Avertissement : Cet article résume les tenants et aboutissants d’une affaire pénale en cours, dont les protagonistes présentent des versions divergentes, voire antagoniques. L’Ojim se contente de présenter leurs différents points de vue, sans parti pris aucun. L’usage du conditionnel et la mention de nos sources témoignent de notre impartialité dans un litige qu’il reviendra à la justice de trancher.
Dossier. L’été 2016, endeuillé par les attentats islamistes commis dans l’hexagone (Nice, Saint-Etienne-du-Rouvray) a par ailleurs enrichi la rubrique des scandales. Entre polémique médiatique et affaire de mœurs, à la suite d’une enquête à charge des Inrockuptibles, Jean-Marc Morandini se trouve pris dans un tourbillon qui lui a coûté sa place sur les grilles de rentrée d’Europe 1 et i>Télé. De démentis en contre-attaques, le feuilleton n’en finit plus de rebondir. Résumé des faits.
Acte 1 : Les Inrocks ouvrent le bal
Dans son édition du 12 juillet 2016, l’hebdomadaire Les Inrockuptibles publie un reportage à charge intitulé « Enquête sur les pratiques de Jean-Marc Morandini ». La jeune plume Fanny Marlier y épingle les pratiques olé-olé du producteur Morandini à l’égard des comédiens de sa websérie Les Faucons. D’après la journaliste, dès l’été dernier, JMM aurait imposé « des scènes de masturbation, de nudité frontale » à des « jeunes comédiens qui se disent manipulés » et harcelés sexuellement par l’animateur-producteur. De septembre 2015 à février 2016, le tournage de ce « programme court d’une dizaine de minutes qui raconte la vie d’une équipe de foot dans la banlieue parisienne » aurait été émaillé par de nombreuses scènes de vestiaire et de douches. Une scène de masturbation particulièrement osée serait réservée aux plus de 16 ans, écrivent Les Inrocks, alors que l’ensemble de la série a été proposée gratuitement sur Dailymotion.
Illustré par des images de corps masculins dénudés rappelant les scènes du film Salo ou les 120 journées de Sodome de Pasolini, l’article des Inrocks s’appuie sur de nombreux témoignages peu avares de détails scabreux. Ainsi, Jean-Marc Morandini aurait dissimulé son identité sous le pseudonyme de « Catherine Leclerc » afin de mailer nuitamment les candidats au casting en tout anonymat. « Insistante » et « pressante », ladite Catherine, dont les heures d’envoi des messages coïncideraient avec les connexions de Morandini à sa page Twitter, aurait poussé les comédiens à se filmer en-dessous de la ceinture et à se masturber devant leur écran. Jean-Marc Morandini aurait approché les jeunes acteurs en les contactant via le site de recrutement artistique Nawak.
Si l’on en croit Fanny Marlier, en août 2015, JMM alias « Catherine » aurait incité l’un des apprentis comédiens à pratiquer une fellation à Jean-Marc Morandini en guise d’essai. Le jeune homme, un dénommé Gabriel, aurait refusé un tel épanchement mais se serait néanmoins rendu dans les locaux d’Europe 1 pour briguer un rôle dans la série. Il aurait été reçu par l’assistant du producteur, Kevin Vatant, que l’hebdomadaire Marianne décrivait déjà comme la petite main de Morandini en 2010.
Aux dires de Gabriel, Vatant l’aurait filmé en train de s’exhiber devant la caméra, ce que le collaborateur de Morandini a fermement démenti, niant toute immixtion dans la préparation des Faucons.
Sans préciser de quoi il en retourne exactement, l’hebdo culturel fait parler un comédien aux déclarations lourdes de sous-entendus : « Morandini m’a pris sous son aile pour me faire faire des choses plus osées… ». Jouant sur l’ambiguïté, Fanny Marlier évoque des acteurs âgés « de 18 à 25 ans », l’un d’eux ayant un frère de 14 ans, « Jules », que Morandini aurait tenté de faire venir à Paris pour participer au casting en lui promettant de rembourser ses frais de déplacement. « Catherine » aurait même transmis le scénario d’une scène de masturbation à la fratrie, histoire de justifier le tournage d’une vidéo pornographique — que les deux protagonistes auraient finalement refusé d’expédier au producteur.
Dès le deuxième épisode (sur les quatre de la série), « la nudité est devenue gratuite, sans nécessité », dénonce l’un des comédiens cités par Les Inrocks, lesquels relèvent que le célèbre producteur de films X Marc Dorcel a promu Les Faucons sur son site.
A ce scandale de mœurs se superpose une affaire de droit du travail puisqu’un certain « Quentin » se plaint de l’exploitation dont les acteurs auraient été les objets, la maison de production s’étant borné à leur faire signer une simple autorisation d’apparition à l’image au lieu d’un contrat de travail en bonne et due forme. Sur 35 heures de travail effectif en quatre jours, la société de Jean-Marc Morandini n’en aurait déclaré que quatre – payées 100 euros -, ce qui constituerait une violation du Code du travail, chichement compensée par quelques cadeaux en liquide, selon l’enquête des Inrocks.
Acte 2 : Morandini déboule et débite
Victime d’un complot ?
