De Hollande à Charlie en passant par Houellebecq, la rentrée de la matinale de France Inter se trouva particulièrement chargée et férocement déroutante. L’OJIM s’est attelé, la semaine du 5 janvier, à l’écoute studieuse de ces deux heures animées chaque matin par Patrick Cohen, deux heures qui donnent le ton à la « Pensée Unique » en cumulant les qualités pour ce faire : émission d’une radio d’État, d’une radio de gauche, d’une radio dominante, régnant (de peu) sur la tranche horaire la plus écoutée de ce type de média.
« Radio-Paris » du troisième millénaire pour son côté institutionnel et propagandiste décomplexé divulgué par une armée de journalistes dont le panorama paraît hermétiquement bouclé par le périphérique, France Inter, dans sa matinale, donne toutes les clés pour comprendre le monde selon l’ « Empire du Bien ». Les plus grandes figures de l’actualité ne manquent pas de venir se faire interviewer durant cette émission où les faits importants à retenir sont détaillés au long de trois journaux (7h, 7h30 et 8h). La météo et le « point route » complètent à merveille ce kit de survie en territoire bobo, alors même que l’auditeur aura été parfaitement imprégné par le climat mental qu’il est censé adopter pour avancer au mieux sur l’autoroute des clichés bien-pensants. Le catéchisme du jour lui aura été déclamé par des éditorialistes faisant figure de gardiens de la foi aussi intransigeants qu’invariables, suffisants, pompeux et dogmatiques, et les articles principaux de sa croyance lui auront même été rabâchés sur d’autres portées, grâce à l’intervention en chaire de comiques dont l’humour s’est depuis longtemps désagrégé sous l’éteignoir du pensum. Cette artillerie lourde du politiquement correct allait cependant subir, en cette première semaine de l’an 2015, de très violents assauts. On crût d’abord que l’événement de cette reprise serait la fade apparition d’un président-fantôme, le lundi 5 janvier, dont le caractère exceptionnel ne tenait qu’au statut officiel de l’invité. Mais après une séquence aux forts relents de malaise face à Michel Houellebecq, le 7, invité que France Inter n’eût pu se permettre de bouder en raison de sa notoriété, ce fut bien évidemment le massacre des journalistes de Charlie Hebdo qui serait la funèbre « sensation » et l’authentique traumatisme de cette semaine ; un événement qui bouleversa la France entière et qui représenta plusieurs très sérieuses raisons de remettre en cause le prêt-à-penser de la radio. Au lieu de quoi, le moindre élément en rapport avec ces attentats renforça encore davantage la foi de nos prêcheurs de l’aube, surmontant toute contradiction par la grâce d’un aveuglement des plus définitifs.
Économie d’une matinale
Sur cette tranche horaire critique, la première station du service public propose un programme très dense au rythme serré constitué d’une suite de brèves séquences environnant les points actualité de la matinée, le tout orchestré par la voix à la fois suave et rauque de Patrick Cohen. Les journaux d’Hélène Fily (7h), d’Hélène Roussel (7h30) et de Mickaël Thébault (8h), s’étendent chacun sur une quinzaine de minutes, présentent les mêmes titres, mais intègrent des reportages ou des « zooms » sur des points différents. La première heure (7h-8h) est plus calibrée et chargée que la seconde ; y interviennent les économistes Dominique Seux et Philippe Lefébure ; l’éditorialiste politique Thomas Legrand ainsi que la nouvelle intervieweuse star Léa Salamé. Après le journal de 8h, c’est Bernard Guetta qui assure une chronique politique dont les orientations ne diffèrent guère de celles de son collègue Thomas Legrand. À 8h30, Bruno Duvic tient une revue de presse, et ce sont les auditeurs de France Inter, en général aussi stéréotypés que les propos dont ils s’abreuvent, qui interviennent lors d’une interview ouverte, laquelle est encore élargie quand Hélène Roussel rapporte des réflexions issues des réseaux sociaux. Chacune de ces heures prétend s’achever avec davantage de légèreté par l’intervention d’un humoriste. Charline Vanhoenacker fait ainsi la transition avec le journal de 8h, tandis que celle précédant le point actu de 9h est assurée par Sophia Aram le lundi et le jeudi, François Rolin le mardi, Nicole Ferroni le mercredi, et enfin François Morel le vendredi. Tous ces comiques commentent à leur manière un sujet d’actualité, et il n’y a donc que Rebecca Manzoni, à 7h24 chaque matin, qui projette quelques minutes l’auditeur hors de l’info brute à la faveur de sa séquence « Pop & Co », un vrai moment de subtilité, d’insolite et d’élégance qui tranche assez franchement avec ce rouleau compresseur qui, comme nous l’évoquions en préambule, aplanit toute la matière de l’actualité afin qu’y circule au mieux une idéologie strictement formatée.
