Un économiste à la réinformation
Est-il possible de proposer une information alternative crédible, documentée et rigoureuse ? Doit-elle nécessairement tomber dans l’écueil consistant à accentuer les travers du système médiatique dominant en se donnant les attributs très vagues de « l’indépendance » ou de la « citoyenneté », autrement dit faire preuve de cet excès de vertuisme que dénonçait Philippe Muray ? Réinformer ne consiste pas nécessairement à se montrer plus royaliste que le roi, en changeant simplement la forme mais en préservant le fond, exacerbé et fanatisé de manière à se réclamer de la transgression et de l’iconoclasme. Il semblerait qu’Olivier Berruyer, économiste de formation, actuaire de profession, ait fondamentalement intégré cette donnée à son travail de réinformation : honnête et sans concessions.
Familier de certains plateaux télévisés, comme ceux de BFM Business, de l’émission « Ce soir (ou jamais !) » de Frédéric Taddéï, ou de France 24, il est surtout le rédacteur en chef, depuis son lancement en 2010, du blog Les-Crises.fr qui décortique l’actualité économique, et offre à comprendre les crises bancaires, monétaires et institutionnelles. On y retrouve une ligne idéologique et économique proche de celle de Jacques Sapir, c’est-à-dire souverainiste, eurosceptique, et critique à l’encontre de l’ultralibéralisme et de la financiarisation de l’économie.
Mais depuis les soubresauts de la crise en Ukraine (Euromaïdan renverse le président en novembre 2013, rattachement de la Crimée à la Russie en mars 2014), c’est sur le terrain géopolitique qu’Olivier Berruyer entend donner un autre son de cloche que celui que l’on entend habituellement dans les médias français, caractérisé par une hostilité de principe à la Russie. Cette prise de position quasi-unanime des médias a conduit a certains journalistes à distiller, sans vergogne, un nombre sidérant de mensonges, de contre-vérités ou d’analyses biaisées visant à faire des « révoltés » ukrainiens des martyrs de la construction européenne, sacrifiés sur l’autel de l’impérialisme russe tout droit échappé du XIXème siècle. Le tout au détriment d’une analyse géopolitique que l’on serait en droit de souhaiter plus distanciée et surtout plus équilibrée.
Le blogueur s’est donc attaché à déconstruire la narration officielle forgée par les médias dominants, par le biais d’un travail considérable, qu’il est possible de consulter ici. Olivier Berruyer a mis en lumière une quantité impressionnante de manipulations et de bidonnages, mais aussi des vrais mensonges, qui pour la plupart, une fois dénoncés, ont été immédiatement recouverts d’une chape de silence. Ecumant les médias russes, américains, anglais, allemands et ukrainiens, il fait ce que devraient faire tous les journalistes, de l’information recoupée.
Son « dossier » sur l’Ukraine est donc très vite devenu une source indispensable pour de nombreux internautes cherchant à comprendre de manière globale et la plus objective possible les événements secouant l’Ukraine depuis maintenant un an. Travail salutaire de réinformation qui, une fois n’est pas coutume, ne provient pas d’un individu disposant de la carte de presse.
Formation
Olivier Berruyer est diplômé de l’Institut de science financière et d’assurances, et de l’EM Lyon Business School.
Parcours professionnel
Actuaire de profession (« spécialiste de l’application du calcul des probabilités et de la statistique aux questions d’assurance, de finance et de prévoyance sociale » selon Wikipédia), Olivier Berruyer siège au conseil d’administration de l’Institut des actuaires. Il a par ailleurs été l’invité régulier de nombreux médias. Parmi eux, BFM Business, France 3, Radio Ici & Maintenant, ou encore France 24. En tant que journaliste amateur, il est le créateur du blog Les-Crises.fr, lancé en octobre 2010. Selon le site de classement de la fréquentation des blogs, Teads Labs, Les-Crises.fr est actuellement le blog d’économie le plus consulté en France.
À la rentrée 2021, il annonce lancer un nouveau média en ligne, Elucid. Lancé le 7 octobre 2021, Elucid est un média en ligne « qui se donne pour mission de transmettre les connaissances fondamentales pour redonner le pouvoir aux citoyens ». Traitant de l’actualité française et internationale avec un ancrage dans le temps long et sans course au buzz, le nouveau média veut également constituer « une bibliothèque d’auto-défense intellectuelle » en chroniquant des ouvrages fondamentaux ou en offrant des vidéos de vulgarisation économique. Le site est payant avec une offre de 7 € par mois pour un engagement d’un an. Une manière pour Les Crises de monétiser son offre jusqu’ici gratuite.
