« Félicitations. Quelle grande nouvelle. La démocratie est toujours en vie. » C’est par ces mots que Viktor Orbán, premier ministre de Hongrie, a salué sur Facebook l’élection de Donald Trump. De quoi inquiéter la presse libérale de gauche qui y voit une collusion internationale des populistes mais de quoi réjouir les médias conservateurs qui y voient une victoire sur les médias monolithiques de la gauche libérale.
En Hongrie comme ailleurs, l’élection de Donald Trump a généré un grand nombre d’éditoriaux. Peu d’originalité du côté de ceux qui se voient perdants : la presse de gauche libérale proportionnellement surreprésentée dans le paysage médiatique magyar. Comme si son sort était lié à cette élection et à la politique américaine.
À gauche, la crainte de perdre la main
Le quotidien de gauche Népszava (le mot du peuple) a servi de tribune à l’ancienne dirigeante du parti socialiste, Ildikó Lendvai. Celle-ci tente d’expliquer que dans d’autres circonstances, l’électorat de la classe moyenne, qui a voté pour le candidat des Républicains, pourrait voter à gauche. Elle reconnaît à demi-mot que cette classe socio-économique a été délaissée – sous-entendant que c’est aussi le cas en Europe. L’ancienne dirigeante du PS hongrois dénonce la stratégie de Trump qu’elle pense être une stratégie de division. Ainsi appelle-t-elle à une « stratégie de l’inclusion », sans que l’on sache très bien ce que cela signifie. En conclusion elle met en garde la gauche : celle-ci n’a aucune raison de survivre si elle est incapable de mettre en place ladite politique « d’inclusion ».
Dans le même journal, l’auteur Tamás Rónay fustige le genre humain qui va mener la planète à sa perdition. Il estime que la propagande de bas étage et la télé réalité “primitive” poussent les gens à croire tout et n’importe quoi. Selon Rónay, les modérés sont de moins en moins nombreux, et cela explique le soutien à Poutine en Russie, à Xi en Chine et à Erdogan en Turquie. Pour cet auteur le populisme contamine également l’Europe, ce qui expliquerait le Brexit. L’analyste politique de gauche János Széky, dans un article pour Élet és irodalom (Vie et littérature) se dit convaincu que Trump acceptera « l’agression » russe en Ukraine et dit craindre la velléité d’expansionnisme russe. Széky voit déjà la Russie envahir la Hongrie et considère les Hongrois soutenant Trump comme des fans de Poutine et donc comme des traîtres à la patrie, rien de moins !
Enfin, sur le blog Kettős Mérce (deux poids deux mesures), également marqué à gauche, Brigi Kiss reconnaît la victoire de Trump, mais considère qu’il ne s’agit pas d’une victoire démocratique stricto sensu, Trump ne gagnant selon elle qu’à cause du système électoral américain. Toutefois, elle concède que cette élection est un « bras d’honneur aux élites ». Pour une caste médiatique qui se veut globaliste l’inquiétude de perdre partout la main est réelle. Les journalistes et auteurs hongrois, engagés dans la mondialisation depuis leur tour d’ivoire budapestoise, ne s’y trompent pas. Autre son de cloche cependant dans les médias conservateurs et populistes.
La presse pro Orban se réjouit
Le site militant pro gouvernement 888.hu fulmine contre ceux qui voient en Trump une menace pour la démocratie, qu’ils soient aux États-Unis ou en Europe. Pour László Bertha, quelqu’un prouve qu’il est vraiment démocrate lorsqu’il reconnaît la défaite de son candidat. Ceux qui ne le font pas n’ont aucune légitimité pour se dire les défenseurs de la démocratie. L’auteur reconnaît que l’élection de Trump peut amener la fin de quelque chose, mais pas celle de la démocratie : la fin du « monopole libéral de l’opinion ».
Opinion partagée, d’une certaine façon, dans l’édito du vieil ami d’Orbán et chien fou du Fidesz, Zsolt Bayer, qui écrit dans le journal de référence Magyar Hirlap (courrier hongrois) — connu pour être un journal suivant la ligne du gouvernement. Cette élection américaine est la « révolte des sains d’esprit », qui ont mis une fin au règne du « consensus libéral » malgré l’opposition massive des médias. Argument intéressant, surtout d’un point de vue hongrois où l’opposition se plaint de la domination des amis d’Orbán sur la presse nationale : pour Bayer, cette victoire contre l’avis des médias prouve que la gauche hongroise est dans le faux lorsqu’elle clame que des élections équitables ne sont pas possibles à cause de la domination en Hongrie de la droite dans les médias. Bayer, toujours gourmand en comparaisons provocatrices, fait même le parallèle entre les représentants du « consensus libéral » et l’infirmière de l’hôpital psychiatrique dans Vol au-dessus d’un nid de coucou. Le trublion de la presse hongroise conclut : « Alors que le consensus libéral voulait pratiquer sur nous une lobotomie, à la toute dernière minute, la révolte a finalement triomphé ».
L’intuition de Viktor Orbán
L’hebdomadaire conservateur Válasz (“réponse”) donne à András Zsuppán la possibilité d’expliquer que Viktor Orbán a pris un risque en soutenant ouvertement le candidat Trump. Même si l’équipe du département d’État, liée à John Kerry et héritée de Hillary Clinton, lui était de toute façon hostile et qu’Orbán n’avait donc pas grand chose à perdre. Toutefois, qualifier la politique migratoire de Clinton de « létale » pour la Hongrie était selon Zsuppán un affront qui aurait pu coûter cher en cas de victoire de Hillary Clinton ; victoire que les médias du monde entier annonçaient. Zsuppán souligne qu’une fois de plus, Viktor Orbán a su écouter son intuition profonde, celle qui le relie aux personnes ordinaires, intuition qui l’amène si souvent à prendre le contre-pied des tendances politiques du moment à la surprise de nombreux observateurs. Les événements lui ont encore cette fois donné raison.
Les réactions de la presse hongroise vont ainsi de l’inquiétude de l’establishment mis à mal à échelle mondiale à la satisfaction des conservateurs qui sentent le vent tourner… et à l’équipe d’Orbán qui triomphe à l’aube d’une nouvelle ère où le petit pays qu’est la Hongrie aura peut-être, grâce à l’homme fort de Budapest, un rôle significatif à jouer.
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