France Inter vs Hollande
Ce qui devait donc être, à l’origine, « l’événement médiatique » de cette rentrée 2015, c’était la venue du président de la République lui-même pour les deux heures de la matinale, le lundi 5 janvier. Cette intervention s’inscrivait dans la démarche de reconquête des suffrages par des prises de parole de proximité qu’envisageait le président le moins populaire de la Vème République depuis quelques semaines. Alors certes, venir se faire cuisiner de grand matin à la radio n’allait pas rehausser la souveraineté présidentielle, mais d’abord, au point où elle avait été abaissée, sans doute Hollande avait-il de la marge, et ensuite, le choix de France Inter ne le mettait guère en danger : le président serait en famille, ne risquait pas de se faire trop chahuter, et pourrait ainsi tenter de commencer par reconquérir son propre camp. France Inter allait donc, pour l’occasion, faire vraiment figure de radio du pouvoir. Or, ce qui rend la radio éligible à ce poste, c’est, comme nous l’avons dit, son respect scrupuleux et intransigeant de la Bien-Pensance, au point où le réel doit en permanence servir l’idéologie et ce lundi, la case « fantasme du retour du fascisme autorisant l’homme de gauche à se grimer en résistant et à se comporter en stalinien » allait être remplie à l’aide d’une anecdote sordide montée en épingle. Le refus par le maire « divers droite » Christian Leclerc de l’inhumation d’un bébé rom dans le village de Champlan (Essonne) allait faire le titre principal des diverses éditions du journal, et dans celle de 7h30, on apprendrait qu’ « en deux jours, c’est devenu comme le symbole de la discrimination. » Pourtant, si ce fait méritait bien sûr d’être à la fois rapporté et condamné, on apprend ce lundi que Christian Leclerc se confond désormais en excuses, insiste pour que le bébé soit inhumé dans sa commune (sa dépouille a été recueillie dans une commune voisine dont le maire peut se targuer de passer maintenant pour le Jean Moulin local…) Bref, on comprend qu’un cafouillage administratif aux conséquences odieuses mais brèves laisse un maire, battant pourtant sa coulpe en public, en proie à un lynchage orchestré par les médias et les associations antiracistes, et que ce fait, désormais éclairci et résolu, est cependant hissé en Une par de nombreux médias dont France Inter afin que soit dénoncé avec la plus grande sévérité le racisme intrinsèque que l’on soupçonne chaque jour dans la population autochtone.
