Annoncée depuis plusieurs mois et très attendue, la revue trimestrielle de géopolitique Conflits livre son premier numéro daté d’avril-mai-juin 2014. Conçu avant l’annexion de la Crimée par la Russie, le sommaire de ce numéro un est consacré à l’Eurasisme (« Eurasisme, le grand dessein de Poutine »). La revue arrive ainsi à point nommé pour éclairer l’actualité internationale en fournissant des analyses approfondies que les médias traditionnels, dans leur grande majorité, ont malheureusement renoncé à produire, au profit de réactions sentimentales et manichéennes.
Piloté par l’universitaire Pascal Gauchon, fondateur du festival de géopolitique de Grenoble, la nouvelle revue se propose d’exposer « les faits et les réflexions » permettant au lecteur « de comprendre le monde » où il vit, par le biais d’une géopolitique critique privilégiant « le temps long » et « les horizons lointains », mais aussi une « géopolitique des réalités » : « Ce n’est pas que nous ne croyions ni au bien ni au mal, mais il n’est pas sain de mélanger les ordres et de confondre les bons sentiments et la politique », écrit Pascal Gauchon dans un éditorial programmatique. « Le véritable sujet d’étude de la géopolitique, c’est l’antagonisme sous toutes ses formes […] ainsi que les équilibres que ces rivalités finissent par générer, et qui restent toujours fragiles », rappelle l’universitaire qui ajoute : « Nos compatriotes ont tendance à oublier cette réalité. Nous sommes là pour la rappeler ». Nul hasard donc au nom donné à la revue.
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— Revue Conflits (@revueconflits) 28 Mars 2014
Le dossier consacré à l’Eurasisme rappelle ainsi que la guerre froide, dont on annonce aujourd’hui la résurgence, ne s’était somme toute jamais interrompue. La politique des États-Unis, « d’une remarquable continuité depuis 1991 » est en effet de tout faire pour isoler la Russie et empêcher l’unité de l’Eurasie, inacceptable pour elle, en faisant entrer dans « le système euro-atlantique » les pays de l’ancienne URSS, et en particulier l’Ukraine, et ce, avec le soutien de l’Union européenne. Dès la chute de l’URSS, le politologue américain d’origine polonaise Zbigniev Brzezinski encourageait son pays à isoler la Russie, perçue comme une menace, et à faire rentrer dans « le système euro-atlantique » les pays de l’ancienne URSS. En décembre 2012, Hillary Clinton affirmait encore sa volonté de « ralentir ou empêcher » le processus d’unification conduit par la Russie, processus qui avait déjà conduit à une union douanière entre la Russie, la Biélorussie et le Kazakhstan, effective depuis le 1er janvier 2012. L’Eurasie ne serait alors qu’une réplique à l’atlantisme des États-Unis et de Bruxelles. Un des (nombreux) mérites de ce dossier est de rappeler une vérité que l’on a tendance à oublier : la réalité géographique fondamentale de l’Eurasie est celle de la continuité territoriale (« la grande plaine d’Europe du Nord se déploie sans rupture sensible de la Flandre à la Moscovie ») ; bref, la Russie est en Europe… contrairement aux États-Unis qu’un océan sépare d’elle. Or, « selon la “loi d’airain” de la distance, nous sommes, par la force des choses, plus solidaires de nos voisins que du reste du monde ». La stratégie d’expansion atlantiste de l’Union européenne, fondée sur une instrumentalisation des droits de l’homme, témoigne ainsi d’une dépolitisation de l’Union qui va contre ses propres intérêts… mais pas contre ceux des États-Unis qui, profitant de la « lâcheté » (Jacques Attali) de ses dirigeants ectoplasmiques (Van Rompuy et Ashton) l’instrumentalise de manière évidente.
Un entretien avec le géographe Yves Lacoste, fondateur de la revue Hérodote et précurseur de l’étude de la géopolitique en France ; un article sur le choc des religions en Afrique ; un autre sur la géopolitique de l’ordre teutonique, des chroniques, des portraits et des critiques de livre achèvent de rendre cette jeune revue immédiatement indispensable à tous ceux qui désespèrent de voir le monde expliqué par les amuseurs du « Grand Journal » de Canal+, surtout lorsque ces derniers se moquent de la propagande des médias russes après avoir tranquillement servi leur propre propagande atlantiste…
Crédit photo : DR www.revueconflits.com