Faits notoires
Le 9 mai 2014, Olivier Berruyer est l’invité de l’émission Arrêt sur Images, animée par Daniel Schneidermann, épaulé par la journaliste Laure Daussy. Face à lui, Piotr Smolar, du Monde, et Veronika Dorman, journaliste à Libération. Tous deux sont chargés du traitement de la crise ukrainienne dans leur quotidien respectif. D’emblée, Laure Daussy fait preuve d’une forte hostilité à l’égard de Berruyer. Lui coupant la parole à de nombreuses reprises, elle passe à la moulinette inquisitoriale toutes ses affirmations, leur prêtant des sous-entendus inavouables, le tout avec un air sardonique qu’elle conservera tout au long du débat. Laure Daussy avait visiblement à cœur de défendre le travail de ses confrères journalistes épinglés par Berruyer. Leur manque de déontologie (comme lorsque le journal de France 3 omettait de préciser que les victimes d’un tragique incendie, à Odessa, étaient pro-russes) n’a selon elle pas de fondement idéologique : les journalistes ne disposaient tout simplement pas de l’information. Rien n’est donc jamais sciemment caché et il y a eu, toujours selon elle, « plein de reportages pour montrer à Kiev la présence de néo-nazis ».
En lisant le making off de l’émission, on y apprend que Laure Daussy avait, au cours de la préparation de celle-ci, émis des réserves quant à la présence de Berruyer sur le plateau. Hantise même de la contradiction ? Quoiqu’il en soit l’atmosphère de l’émission s’en ressent. Dans la défense de l’orthodoxie et de la corporation, elle est épaulée par les deux journalistes du Monde et de Libé qui révèlent néanmoins une incapacité inquiétante à produire des arguments, si ce n’est de marteler la vision officielle des événements comme un dogme, avec une certaine condescendance à l’encontre de Berruyer, sans cesse rappelé à sa condition de «non-journaliste», et donc inapte à produire une vérité sur le sujet.
Malgré tout, Olivier Berruyer convainc au cours de cet oral, par la solidité de ses arguments, la supériorité de sa grille de lecture et sa pugnacité, mais aussi par un talent certain à manier l’ironie. Il parvient aussi à se maîtriser face à des contradicteurs qui voient en sa simple présence un crime de lèse-majesté. Ainsi, lorsqu’Olivier Berruyer qualifie le gouvernement de Kiev de « néo-nazi », le journaliste au Monde lui rétorque qu’on nage en « plein n’importe quoi ». Il semble pourtant ignorer la présence de ministres issus des groupes néo-nazis Svoboda et Pravyi Sektor dans le nouveau gouvernement. Selon lui, Svoboda n’a pas d’importance dans le milieu pro-Kiev et il en donne pour preuve que ce parti politique a été hué sur le Maïdan. De quoi relativiser le fait que ses membres occupent des ministères anecdotiques comme celui de la défense, de l’éducation, de la jeunesse ou de l’écologie ? Par la suite, le correspondant du quotidien de référence s’embourbera dans un plaidoyer confus, et surtout contradictoire, puisqu’il concèdera à chaque fois à Berruyer le bien fondé de ses affirmations tout en essayant de les tempérer par une rhétorique faiblarde. « C’est vous qui donnez des oscars aux journalistes français ? », lancera-t-il finalement au blogueur, dans un mélange d’ironie et d’orgueil.
Quant à Véronika Doran, en duplex depuis Moscou, elle ponctue de sourires narquois et un brin hébétés ses affirmations conformistes et manichéennes tout au long de l’émission. Résidant au cœur de la propagande, qu’elle pense probablement surplomber en toute majesté, elle s’en fera pourtant le plus zélé relais, mais du point de vue adverse… Elle dodelinera donc de la tête au moment où Smolar affirme que la propagande russe est parvenue à imposer sa narration, selon laquelle les médias occidentaux mentent sciemment. Une situation mentale, à n’en pas douter, tout à fait orwellienne : ceux qui fustigent la propagande à longueur de temps, ne sont pas forcément les plus à‑même d’échapper à ses implications les plus tragiques.
Cette joute verbale aura donc été une parfaite illustration de l’incapacité du journalisme officiel non seulement à proposer un travail équilibré, apaisé et aussi neutre que possible, mais surtout à considérer avec respect toute critique, ou travail alternatif, qui n’émanerait pas de lui.