L’interview molle
Pour cette matinale spéciale, la plupart des chroniqueurs va donc participer à cette entrevue avec le président plutôt que de donner les chroniques habituelles. Mais les journalistes ont beau s’y mettre à une petite dizaine, l’interview reste aussi molle que l’attitude générale du président normal. La première partie confronte Hollande aux économistes Lefébure et Seux. Le président, tout en affirmant que la « loi Macron » n’est pas « la loi du siècle », comme s’il s’agissait de la relativiser pour ne pas trop ulcérer son électorat, expose sa soumission totale aux logiques libérales, lesquelles se trouvent en effet inéluctables dans le cadre européen. L’obsession de la croissance et donc de la relance économique par une compétitivité accrue et d’autant plus exigeante dans l’espace de libre concurrence auquel la France se trouve intégrée, pousse le gouvernement à tout faire pour « stimuler l’activité », y compris rendre possible le travail le dimanche, ce que Sarkozy n’était pas parvenu à imposer. Cette soumission totale de la gauche de gouvernement au Marché, Patrick Cohen la relève au moins ironiquement lorsqu’il rappelle une phrase prononcée par le candidat Hollande lors du fameux discours du Bourget : « L’Histoire n’est pas l’addition de fatalités successives… », demandant ensuite au président s’il considère avoir fait de bons choix, et surtout des choix « de gauche ». Mais François Hollande se défausse systématiquement par la langue de bois, l’emploi de périphrases creuses ou de notions générales à l’application très floue (les mots « progrès » et « égalité » sont agités une bonne dizaine de fois à tort et à travers – tout cela est vide, mais le journaliste bien-pensant semble s’en trouver immédiatement ébloui). Thomas Legrand et Léa Salamé tenteront de revenir sur cette réorientation politique, sans pouvoir tirer grand chose d’autre que des feintes et des esquives. Léa Salamé sera la seule, cependant, à poser des questions fondamentales et pertinentes, comme lorsqu’elle voudra faire remarquer à Hollande que les frontières droite-gauche explosent et qu’une partie de la droite a applaudi aux dernières mesures de son gouvernement (toujours le même constat de la soumission au libéralisme).
Le virage vert
L’impression que donnera Hollande, même si cet aspect ne sera malheureusement pas relevé par ses interlocuteurs, c’est que l’écologie est en passe de devenir une cause de substitution pour une gauche définitivement alignée sur le libéralisme. Après avoir remplacé le prolétaire par l’immigré lors du virage libéral de 83 ; il se pourrait que la gauche remplace l’immigré par la planète en 2015, en tant que caution morale suprême. « L’Europe, ce doit être notre protection. », répondra le président face à Bernard Guetta et Luc Lemonier, interrogé sur les questions internationales après le journal de 8h, lors même que c’est l’Europe qui nous a livrés pieds et poings liés au néo-libéralisme comme aux nouveaux assauts migratoires depuis plusieurs années. Donc, il faut badigeonner de vert la trahison et nourrir le « légendaire progressiste » auquel la gauche carbure. Non seulement, Hollande revient à plusieurs reprises sur cette priorité donnée à l’écologie, mais il répond — à une auditrice qui l’interroge sur la taxe Tobin — que les bénéfices recueillis par celle-ci devraient être mis « au service du climat ». Ensuite, Hollande joue de lyrisme au sujet de la conférence sur le climat qui aura lieu cette année à Paris, évoquant le bel enjeu que cela représenterait pour la France en « montr(ant) que c’est à Paris, encore une fois, que les droits humains vont être prononcés ! » Bien sûr, l’emphase dérape dans l’absurde puisqu’on ne voit pas le rapport entre les gaz à effet de serre et les « droits humains », mais ce dérapage trahit ô combien comment Hollande espère investir cette lutte écologique de tout le pathos conquérant que la gauche a toujours alloué à ce qui lui semblait, à tort ou à raison, comme relevant du sacro-saint « Progrès ». Derrière les trémolos, cependant, cette « nouvelle lutte » fait ressortir immédiatement un nombre important de contradictions que personne n’a été en mesure de relever dans le studio radiophonique. Tout d’abord, que la question écologique, posée sérieusement, implique de remettre en cause les dogmes néo-libéraux auxquels sacrifie la gauche éloquemment avec la loi Macron, et leur tyrannie de la croissance. Ensuite que la question écologique, si elle est posée de manière cohérente et générale, ne peut faire l’économie d’une « écologie humaine », comme d’une « écologie des civilisations » ainsi que la défend l’économiste Hervé Juvin. C’est-à-dire qu’on ne peut pas vouloir préserver la diversité des espèces animales et refuser l’exploitation à outrance de l’environnement d’un côté, tout en assurant, de l’autre, la liquidation de la culture française autochtone par l’invasion migratoire et l’exploitation des embryons humains que préfigure la loi Taubira.
