Le baby-Barthès de Canal+ puis de TMC
« Les gens se méfient moins d’un gamin qui a l’air d’avoir 17 ans. » Martin Weill, L’Obs
À une époque où les médias en perte de vitesse ne jurent plus que par le jeunisme et l’infotainment, Martin Weill était une mascotte toute trouvée. Créature barthésienne adorée des journalistes pour son côté Tintin sympathique et décalé, il a été le globe-trotteur attitré du « Petit Journal » de Canal+ puis de TMC (2013–2018). De l’Iran à Israël en passant par les États-Unis et la Syrie, il assurait la pastille « internationale » de l’émission. Aujourd’hui, il a sa propre émission sur TMC, toujours avec cet angle ultra-incarné et présenté comme « décalé », ce qui se traduit bien souvent par un excès de caricatures et un manque cruel de profondeur. Les supposés complotistes, les populistes ou encore les néo-réacs sont considérés comme autant d’espèces exotiques dans des reportages qui reprennent parfois les codes du documentaire animalier. Entre mettre en boîte et mettre en cage, la frontière est ténue.
Portrait d’un jeune journaliste tel que l’époque les aime : jeune, léger et politiquement correct. Sa première mission : intéresser les jeunes aux sujets internationaux, traditionnels ennemis de l’audimat. Pour ce faire, il a fallu privilégier l’immédiat au détriment du recul et la légèreté au détriment du sérieux. Aujourd’hui, il s’intéresse aux “nouveaux gourous” et aux “nouvelles communautés”.
Enfance et formation
Né en 1987, Martin Weill passe une enfance « normale » à Boulogne. Avec un père imprimeur et entrepreneur (président de Weillrobert, une entreprise de publicité), Pierre-Alain, conseiller fédéral PS de Paris et ancien délégué aux PME au sein du même parti et actuel adjoint au maire du XVIe arrondissement, et une mère attachée de presse, Christine, il est issu de la « petite classe moyenne ». Curieux, passionné, il aime écrire et ses parents le destinent, déjà, à un avenir de journaliste.
C’est ainsi que, dès le lycée, il effectue plusieurs stages dans la presse : au Nouvel Obs, à RTL, et même à la télévision. Il obtient son Bac sans se forcer avant de se lancer dans une licence d’Histoire à la Sorbonne, un peu par hasard. Il enchaîne ensuite avec Sciences Po Bordeaux, période durant laquelle il est sélectionné pour réaliser un double cursus à Cardiff, où il apprend à maîtriser l’anglais.
Il rejoint enfin l’École supérieure de journalisme (ESJ) de Lille où il apprend le métier de JRI, journaliste reporter d’image. Avant même l’obtention de son diplôme, il obtient un contrat d’été à TF1, puis il pige à LCI.
Parcours
Sur la recommandation d’un de ses anciens professeurs, qui a touché un mot à Laurent Bon, lequel cherche une « petite main » pour « Le Supplément » sur Canal+, il rejoint l’émission en septembre 2013. Les choses s’enchaînent alors très vite. « Il était censé faire du fact checking, des petites prises de son. Au bout de quinze jours, il partait en tournage, au bout d’un mois, il faisait des sujets de dix minutes », confiera le producteur.
Un an plus tard, ce dernier cherche désormais, pour « Le Petit Journal », un jeune « qui ait l’âge de ceux qui le regardent ». En août 2013, il devient ainsi reporter pour l’émission de Yann Barthès. « Il y a 150 types qui bossent autant que toi, mais voilà, ça tombe sur toi. On te teste, on t’aime bien, on te fait confiance », le prévient-on. Il a alors 26 ans.
Dans LPJ, on lui donne carte blanche et un budget quasi-illimité pour ses voyages (la chose est assez rare dans le milieu pour être soulignée). Mais attention, pas question de faire des reportages classiques avec une voix soporifique sur des plans de coupe immobiles, façon JT traditionnel : il faut « incarner » son sujet, se mettre en avant et aborder l’information sous un autre angle. « Même si le sujet ne te passionne pas, le côté, “il est où, Martin” retient l’attention du public. Je sais que c’est un peu artificiel, mais si ça permet de raccrocher des gens à un sujet de 10 minutes sur l’Iran, tant mieux », confiait Martin Weill à L’Obs.