Mais la contestation du travail de Berruyer ne s’arrête pas là. L’enquête de Cécile Vaissière Les réseaux du Kremlin en France, parue en 2016 aux éditions Les Petits Matins, n’est pas tendre avec le blogueur et l’accuse d’être un agent de désinformation favorable au Kremlin. Celui-ci aurait la « volonté de déformer les faits, d’attaquer ou de tromper, au moins en ce qui concerne les questions russo-ukrainiennes ». L’intéressé publie un droit de réponse sur son blog et porte plainte pour diffamation concernant des passages du livre. Parmi les six plaignants et sur la vingtaine de passages incriminés, Olivier Berruyer est le seul à obtenir gain de cause.
En outre, à partir de 2017, il affirme qu’il portera désormais systématiquement plainte en cas de diffamation. La liste des calomniateurs dresse un portrait fidèle des chiens de garde de la pensée autorisée, tous plus familiers les uns que les autres aux lecteurs de l’OJIM : Adrien Sénécat et Samuel Laurent des Décodeurs, Raphaël Glucksmann, Jean Quatremer, Laurent Joffrin ainsi que la rubrique Désintox de Libération et Rudy Reichstadt. Berruyer fait remarquer que deux d’entre eux, Glucksmann et Reichstadt, furent d’anciens membres du Cercle de l’Oratoire et que les intellectuels ayant adhéré à ce cercle de pensée néo-conservateur (parmi lesquels Frédéric Encel, Bruno Tertrais) lui vouent une hostilité particulièrement marquée sur les réseaux sociaux. Berruyer trouve toutefois une alliée de poids en la personne d’Aude Lancelin, ce qui explique qu’il ait été invité à s’exprimer sur les ondes du Média, canal officiel de la France Insoumise.
Adrien Sénécat et le directeur de la publication du Monde sont condamnés en décembre 2019 à lui verser 1500 € de dommages et intérêts, le journaliste ayant tenté de faire croire que Berruyer supprimait volontairement de son blog les articles qui ne lui donnaient plus raison. Samuel Laurent est également condamné pour avoir qualifié Berruyer de « faussaire » sur Twitter.
Parcours militant
En 2011, Olivier Berruyer fonde l’association DiaCrisis. Adossée au blog Les-Crises.fr, elle est décrite comme une association scientifique et éducative, ayant pour objet «la recherche, l’information et l’éducation du public à propos des crises de toute nature auxquelles est ou sera confrontée notre Société». DiaCrisis est aussi une plateforme de financement du site, à travers un système de donations des lecteurs.
En novembre 2013, il soutient les fondateurs de Nouvelle Donne, pour leurs positions en faveur de la régulation bancaire, et contre le financiarisme.
Il l’a dit
Au sujet du traitement médiatique occidental de la crise ukrainienne : «Je ne pensais pas qu’on vivrait un tel bourrage de crâne et un tel flot de haine déversé par les médias 100 ans après 1914… Faute de moyens pour en faire plus, l’objet de ce blog, en ce moment est de dénoncer la propagande à l’œuvre dans NOS médias financée par NOTRE argent – car notre pays n’a pas l’excuse d’un régime relativement autoritaire usant de propagande comme c’est le cas en Russie », Les-Crises.fr, édito du 2 octobre 2014.
Au sujet du gouvernement ukrainien soutenu par l’occident : «Le gouvernement comprend 4 factions : les ultra-libéraux / les européistes, une pincée de société civile issue de Maidan, les nazis et les voyous (le cumul est ici possible, et même largement pratiqué…). Un mélange hétéroclite mais cohérent : des banquiers prêts à obéir au FMI, de « businessmen » nés de la chute de l’URSS formés aux États-Unis, des « ministres professionnels » pro-européens, trempés dans les scandales de corruption, proches des clans oligarques », Les-Crises.fr, 12 mars 2014.
«Le travail que j’essaye de faire sur mon blog, c’est de dénoncer ce qui se passe en France, au niveau de la propagande en France. La propagande russe il y en a, qu’ils s’en occupent, moi j’essaye de voir ce qui concerne les français, ce qui me concerne, et que j’ai mon mot à dire de ce qu’il se passe en France », Arrêt sur Images, 9 mai 2014.
« La première est que chacun jugera les méthodes de Rudy Reichstadt : aucune vérification auprès du site cible avant publication, amalgames « plus que border », aucune information de ses lecteurs quand le dessin est corrigé (toujours rien 24 heures après malgré ma demande)… Cela illustre plus généralement la méthode qui se développe actuellement, de généralisation malhonnête, consistant à faire passer une petite erreur non substantielle – comme tout le monde en commet, et tout particulièrement Conspiracy Watch – en une preuve de prétendue « non fiabilité » d’une personne ou d’un site. », Les Crises, 6 août 2017.