La France selon Hollande
Mais le plus remarquable, dans le discours de Hollande, en dehors du fait qu’il brade tout au libéralisme économique sans même en tirer la prospérité, c’est la vision que ce président français a de la France. Une vision totalement abstraite et partiale, complètement fausse, idéologique et utilitaire, mais partagée par la plupart des élites parisiennes et par l’intégralité des chroniqueurs de la matinale qui, pour cette raison, ne se rendent même pas compte du tour de passe-passe grossier qu’effectue le chef de l’État. Hollande revient à plusieurs reprises, tout au long de l’émission, sur le même syllogisme. La première fois qu’il l’emploie, c’est parce que Salamé pose une question majeure que personne d’autre n’a l’idée de poser à France Inter, une question qui touche à la crise identitaire que traverse le pays. « Oui, et elle pèse lourdement. », répond alors le président, donnant donc dans un premier temps l’impression de prendre en compte la souffrance identitaire que vit une partie importante des Français et qu’ont pu souligner autant certains écrivains (diabolisés pour l’avoir fait), l’auteur du Suicide français que le sociologue Christophe Guilluy. Mais c’est alors qu’a lieu la prestidigitation : « Il faut avoir la pensée ferme et garder sa conviction républicaine… », conviction à laquelle s’oppose le fait de « s’en prendre à l’autre » comme dans cette histoire d’inhumation refusée, que nous avons évoquée plus haut, et qu’Hollande s’empresse donc d’utiliser politiquement. Le tour est rejoué un peu plus tard : « Nous parlions tout à l’heure de l’identité de la France qui est à chaque fois mise en cause lorsqu’il y a des peurs… ». Enfin, répondant à un auditeur à la fin de la matinale, Hollande reprend son syllogisme : « Des forces extrêmes qui portent atteinte à nos valeurs et font que la France ne serait plus la France. » La France donc, pour son président actuel, ne recouvre aucun peuple précis, ne porte pas la traîne glorieuse de 1500 ans d’Histoire, n’a ni frontières ni paysages ni visage ni sang ni biographie, ne dispose d’aucune chair, en somme, mais se résume à une pure abstraction, une question de « valeurs », des valeurs « républicaines » (impliquant que la France n’existait pas avant 1789), et des valeurs républicaines qui cependant n’ont rien à voir avec celles des premiers promoteurs de la République – si nationalistes -, ni avec celles des seconds – si impérialistes -, mais avec SCALP et Ras-le-front, en fait, avec la vigilance antifa résistant au fascisme un demi siècle après la mort du fascisme, alors voilà donc le syllogisme : la France, c’est la République et la République réelle, c’est la gauche moderne. La France, c’est Hollande et ses potes, et il est leur président. Ceux qui souffrent, donc, de la destruction progressive de l’identité française, non seulement ne sont pas pris au sérieux par le président, mais de surcroît, celui-ci leur dénie même la « francité » qu’il leur reste.
