Sous couvert d’adapter la loi de 1881 à l’ère numérique, elle pourrait être rendue plus répressive. Le texte plus que centenaire qui est pour le journalisme français l’équivalent des Tables de la Loi, mais qui régit aussi une grande partie des litiges autour de la liberté d’expression, pourrait être revu et corrigé dans un sens moins permissif, afin de lutter contre le terrorisme et le racisme.
Suite aux attentats de début janvier dont la fusillade dans les locaux de Charlie Hebdo, il semble que le pouvoir n’ait retenu comme grande cause nationale, non la lutte contre la montée du terrorisme — ce qui semblait logique — mais… la lutte contre le racisme. Mi-janvier, Christiane Taubira plaidait à l’École Nationale de la Magistrature pour sortir de la loi de 1881 les injures à caractère raciste, homophobe et antisémite pour les introduire dans le code pénal nettement plus répressif.
C’est ce qui est déjà arrivé concernant l’apologie du terrorisme. Le résultat a été d’envoyer des dizaines de jeunes provocateurs en prison… où ils pourront largement passer des paroles à la pratique puisque deux mois après les attentats quasiment rien n’a été fait pour tenter d’endiguer le prosélytisme islamique dans les établissements pénitentiaires français.
L’argumentation de Taubira laissait déjà perplexe Rue89 — pourtant très marquée à gauche. Notamment parce que les autres circonstances aggravantes prévues par la loi de 1881, à savoir la religion, le sexe, le handicap, étaient laissées sur le bord du chemin, et que la possibilité de blocage administratif des sites web — c’est à dire hors du contrôle du juge — laissait planer une dérive liberticide. Risque qui a aussi été soulevé par le Canard Enchaîné et plusieurs médias de tendance libérale comme Contrepoints.
C’est pourtant cette interprétation de l’évolution de la loi de 1881 que semble avoir retenu Axelle Lemaire, secrétaire d’État au numérique, à l’occasion d’un débat au Sénat le 24 mars sur le net et la liberté d’expression. Partant du principe que “Internet a permis le meilleur. (…) Mais Internet est aussi le véhicule du pire”, la secrétaire d’État veut “adapter la loi de 1881 à l’ère du numérique” en simplifiant les procédures pour permettre leur poursuite même si le plaignant a mal qualifié les faits à l’origine de sa plainte, mais aussi en créant un “droit de réponse numérique pour les associations” et surtout “étendre le régime de la responsabilité pénale des personnes morales au-delà des seules entreprises de presse”.
Sénatrice EELV du Val de Marne, Esther Benbassa a estimé que l’arsenal juridique qu’offre la loi de 1881 est insuffisant : “le cadre procédural de la loi de 1881 n’est pas adapté au web 2.0 (…) il est urgent de créer un ordre public numérique”. Toutefois les sénateurs écologistes sont déterminés à maintenir les informations dans le giron de la loi de 1881. Pierre Charon (UMP) plaide en revanche pour une plus grande répression et donc la réduction du périmètre de la loi de 1881 : “nous ne pouvons pas nous abriter derrière la loi de 1881 pour justifier notre passivité. La liberté d’expression est au service de l’homme, non de desseins nihilistes”. Pourtant, depuis 1881, nos parlementaires et gouvernants ont su, à chaque fois que se posait la question d’arbitrer entre liberté et sécurité, se souvenir des paroles de Benjamin Franklin. En sera-t-il de même cette fois ?
Crédit photo : partisocialiste via Flcikr (cc)