Ils l’ont dit
« Je suis citoyen des États-Unis et j’ai une part de responsabilité dans ce que fait mon pays. J’aimerais le voir agir selon des critères moraux respectables. Cela n’a pas grande valeur morale de critiquer les crimes de quelqu’un d’autre – même s’il est nécessaire de le faire, et de dire la vérité. Je n’ai aucune influence sur la politique du Soudan, mais j’en ai, jusqu’à un certain point, sur la politique des États-Unis », Noam Chomsky, 2001.
« Les journalistes des medias traditionnels ne sont plus en situation d’offrir une consécration à qui que ce soit. L’influence de Berruyer sur la Toile est au moins égale à la vôtre », Daniel Schneidermann, sur le plateau d’Arrêt sur Images, émission du 9 mai 2014. Il répondait à Piotr Smolar, correspondant du Monde en Ukraine, qui lui reprochait de donner une tribune à l’expertise d’Olivier Berruyer.
« Ce culte du professionnalisme a eu une influence décisive sur le journalisme moderne. Les journaux auraient pu servir à prolonger et à élargir les assemblées communales. Au lieu de quoi, ils ont adhéré à un idéal fallacieux d’objectivité et ont défini leur but comme la diffusion d’informations fiables – autrement dit, de type d’information qui tend non pas à promouvoir le débat mais à y couper court. Le trait le plus curieux de tout ceci est, bien sûr, que si les Américains se trouvent inondés d’informations, grâce aux journaux, à la télévision et aux autres média, les enquêtes rapportent régulièrement que leur connaissance des affaires publiques est constamment en déclin. En cet « âge de l’information », le peuple américain est notoirement mal informé. L’explication de cet apparent paradoxe crève les yeux, même si on l’énonce rarement : une fois exclus effectivement du débat public pour motif d’incompétence, la plupart des Américains n’ont que faire des informations qui leur sont infligées en de si grandes quantités. Ils sont devenus presque aussi incompétents que leurs critiques l’ont toujours prétendu – ce qui nous rappelle que c’est le débat lui-même, et le débat seul, qui donne naissance au désir d’informations utilisables. En l’absence d’échange démocratique, la plupart des gens n’ont aucun stimulant pour les pousser à maîtriser le savoir qui ferait d’eux des citoyens capables », Christopher Lasch – La Révolte des élites, 1994.
« Donc les universités d’été des socialistes frondeurs, qui se tiendront le week-end prochain à La Rochelle, ont décidé d’inviter Olivier Berruyer, le webmaster du site Les-Crises.fr, pour une table-ronde autour du thème : “Notre adversaire, c’est toujours la finance”. Les-Crises.fr occupe une place toute particulière dans la complosphère : le site relaie des posts issus de sites complotistes (comme l’Agence Info Libre, site animé par des pro-Dieudonné notoires), la prose de l’historienne stalinienne Annie Lacroix-Riz, mais aussi de Gordon Duff (du site antisémite Veterans Today), de l’auteur complotiste Paul Craig Roberts ou de Russia Today. », Rudy Reichstadt, Facebook, 3 septembre 2016.
« C’est Olivier Berruyer, blogueur économique – qui frise souvent le conspirationnisme – qui a inspiré cette idée, en compilant sur son blog une série de Tweets évoquant la destruction du « dernier hôpital d’Alep » sur une période de plusieurs mois. Le site conspirationniste Réseau international a fait le même type de décompte, dénonçant un matraquage médiatique. Mais la compilation du blogueur est composée de messages venus d’un peu partout dans le monde, et pas forcément de journalistes. On y trouve pêle-mêle un consultant en stratégie vivant aux États-Unis, un chercheur londonien, une télévision pakistanaise, un compte qui se revendique du réseau Anonymous… Attribuer à ces initiatives isolées la qualité de « média » semble pour le moins exagéré. » Samuel Laurent et Adrien Sénécat, Les Décodeurs du Monde, 15 décembre 2016.
« Ce dernier parlera longuement des conséquences qu’a eues son classement en rouge par le Decodex du Monde. «Quel employeur a envie d’avoir dans son entreprise quelqu’un qui est classé au même niveau qu’Alain Soral?», lance-t-il de manière rhétorique. Selon lui, Le Monde a mené une croisade contre sa personne, qu’il compare à un combat entre «Mimie Mathy et Mike Tyson». Olivier Berruyer assure avoir été victime d’une mise au ban médiatique et ne plus avoir accès aux médias mainstream, lui qui était invité par France Inter, BFM Business ou encore France 24. », Sputnik France, 24 septembre 2019.
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