Débriefing stérile
Les potes de Hollande, ce sont justement les journalistes de France Inter, comme le mentionne d’ailleurs Sophia Aram dans sa chronique. Et ils sont tout aussi incapables d’attaquer leur président, que de faire un débriefing sérieux de l’interview le lendemain. Ils réfléchissent tellement selon les mêmes petits paradigmes étroits, ceux qui définissent sans doute, selon Patrick Cohen, un « cerveau sain », qu’ils sont incapables de réagir à ses propos ou de les mettre en perspective, ne mettant en cause que l’absence de résultats observée sur le plan économique. Est-ce donc pour venir à la rescousse de leur faiblesse critique que Nathalie Kosciusko-Morizet sera, le 6 janvier, l’invitée de Patrick Cohen, censée exprimer la combativité de l’ « opposition » ? Mais de l’opposition à quoi ? Hormis le fait que l’élue UMP ne plaît pas aux auditeurs de France Inter, ce qu’elle préconise va exactement dans le même sens que François Hollande et on l’entend sur-jouer un rapport conflictuel pour tonner qu’il fallait davantage que douze dimanches où l’on pût travailler ou que la loi Macron ne va pas assez loin, même si elle va plus loin que ce que les gouvernements précédents auxquels elle appartenait avaient réalisé. Rien ne la choque dans la vision de la France que divulgue celui qui est censé l’incarner et elle prouve très explicitement cette course de relais pour bâtir le même monde libéral-libertaire présentée fallacieusement comme un duel, cette collaboration effective entre libéraux de droite et de gauche que dénonce le philosophe Jean-Claude Michéa, mais que les journalistes de France Inter, bloqués dans des clivages caduques depuis deux décennies, n’ont toujours pas élucidée. Quant à s’opposer aux manipulations médiatiques, il faut croire que NKM n’en a pas non plus les moyens intellectuels, aussi, quand on l’interroge sur cette histoire de bébé rom, au lieu de dénoncer l’exploitation d’une affaire qui n’en fut pas vraiment une, la numéro 2 de l’UMP apporte docilement sa contribution lacrymale en s’exclamant : « C’était juste insupportable, comme une deuxième mort ! » Elle refuse de rire, en revanche, avec François Rolin qui signera la seule chronique vraiment drôle de la semaine (et pourtant Dieu sait si les médias contemporains ont de comiques à leur bord), en ridiculisant la médiocrité quasi magistrale des textes du groupe Indochine. À défaut d’être fidèle au gaullisme, Nathalie l’est à Bob Morane.
France Inter vs Houellebecq
Si les politiques des partis dominants, à l’instar des journalistes qui les interrogent, marinent tous peu ou prou dans la même soupe tiède idéologique, il est des éléments qui néanmoins y dérogent, parmi quoi, essentiellement : certains écrivains et la réalité. Ces deux types d’éléments vont agir de manière conjuguée le mercredi 7 janvier 2015 pour faire éclater de manière brutale toutes les contradictions internes du multiculturalisme tel que le prônent en chœur Sarkozy, Hollande, Le Monde et France Inter. Le premier de ces éléments, Michel Houellebecq, est plus prévisible que le second, et on parle déjà de lui les jours précédents sa venue. Une polémique le précède en raison du sujet de son dernier roman Soumission, fiction d’anticipation politique envisageant l’arrivée au pouvoir d’un parti musulman en France, en 2022, grâce au consensus quasi collaborationniste de l’UMP et du PS, continuant de désigner comme ennemi fondamental le Front National de Marine Le Pen. Le 5 janvier, Isabel Pasquier, dans le journal de 7h30, avait donné ses impressions sur le livre qu’elle avait qualifié de très « anti-politiquement correct », expliquant que le romancier tirait sur une France résignée et qu’il était difficile de savoir à quel degré il fallait lire ce livre. Bref, le malaise pointe. Le lendemain, Thomas Legrand consacre sa chronique du jour à Soumission, et il attaque le livre sur sa prospective en la qualifiant de parfaitement invraisemblable. « Rien, dans la France d’aujourd’hui, ne peut laisser faire songer à l’émergence d’un Islam politique. » Un 6 janvier 2015, c’est beau comme un constat d’amitié franco-allemande en juillet 1914. Il conclue sur le fait que les « partisans d’une République métissée » représenteraient toujours, en France, la majorité (à rebours de tous les sondages), « n’en déplaise aux pétochards de tout poil. »
Recycler « Pegida »