De fil en aiguille, il couvre la guerre en Irak, en Syrie, Daech, Boko Haram, la vie des « réfugiés », la présidentielle américaine… On ne lui donne « pas de ligne politique » à suivre, explique-t-il. Malgré tout, il doit défendre « des valeurs universelles ». Entendez par là : l’idéologie droit-de-l’hommiste, démocrate, bien-pensante… qui constitue, en soit, une ligne politique qui ne veut pas dire son nom. Une méthode bien connue et fortement attachée à l’esprit Canal. Ainsi les réfugiés sont-ils, par définition, des victimes systématiquement désintéressées, et les électeurs du Front National comme de Donald Trump des beaufs qu’il faut tourner en dérision, gentiment. Le tout sans « ligne politique », évidemment.
Outre ces considérations sur la ligne idéologique de l’émission, les pastilles internationales de Martin Weill font l’objet de critiques, aussi bien de la part d’autres journalistes, plus « classiques », que des observateurs des médias. On leur reproche un évident manque de profondeur, de recul, et une tendance exagérée à combler le vide par des micro-trottoirs peu qualitatifs. « C’est un risque assumé si on veut essayer de capter une parole authentique plutôt que formatée, d’approcher la vérité essentielle, plutôt que celle des experts », se défend Martin Weill.
Pour autant, comme le note Télérama, « de nombreux reportages donnent l’impression de voir un simple baroudeur du Lonely Planet un peu égaré dans une zone de conflit, se renseignant auprès des passants pour savoir ce qui se passe ». Pour Acrimed également, la case de Martin Weill pose plusieurs problèmes. Tout d’abord, l’information « sérieuse » est prise en sandwich entre l’infotainment et les blagues propres au « Petit Journal ». Ainsi, les sujets dits sérieux se retrouvent bien vite « noyés dans un océan de divertissement ». En témoigne ce sujet consacré à un meeting de Donald Trump où 5 secondes (sur 5 minutes) seront consacrées au meeting en lui-même, résumé de façon simpliste et intéressée. Le reste du temps, on se moque des électeurs de Trump. À la fin du sujet, une discussion de la plus haute importance entre Weill et Barthès vient servir de complément d’enquête : de quelle couleur exactement est la peau de Trump ? A‑t-il de vrais cheveux ?
Qu’a-t-on appris ? Pas grand chose… Pour Acrimed, un autre problème réside dans le fait que le Tintin de Canal+ est le globe trotteur attitré de l’émission et couvre seul la planète entière. « La disparition des correspondants permanents et leur remplacement par des envoyés spéciaux contribue à dégrader la qualité de l’information internationale, qui nécessite pour être fiable et sérieuse une bonne connaissance du pays sur lequel on entend informer », explique Julien Salingue. Or dans les reportages du jeune Martin Weill, le manque de temps conduit bien souvent à véhiculer des clichés qui n’apportent, au final, rien de nouveau à notre perception d’un pays.
Enfin, il est important de noter que dans le programme du jeune reporter, ce dernier monopolise l’écran. Il est présent à l’image 70 % du temps, selon les calculs d’Acrimed. Le fait de se concentrer ainsi sur « les aventures de Martin » plutôt que sur le sujet en lui-même appauvrit inévitablement l’information, alors que « Le Petit Journal » revendique sa mission « d’informer autrement ». En conclusion, « la séquence “information internationale” du “Petit Journal” est finalement à l’image de l’émission elle-même : absence de frontière claire entre information et divertissement (au détriment de la première), priorité accordée à la quantité et non à la qualité, recours (volontaire ou non) aux clichés, raccourcis et approximations, mise en récit et mise en scène destinées à valoriser le journaliste, etc. », estime Acrimed.
Un avis partagé par beaucoup d’observateurs mais qui, audimat et course aux jeunes oblige, ne va sans doute pas être entendu par les producteurs de l’émission, plus soucieux des courbes d’audience et de l’idéologie à véhiculer que de la qualité journalistique.
Faits notoires
Il habite à une centaine de mètres du Bataclan. Lors des attentats du 13 novembre 2015, alors qu’il était de retour de Birmanie, deux de ses amies ont été touchées par les attaques. L’une d’elle est décédée lors de cette nuit tragique.
