Après des semaines de pressions et d’intenses tensions, le CSA a décidé de ne pas faire passer sur la TNT gratuite les chaînes LCI (groupe TF1), Paris Première (groupe M6) et Planète + (groupe Canal +).
« Les conditions ne sont pas, à la date à laquelle il se prononce, réunies pour autoriser le passage en gratuit des demandeurs », a écrit le CSA mardi dans sa décision, jugeant qu’ajouter trois nouvelles chaînes gratuites serait susceptible de déséquilibrer un marché déjà en pleine crise publicitaire. Des chaînes, « notamment celles qui ne sont pas adossées à un grand groupe », comme L’Équipe 21 ou encore Numéro 23, auraient pu se retrouver nettement pénalisées. Sans parler de la présence, avec LCI, de trois chaînes consacrées à l’information en continu (qui partagent toutes, qui plus est, la même ligne éditoriale…).
Pour Olivier Schrameck, patron du CSA, cette décision « démontre l’indépendance » du Conseil. En effet, dans les semaines qui ont précédé, une intense pression à été mise sur les épaules des Sages de la part des différents acteurs audiovisuels concernés. Chantage et contre-chantage se sont succédé.
Tout a commencé lorsque Nonce Paolili, patron du groupe TF1, a annoncé qu’il serait contraint de fermer LCI dans le cas où le CSA venait à refuser son passage en gratuit. Actuellement sur la TNT payante, LCI perd en effet environ 5 millions d’euros par an et n’est accessible que par 2 millions de téléspectateurs quand les deux chaînes de la TNT gratuite, I‑Télé et BFMTV, sont captées par 30 millions de Français.
Pour contrer ce chantage, BFMTV et I‑Télé sont allées jusqu’à proposer de reprendre, en cas de fermeture, les deux tiers des salariés de LCI. Une manière de rassurer le CSA au cas où celui-ci hésiterait pour des questions sociales. Quelques jours plus tard, c’est le groupe Le Monde qui jouait le rôle de bon samaritain en proposant directement de racheter LCI.
« Les actionnaires majoritaires du Monde mènent cette réflexion depuis quelques semaines dans l’hypothèse où le CSA déciderait de laisser LCI en payant. Puisque les actionnaires de cette chaîne ont déclaré publiquement leur intention de fermer LCI, les actionnaires du Monde pourraient le cas échéant formaliser une offre de reprise dans un délai court », avait expliqué au Figaro Louis Dreyfus, le président du directoire du groupe Le Monde.
Face à cette contre-offensive, Nonce Paolini avait évoqué une « tentative inacceptable dont le seul but est de troubler la sérénité du CSA au moment de sa prise de décision ». Et le patron de TF1 de préciser que LCI n’était pas à vendre, dénonçant des « manipulations détestables » et soulignant les liens qu’entretiennent Alain Weill, patron de NextRadioTV (BFMTV) et Xavier Niel (actionnaire du Monde) autour de la société Iliad…
Malgré toutes ces tensions, le CSA a rendu sa décision : pour LCI, Paris Première et Planète +, c’est non. Du moins, pour le moment. « Si les conditions économiques viennent à changer, nous pourrons reconsidérer les demandes », a confié Schrameck au Figaro. Pas de quoi apaiser les tensions, plus que jamais ravivées par ce refus.
Sur Twitter, les salariés de LCI ont aussitôt faire part de leur déception, et surtout de leurs craintes, en mettant en cause directement le CSA. « Coucou ma fille, ton papa ET ta maman viennent de perdre leur boulot. Dis merci au #CSA », a publié l’un d’eux. « J’espère que le CSA a un job pour ma femme et un pour moi parce qu’on bosse tous les deux chez @LCI et on va avoir notre 2ème enfant », ajoute un autre. Sur un autre angle, un autre internaute fait remarquer : « Résumé de la décision du CSA : il faut que LCI meure pour qu’i>Télé puisse espérer faire des bénéfices un jour. »
J’espère que le CSA a un job pour ma femme et un pour moi parce qu’on bosse tous les deux chez @LCI et on va avoir notre 2ème enfant.
— Benoît Gallerey (@bengallerey) 29 Juillet 2014
Silence dans la rédac, et continuer à faire notre travail, malgré tout… Triste soirée à #LCI pic.twitter.com/URSdzGH3wB
— Julien Roux (@JulienRoux_) 29 Juillet 2014
Comment peut-on éteindre 20 ans d’information de qualité ? Tristesse et incomprehension… @LCI
— RANG des ADRETS (@sander_news) 29 Juillet 2014
À lire ces réactions, les salariés semblent tous soudés derrière Nonce Paolini malgré sa décision (unilatérale) de fermer la chaîne. Du côté du patron de TF1 la colère se mêle à l’incompréhension. « On nous empêche de faire notre métier ! », a‑t-il lancé, jugeant la décision du CSA « tout à fait inexplicable ». « Nous sommes sous le choc, nous allons travailler pour limiter la casse sociale », a‑t-il encore ajouté. LCI pourrait stopper son activité dès le 31 décembre 2014.
Dans la classe politique aussi, le ton est monté. Dans l’opposition, on dénonce une « décision politique scandaleuse » (Sébastien Huygue, porte-parole de l’UMP) ou encore des « motivations politiciennes d’une institution très proche du pouvoir » (Éric Ciotti). Pourtant, comme le souligne Le Monde, ce choix n’était pas non plus du goût de la majorité et même du gouvernement.
Reste pour LCI la proposition de rachat formulée par Le Monde via son trio d’actionnaires BNP. Juste après l’annonce de la décision du CSA, Louis Dreyfus, patron du Monde, a envoyé un SMS à Nonce Paolini pour lui réaffirmer son intérêt pour la chaîne. Mais à TF1, on digère mal que la proposition du Monde ait été faite 8 jours avant la décision du CSA. Un non ferme a donc fait office de réponse. « Au-delà de leur déception compréhensible et d’un premier mouvement d’humeur, l’été devrait leur permettre d’avancer et de discuter avec nous de notre projet afin que les salariés de LCI puissent avoir à la rentrée une autre perspective que la seule fermeture », tempère toutefois Dreyfus.
Enfin, du côté de M6, Paris Première se dit également menacée par cette décision. « Le modèle économique de la chaîne se trouve aujourd’hui mis en péril par cette décision », a‑t-on commenté. Reste à Nicolas de Tavernost, patron du groupe M6, à négocier avec les distributeurs (CanalSat, Numericable…) qui proposent sa chaîne à leurs abonnés dans le but de les convaincre d’augmenter la redevance qu’ils versent au groupe. « Nous allons immédiatement renégocier avec les distributeurs pour voir s’ils font des offres économiquement satisfaisantes pour maintenir Paris Première en payant. Si ce n’est pas le cas, nous engagerons un recours contre la décision du CSA. Et si nous n’obtenons pas satisfaction, nous serons alors obligés de fermer la chaîne en dernier recours », a déclaré Tavernost. Une lutte qui est loin d’être gagnée.
Chez LCI aussi, on « examine les voies de droit (que la chaîne) pourrait être conduite à engager devant les juridictions compétentes ». Pas de quoi faire trembler le patron du CSA. Dans son récent entretien au Figaro, Olivier Schrameck a confié que les Sages attendaient les recours « avec une grande sérénité »… Affaire à suivre.
Voir notre infographie du groupe Le Monde ainsi que notre dossier sur le CSA
Photo : La Tour Mirabeau, siège du CSA. Crédit : h de c via Flickr (cc)