une ETI quelconque. Il n’y a dans cette liste que des grands groupes d’envergure mondiale. Du coup, les contradictions apparaissent flagrantes : en Allemagne comme dans toute l’Europe de l’Ouest… les grands groupes d’envergure mondiale sont globalement, et même massivement destructeurs d’emplois et depuis des décennies ! Ce sont les PME qui créent des emplois, et même en Allemagne suffisamment pour surcompenser les destructions d’emplois par centaines de milliers des grands groupes. Or AUCUNE PME n’est sponsor des Integrations-Initiativen der deutschen Wirtschaft! Risquons ici une explication : les grands groupes d’envergure mondiale sont étroitement liés au monde politique. Ils exercent un chantage à l’emploi (surtout symbolique car si leurs fermetures d’usines font toujours la une des journaux les résultats finaux ne s’en trouvent en rien changés) et se servent souvent de ce chantage pour conforter leur position économique en se faisant accorder des rentes de situation par le monde politique. Les PME n’ont aucun poids pour ce faire… et c’est bien elles qui créent les emplois. La page Internet des Integrations-Initiativen der deutschen Wirtschaft est donc une opération de propagande politique concoctée entre les grands groupes et le monde politique… une imposture, de la poudre aux yeux, dont les personnes photographiées à titre d’exemple ne profiteront pas globalement, puisque les sponsors listés ici payent volontiers de belles annonces, mais n’ont aucun emploi à proposer. En revanche, ce n’est pas non plus pour « peser sur les salaires » qu’ils le font. Ils le font dans le cadre de leur étroite liaison avec un monde politique heureux de voir leur politique idéologique confortée et qui ne poursuit en fait qu’un seul but : consolider ses rentes de situation.