En un peu plus de deux ans, il a parcouru 553 803 kilomètres, soit quatorze fois le tour du monde. Cet accomplissement entre au demeurant en contradiction avec ses convictions écologistes pour lui qui déclare à Télé Star : « Mais si tout le monde accomplit des petits gestes à son échelle, ça permet d’avancer ».
En avril 2015, Martin Weill et son équipe ont été arrêtés au Maroc puis expulsés alors qu’ils tournaient un reportage sur l’homosexualité (les fameuses valeurs universelles). Ces derniers n’avaient pas eu d’autorisation pour réaliser leur sujet dans le pays.
En 2017, une ancienne camarade de Martin Weill dénonce le harcèlement que celui-ci et un autre journaliste (Hugo Clément) lui ont fait subir pendant leur scolarité à l’ESJ de Lille.
En septembre 2019, à l’occasion d’un reportage consacré aux théories du complot à travers le monde, il met sur le même plan les platistes, qui remettent en question la rotondité de la Terre, et les Afrikaners qui prétendent être victime d’un génocide en Afrique du Sud. Comparaison oiseuse s’il en est, dans un pays où le massacre de familles entières de fermiers est devenu monnaie courante. Son face-à-face avec Alex Jones, une grande figure populiste des médias alternatifs américain au tempérament éruptif, manque de dégénérer lorsque ce dernier, excédé par Martin Weill qui tente de lui extorquer des excuses que Jones avait déjà formulées par le passé, lui propose de se battre. Au préalable, Alex Jones avait comparé la France à un « califat », ce que la voix-off du reportage qualifie d’« aberration nauséabonde ».
Un an auparavant, Weill, tout en sourcils froncés et en rodomontades, avait déjà tenté de piéger Jordan Peterson dans un entretien où il avait fait montre de plus d’agressivité qu’à l’accoutumée. Face à Jones, il se retrouve nez-à-nez avec un interlocuteur beaucoup plus vindicatif qui ne lui cède pas un pouce de terrain. Tintin Weill est, pour la première fois, véritablement déstabilisé lors de ces reportages, habituellement calibrés au millimètre.
Ce qu’il gagne
Non renseigné.
Vie privée
Non renseigné.
Ils l’ont dit
« Symptôme de rédactions ayant progressivement fermé la plupart de leurs bureaux à l’étranger, Martin Weill incarne alors – jusqu’à la caricature – l’envoyé spécial obligé de se démultiplier pour pallier ces fermetures et ce rétrécissement à l’œuvre dans les grands médias. » Acrimed
« En réalité, les équipes du “Petit Journal” ne filment pas des situations et des individus, mais “Martin” dans ces situations ou “Martin” en compagnie de ces individus. » Acrimed
« Avec un ton moderne et un style bien à lui, désormais copié, il réussit le tour de force d’intéresser les jeunes à l’actualité internationale. » L’Obs
« Sacré Martin ! Qu’il soit au coin de la rue ou à l’autre bout de la terre, avec des migrants syriens ou avec des militaires tchadiens, aux côtés des peshmergas en Irak ou des séparatistes en Ukraine, le jeune reporter de 28 ans a su imprimer à chacun de ses reportages un ton, mélange de distance et d’émotion, et un style bien à lui. Une véritable marque de fabrique, qui a soudain fichu un sacré coup de vieux aux JT. » L’Obs
« C’est un format qui donne beaucoup de liberté. On part sur le terrain, on rencontre des gens, et on raconte ce qu’on a vu, sans idée préconçue, sans parti pris, analyse Félix Seger, son cameraman. » L’Obs
« “Son truc, c’est qu’il ne lâche jamais rien”, insiste Laurent Bon, cofondateur avec Yann Barthès de Bangumi. » L’Obs
« “Martin a un très bon contact avec les gens, et il n’a pas peur. Mais sa première qualité, c’est une capacité de travail hors pair. Il est perfectionniste, très exigeant, d’abord avec lui-même”, Félix Seger, cameraman. » L’Obs
« Il n’est pas conscient de sa notoriété. Il reste concentré sur son travail, ça le protège. » Laurent Bon, L’Obs
« À la télévision, il y a deux catégories de personnes. Les hystériques et les obsessionnels. Les premiers, cabotins, en font pour de mauvaises raisons : appartenir au milieu, aller en soirée… Les autres, comme Yann, comme Martin, sont des malades du travail. Ce côté obsessionnel est très important. C’est pour ça que j’ai cru en lui dès le départ. » ibid.