Le 7, un argument tiré d’une actualité déformée qui n’a rien à voir, cette fois-ci, avec un bébé rom mort, mais qui tient au mouvement allemand « Pegida », va être fourbi contre Michel Houellebecq, l’invité de la matinale. Patrick Cohen tente ainsi d’opposer à l’écrivain ce qui se passe selon lui en Allemagne. Les rassemblements des « Patriotes européens contre l’Islamisation de l’Occident » — Pediga – viennent d’être contrés par des manifestants antiracistes. Or ces rassemblements, débutés à Dresde en octobre 2014 sur le modèle de ceux ayant conduits à la chute du Mur, et ayant atteint 25 000 personnes au courant du mois de décembre, ont certes suscité des contre-manifestations, mais celles-ci n’ont pu faire mesure qu’à condition d’être convoquées sur toute l’Allemagne après avoir été encouragées par tous les médias, les églises, le gouvernement et 90% des partis politiques ! En outre, un sondage du Zeit montre que 49% des Allemands se trouvent en accord avec les revendications de Pegida. Ce qui donc est significatif, c’est l’ampleur et la popularité d’une manifestation initiée de manière spontanée, et pourtant combattue par toutes les instances possibles de pouvoir. Mais il n’est pire sourd que celui qui ne veut entendre. Ainsi, Bernard Guetta, le 7 janvier, vante-t-il la « condamnation unanime de Pegida » (il veut dire par l’unanimité des pouvoirs en Allemagne), qu’il résume à des « manifestations de peur » néanmoins « locales et limitées ». La veille, le même chroniqueur nous avait exposé comment les partis politiques d’extrême-gauche qui ont le vent en poupe en Grèce et en Espagne, « Syriza » et « Podemos », ne représentaient finalement pas des bolchéviques assoiffés de sang mais demandaient seulement la fin des politiques d’austérité et qu’il fallait savoir raison garder. Guetta n’avait pas tort sur ce point. Mais au lieu d’appliquer cette mesure le lendemain à Pegida, en considérant que ces rassemblements ne coordonnaient pas des chemises brunes prêtes à restaurer le National-Socialisme mais simplement des citoyens demandant la fin des politiques d’ensevelissement de leur peuple, de leurs mœurs et de leur culture par d’autres, ce qui constitue finalement une requête aussi raisonnable que légitime, le voici qui déclare : « C’est une peur dont la déraison fait peur. » Outre le ridicule d’une telle formule, considérons ce qu’elle signifie. Le 7 janvier au matin, à France Inter, on exhibe son mépris des « pétochards », et s’il arrive qu’on ait malgré tout peur, c’est de la folie de la part de ceux qui dénoncent une prétendue islamisation de la société occidentale…
Haro sur l’islamophobe
Patrick Cohen cite donc le pseudo-exemple de Pegida tel que trafiqué par Bernard Guetta afin d’arguer à l’attention de Houellebecq de la bonne vigueur des valeurs des Lumières. Il ne note pas que si l’Europe subit réellement une islamisation, laquelle réduirait à néant toutes les valeurs humanistes occidentales en commençant par l’égalité homme-femme, c’est, en ce cas, Pegida qui serait actuellement en position de défendre ces valeurs-là. Mais il ne faut pas trop en demander à un « cerveau sain »… Houellebecq explique alors que les hommes politiques, les juges comme les journalistes sont méprisés par la population, à un point qui en devient alarmant, argument solide qui représentera sans doute sa meilleure défense. Dans sa revue de presse, Bruno Duvic cite l’inénarrable Plenel qui affirme que les Camus, Zemmour ou Houellebecq véhiculent rien moins qu’une idéologie meurtrière. Christophe Barbier attaque. Marc Weitzmann parle de la toxicité de Houellebecq… Dire que tous ces gens, un jour plus tard, « seront Charlie » ; qu’ils s’insurgeront au nom d’une liberté d’expression qu’ils conspuent pour lors, et qu’ils plaindront des dessinateurs assassinés par des terroristes parce que désignés notamment comme « islamophobes » ! Pour l’heure, on n’en est pas encore à l’exécution par les bourreaux islamistes, mais à la dénonciation par les juges de gauche. La comique de service, Nicole Ferroni, s’y mettra également et emploiera sa chronique à tenter de ramener à la raison un écrivain de la stature de Houellebecq qui, on n’en doute pas, avait rudement besoin des leçons singulières de l’amuseuse publique, leçons qui se concluent donc par le fait que c’est avec « la peur à laquelle on perfuse la France que l’on peut amener la France droit dans le mur. » Cette peur, pourtant, est étrangement partagée par Pascal, un auditeur qui trouve, lui, que Houellebecq est courageux, justement. Il faut dire que l’auditeur en question habite Évry, est témoin de l’évolution de la population et des mœurs et dit envisager depuis quinze ans le scénario de Soumission… Par une étrange et soudaine mansuétude, l’auditeur ne sera pas accusé de voir ce qu’il voit par les commissaires politiques de France Inter, avant d’être traité de fasciste, de voir condamner ses propos nauséabonds et que l’animateur lui raccroche au nez tout en appelant la France entière à le fuir comme un pestiféré. Les mêmes propos, dans la bouche d’un Zemmour ou d’un Camus, auraient pourtant immédiatement entraîné une telle réaction. On épargne, désormais, le simple auditeur.
