Depuis avril 2014 le youtubeur Usul produit sur sa chaîne une série « Mes chers contemporains » dont chaque épisode est consacré à une personnalité (BHL, Besancenot, Chouard, Lordon, Elizabeth Lévy, Pujadas) ou à un thème (la génération Y, le salaire à vie, la pensée 68).
Ces épisodes d’une durée de 20 à plus de 50 minutes, financés maintenant sans publicité via Tipee et construits d’une manière agréable et professionnelle sont largement suivis et diffusés via le web militant « révolutionnaire ». À travers le dernier opus « Le Journaliste, David Pujadas », l’Ojim a voulu savoir de quoi il retournait.
Démarrant de façon hilarante avec les compliments quasi obséquieux de Fabrice Lucchini et Jamel Debbouze envers le journaliste, virant sur un entretien complaisant avec Nicolas Sarkozy et une question incompréhensible de Pujadas à ce dernier sur le CSA (3’30) le portrait annonce la couleur : une dénonciation du journalisme de complaisance. La remise d’une laisse d’or (4’50) à David Pujadas est un moment amusant et la défense de Claude Sérillon écarté pour des raisons politiques est justifiée. Mais pourquoi ne pas parler de la mise au placard tout aussi politique de Fabrice Le Quintrec ? (voir le portrait de l’Ojim « Fabrice Le Quintrec, la liberté au fond d’un placard »).
La critique des médias « très populaire à l’extrême droite » est l’objet d’un numéro de bonneteau virtuose. La critique hors de la gauche marxisante serait exprimée par le seul « Alain Bonnet de Soral », curieusement anobli pour l’occasion. Exit le travail de l’Ojim, ses 180 portraits (dont celui de Pujadas), ses infographies, exit Les Bobards d’or de la fondation Polémia… Mieux : une intéressante juxtaposition permet d’éliminer par un mécanisme de contagion tout un pan de la critique (8’19), réinformation = merdias = gauchiasse = journalopes = pensée unique = bien-pensance. Résumons, celui qui critique la pensée unique est au mieux un éructeur d’insultes ou un grossier personnage. Encore mieux : grand remplacement = complot juif = complot bobo/franc-maçon = complot LGTB anti-France. Citer l’expression grand remplacement fait de celui qui l’emploie un complotiste antisémite. On pourrait attendre plus de finesse.
Les interventions de la chapelle troskyste Acrimed (6’27, 10’15, 21’53, 44’49 etc.) sont dans la droite ligne jargonante des bourdieusants sous-estimant curieusement l’importance des propriétaires des médias et passant sous silence l’habitus (pourtant un concept bourdieusant) des journalistes, leur quant-à-soi, leur conformisme idéologique consentant, l’écrasant formatage des écoles de journalisme et le culte de la pensée unique (une expression à prohiber il est vrai, voir supra).
Au-delà d’excellentes critiques de la superficialité du JT de Pujadas (les toilettes en inox des accusés de terrorisme, un reportage complaisant sur un investissement chinois), la vidéo prend un tournant sur les chapeaux de roues… dans la repentance forcée. Si les JT ne parlent pas de l’Afrique subsaharienne c’est que « ces gens ne sont même pas blancs » (sic) et si on passe sous silence ou presque les grèves à Mayotte c’est parce que ce sont « des noirs qui font grève » ce qui s’explique car « il règne dans les médias un certain entre soi blanc » qui concerne « les téléspectateurs tous blancs et tous un peu racistes ». On pourrait faire remarquer « qu’il règne chez les blogueurs un certain entre soi blanc » dont Usul blanc honteux représente un échantillon type.
Une juste critique de la politique de course à l’audience par Claude Sérillon, un décryptage du « concours de dédicaces » des candidats à la primaire côté Républicains (20’13), un passage en revue des différents registres des émissions consacrées aux attentats de Bruxelles (policier, film catastrophe, politicien, sécuritaire, émotion), le manque d’analyses géopolitiques, une excellente analyse de l’inanité des micro trottoirs, autant de moments intéressants et fouillés des JT de France2.
À l’opposé, qualifier le Petit Journal « d’émission de divertissement » est un contre-sens complet. Usul ne saisit pas que le Petit Journal est le fin du fin du capitalisme libéral : la défense du système sous couvert de dérision contrôlée. De la même façon que Vice News (actionnaires entre autres : Disney et Pigasse) recycle la fausse rébellion au service du capital en mettant ensemble les éléments qui « relient l’insurrection adolescente et le capitalisme » (Libération, 28 mars 2013).
La conclusion est juste : les JT de Pujadas nous renseignent sur une chose « les opinions des journalistes dominants parisiens ». On pourrait compléter en amont par l’effrayant formatage idéologique des écoles de journalisme et le non moins effrayant conformisme intellectuel d’une majorité (non certes la totalité) de journalistes. Camarade, encore un effort !