« Sa trajectoire, fulgurante, a de quoi rendre jaloux des bataillons de journalistes minés par le chômage et la précarité. » L’Obs
« Il était censé faire du fact checking, des petites prises de son. Au bout de quinze jours, il partait en tournage, au bout d’un mois, il faisait des sujets de dix minutes. » Laurent Bon, L’Obs
« Martin, looké “jean retroussé sur des bottines” façon Nicolas Ghesquière (le directeur artistique de Louis Vuitton), se déplace par paire pour travailler accompagné de son caméraman Clément Brelet ‑ravissant hipster chevelu-moustachu-barbu-sympa à marinière -. Ensemble, ils forment le parfait tandem arty-néo mignon. » Gala
« En décembre 2017, j’ai décidé de parler publiquement du canular téléphonique dont j’avais été victime cinq ans plus tôt lors de ma dernière année à l’École supérieure de journalisme de Lille en nommant les auteurs de ces agissements, parmi eux les journalistes Martin Weill et Hugo Clément. Trois étudiants de ma promotion, de mon groupe de télévision, qui à deux reprises se sont faits passer au téléphone pour les ressources humaines de Radio France, me faisant miroiter un recrutement et propageant des rumeurs à mon encontre au sein de l’école : je cherchais à voler la place d’autres étudiants dans des médias, je mentais sur mon CV, j’étais ambitieuse au point de vouloir écraser les autres. » Une camarade de promotion dans Medium
« [Martin Weill] n’était pas là ou pratiquement pas (bien que le journaliste avait la constitution, je dirais d’un fringant jeune homme). Je ne pouvais pas l’atteindre. A la place, j’eus une discussion très irritante avec une marionnette, à la fois trop familière et trop désagréable, qui était possédée par son idéologie. » Jordan B. Peterson
« D’abord, le reportage de Martin Weill donne tout de même, globalement, l’impression d’un docu-fourre-tout: de la tiktokeuse filiforme au popeye viandard et moustachu, en passant par le militant zemmourien et la féministe identitaire, les personnages présentés dans le sujet n’ont à peu près rien en commun. En réalité, leur point commun réside dans le regard que porte sur eux le journaliste: leurs idéaux et leurs propos vont à rebours du sens de l’histoire, dogme progressiste qui demeure la référence de pré-pensé médiatique. Ajoutons que ce mélange des genres contribue à discréditer les réactionnaires respectables: il y a quelque chose d’étrange et de contestable à mettre sur le même plan des pratiques traditionnelles du militantisme comme le collage d’affiches ou le tractage, et des stupidités ineptes et, à mon sens, idéologiquement peu fructueuses, comme les singeries de youtubeurs ou de tiktokeurs », Ingrid Riocreux, Causeur, 26 novembre 2021.
Il l’a dit
« Les gens se méfient moins d’un gamin qui a l’air d’avoir 17 ans. » L’Obs
« D’abord, Tintin casse la gueule des méchants. Pas moi. Ensuite, je ne suis plus si jeune que ça. » L’Obs
« Je suis un éternel angoissé. » L’Obs
« Je crains de ne pas avoir grand-chose d’intéressant à dire. Le vedettariat me met mal à l’aise. » L’Obs
« Je ne suis pas un “fils de”. J’ai juste eu beaucoup de chance. » L’Obs
« J’ai une chance folle. Très peu de rédactions donnent autant de moyens à leurs journalistes. Dès lors qu’un sujet tient la route, on me dit : fais-le ! » L’Obs
« On n’est pas exempts de critiques. On n’est pas “le Monde”, c’est vrai. Mais dire que je fais ça pour montrer ma gueule, c’est injuste. » L’Obs
« C’est la mode de critiquer les chaînes d’info et les JT, mais on ne fait pas la même chose. Ils ont énormément de contraintes que nous n’avons pas, comme l’obligation d’être exhaustifs. J’apprends des choses en les regardant. Et à leur place, je ne ferais pas mieux. » L’Obs
« Ce que je trouve quand même hallucinant en France, c’est qu’on est incroyablement bien informé, mais que les gens ne s’en rendent pas compte et ne croient pas en leurs journalistes. » Les Inroks