France Inter vs Charlie
Et puis, cette semaine de propagande multiculturaliste et libérale-libertaire exécutée, main sur le cœur, par les gagnants de la mondialisation, dérape brusquement dans le drame. Les confrères de Charlie Hebdo, ce vieux fanzine soixante-huitard globalement remisé du côté du folklore mais néanmoins cohérent sur certains de ses fondamentaux, se font liquider à la kalachnikov par les frères Kouachi, ceux-ci prétendant venger de la sorte le prophète des mahométans. La Charia appliquée manu militari en plein cœur de Paris (quoique la Charia, d’après ce qu’on nous expliquera durant toute la matinée, n’ait rien à voir avec l’Islam). De n’avoir suffisamment « pétoché » quand il était encore temps, comme toujours : les voisins en sont morts, le pays est à genoux, et, découvrant avec effarement ce que dénoncent ceux qu’ils insultent depuis des années, les journalistes de France Inter sont moralement dévastés, et assureront comme ils le peuvent une édition du 8 janvier où les voix s’étranglent à l’orée des micros. Les journaux sont précédés d’un communiqué de condoléances et d’hommage lu par Laurence Bloch. Le directeur de la station et ancien rédacteur en chef de Charlie Hebdo, Philippe Val, est interviewé par Léa Salamé, et, tout en dressant une dichotomie selon laquelle il existerait une bonne irrévérence et une mauvaise irrévérence, une bonne critique de l’Islam et une mauvaise critique de l’Islam, Val case ses anciens collègues dans la première catégorie et amorce leur canonisation civique. « Il faut que les gens républicains qui ne sont pas racistes reprennent une vraie critique de ce qui se passe ! » énonce le patron, sans réaliser que la moindre critique de « ce qui se passe », comme le prouvent tous les jours les chroniqueurs de sa radio, vous exclue mécaniquement du cercle des républicains et vous coud au revers de la veste l’étoile jaune du raciste à abattre, ce qui rend par conséquent une telle proposition strictement irréalisable. La sidération pousse au mysticisme, même quand il s’agit de louanger des athées militants, aussi l’équipe de Charb se verra en cette matinée chargée d’auréoles – il suffit ensuite, comme le fait sans la moindre gêne, Charline Vanhoenacker, de s’identifier aux victimes encore fraîches pour bénéficier d’un éclat au passage et à bon compte, et même si on a toujours fait partie du camp de ceux qui désignent, à défaut de les abattre, les islamophobes ; et non du camp de ceux qui prennent des risques.
La version officielle
Le ministre de l’intérieur, Manuel Valls, intervient à 8h15. Alors qu’on pourrait lui reprocher de n’avoir su mettre en œuvre une politique de surveillance des djihadistes suffisamment efficace, le voilà qui couvre sa faute en désignant des boucs-émissaires. Patrick Cohen, dont le cerveau sain repère instantanément ce genre de réflexes, cette fois-ci, reste coi. Il faut dire que nous sommes sur l’antenne du pouvoir socialiste et que les boucs-émissaires sont de droite. « Nous avons laissé ces dernières années s’installer des discours qui fracturent la société française. », annonce le ministre, laissant très clairement entendre que tout cela est de la faute d’Éric Zemmour (peut-être un peu de Dieudonné aussi). À moins que ces discours qui fracturent la société française fassent référence aux caricatures du prophète, à l’agression symbolique qu’elles représentent pour une partie de la population, auquel cas il faudra bien admettre que Manu n’est pas Charlie. Bernard Guetta poursuit ensuite dans cette croyance puérile en la prophétie auto-réalisatrice qui le caractérise et dont il a déjà fait usage au sujet de Pegida en annonçant que « d’instinct la France s’est rassemblée », comme s’il était en position de le mesurer, et tandis que des signes inquiétants de division autour de ce drame ne cesseront de s’accumuler dès le jour suivant. Abdennour Bidar, invité avec Robert Badinter, désignera lui aussi les vrais dangers qui sont, bien évidemment, les propos d’Eric Zemmour et on nous mettra mille fois en garde contre les amalgames. « La France rassemblée ; pas d’amalgame ; Zemmour coupable » : tout cela semble une feuille de route du gouvernement docilement suivie par les journalistes de la radio d’État. En attendant, les premières discordances avec cette version officielle sont déjà bien visibles sur les réseaux sociaux où fait déjà scandale une liste de tweets de soutien aux terroristes, postés par de jeunes internautes de banlieue.
On ne change pas une méthode qui marche…
Lors de la dernière matinale de la semaine, le vendredi 9 janvier, on reprendra de manière plus énergique – une fois passée la sidération — la stratégie de la veille. On étouffe tout ce qui dérange (on évoquera à peine les problèmes dans les classes alors que sur d’autres médias se multiplient les témoignages de professeurs de banlieue ne parvenant à soumettre leurs élèves à leur devoir d’hommage national…) On continue de s’auto-convaincre avec la salive inusable de Bernard Guetta qui nous explique que le djihadisme est dans l’impasse et que l’État Islamique sera vaincu (aucun soucis à se faire alors !) Et l’on manipule les évènements pour les retourner contre l’ennemi idéologique (Zemmour toujours). Ce matin-là Thomas Legrand recyclera la compassion que suscitent les dessinateurs morts de Charlie Hebdo pour tenter de l’identifier à l’esprit 68 que ceux-ci incarnaient et retourner ainsi ces sentiments contre les pourfendeurs de 68, les « déclinistes », de la sorte mis sur le même plan que les assassins de Charb et Cabu… La méthode est dégueulasse, mais surtout, Legrand a‑t-il été mis au courant que ce n’est pas pour « soixante-huitardisme » mais pour « islamophobie » et pour « blasphème » qu’ont été exécutés les dessinateurs ? Ce qui situe justement Zemmour et Houellebecq sur leur ligne, eux qui seront les jours suivants mis sous protection policière, contrairement à Thomas Legrand.
Une radio à la pointe
Ainsi, nous l’avons vu de manière flagrante durant cette semaine dont les actualités furent si retentissantes, la matinale de France Inter ressemble davantage à une machine de formatage idéologique directement affiliée au pouvoir socialiste qu’à un relais objectif d’informations nourri de points de vue divers et critiques. L’équipe divulgue un discours univoque, de l’animateur principal au dernier des comiques ; l’information est dissimulée ou surexposée et directement ré-exploitée selon l’usage militant qu’on peut faire d’elle ; et la pression idéologique est telle, dans cette sphère hermétique, que les pires évènements venus de l’extérieur ne peuvent avoir raison du moindre détail de la vulgate, quitte à ce que ses propagateurs se voient obliger d’assumer les contradictions les plus manifestes. Première sur ce créneau horaire ; première dans la dénonciation de déviants ; première dans le service du pouvoir ; première dans la divulgation de l’idéologie officielle : France Inter, avec sa matinale, est vraiment à la pointe de la propagande.