Dès le 19 juillet 2016, sommé par Europe 1 de rentrer de vacances pour s’expliquer, Jean-Marc Morandini a contre-attaqué. Manifestement heurté de plein fouet par le scandale, l’animateur vedette de la station organise une conférence de presse commençant par ces mots : « ça suffit, j’en prends plein la gueule depuis une semaine », « des articles dégueulasses, des témoignages que personne ne vérifie, des accusations ignobles ». A l’en croire, « Les Inrocks manipulent la vérité, font les chiottes » et « veulent (l)e faire passer pour un immonde pervers » afin d’alimenter une campagne de calomnie. L’instigateur de la camarilla ? Aux yeux de JMM, il s’agirait indubitablement de Marc-Olivier Fogiel, auteur de plusieurs sms de chantage contre Morandini. D’après ce dernier, Fogiel l’aurait menacé de « faire sortir des saloperies » dans la presse si JMM continuait à mentionner à l’antenne les faibles de son émission « Le Divan » sur France 3. Dès la réception de ces messages sur le téléphone de son client, l’avocate de Jean-Marc Morandini les aurait fait constater par huissier et aurait adressé une mise en demeure à Marc-Olivier Fogiel le 14 avril dernier. Deux mois plus tard, après ce qu’il estime être une « mise à exécution » de ces menaces, Morandini annonce porter plainte contre Fogiel.
Jean-Marc Morandini étaie sa thèse en présentant un faisceau d’indices censés accabler Marc-Olivier Fogiel. Celui-ci aurait « activé tous ses réseaux » pour le diffamer, à commencer par les médias propriétés de son « ami et associé Mathieu Pigasse », explique Morandini. Les Inrocks sont en effet la propriété de Pigasse, associé de Fogiel, dans sa holding Les Nouvelles éditions indépendantes, ainsi que l’indiquait le magazine Challenges en 2011. Il est vrai que le ton et le contenu de cette enquête ne laisse pas d’étonner les lecteurs du magazine, peu habitués à ce genre d’articles sensationnalistes.
Morandini rapporte en outre que le site LesJours.fr, dont Pigasse et Fogiel sont actionnaires, a également publié son lot de révélations accablantes et prétendu que la rédaction d’i>Télé ne souhaitait accueillir JMM qui devait y animer une émission quotidienne de 18 heures à 19 heures. Après vérification, le capital du site LesJours.fr s’avère être contrôlé à près de 90% par huit anciens journalistes de Libération, notamment rejoints par des actionnaires minoritaires tels que « MOF Prod (Marc-Olivier Fogiel, 1,24 %) » ou « Les Nouvelles éditions indépendantes (Matthieu Pigasse, 0,99 %) ».
Des conjurés sortis du placard ?
Au milieu de ce vaste complot ourdi contre lui, Morandini désigne « l’homme des basses manœuvres » : Matthieu Delormeau, « ex-amant » de Fogiel et par ailleurs chroniqueur de Morandini dans l’émission éponyme qu’il animait sur Direct 8 de 2006 à 2008. Selon JMM qui dit « détenir des enregistrements » de son implication, Delormeau, connu pour son rôle de souffre-douleur dans l’émission « Touche pas à mon pote » de Cyril Hanouna, aurait manipulé plusieurs comédiens des Faucons. En échange de témoignages compromettants, Delormeau se serait engagé à payer les frais d’avocats, allant jusqu’à « harceler » certains acteurs qui s’en seraient émus auprès de Jean-Marc Morandini. Si ce dernier dit vrai, Delormeau aurait essayé d’accélérer son licenciement d’Europe 1 et NRJ 12 afin de prendre sa place, anticipant la suspension des émissions de Morandini prévues à la rentrée. Pire, le complice présumé de Fogiel aurait carrément contacté l’ONG « La voix de l’enfant » pour la persuader de se porter partie civile contre Morandini en prétendant que ce dernier aurait abusé de mineurs.
Là où le comique le dispute au sordide, c’est lorsque l’acteur pornographique belge Chris Bieber s’introduit dans la polémique. « Ami » de Delormeau, si l’on en croit Morandini, ce « sosie raté » d’un chanteur américain pour adolescents dit avoir été harcelé par l’animateur-producteur voici quelques années. « La pire des choses, c’est qu’il utilise tes photos, il les balance partout. », s’indigne le jeune acteur X, avant d’indiquer sur sa page Twitter que « l’affaire Morandini ne soignera pas (s)es blessures… » puis de proposer un florilège de ses meilleures « éjacs » (sic) Concédant une absence totale de preuves, Chris Bieber affiche néanmoins une vieille photo en compagnie de Morandini, qui a longtemps rapporté les frasques du jeune homme sur son blog.
#MorandiniGate n’a fait que renvoyer le ballon dans mon camp, j’ai bien évidemment les preuves de mon histoire avec Morandini.…
— Chris Bieber (@ChrisBiebersosi) 19 juillet 2016
Ni sexe ni magouilles ?
Revenant sur le volet sexuel de l’affaire, Jean-Marc Morandini relativise l’importance, des scènes de nu, ne s’étirant que sur « deux minutes par épisode », sans « aucune relation sexuelle ». Et le producteur en colère de rappeler que « les acteurs savaient ce qu’ils venaient tourner » dès le premier contact avec sa société qui exigeait leur aisance face à la nudité. Démentant avoir organisé le moindre casting dans les locaux d’Europe 1, contrairement à ce qu’avance Fanny Marlier, Morandini nie catégoriquement ce qui serait « sous-entendu dans ce papier dégueulasse » : il n’aurait jamais eu quelque relation sexuelle que ce soit avec un mineur. Un seul acteur de moins de 18 ans aurait participé au tournage, accompagné par sa mère, détaille le producteur.
Sans clairement reconnaître des manquements au Code du travail, Morandini admet « quelques maladresses (…) montées en épingle », « certaines choses (…) faites artisanalement » par sa boîte de production en raison de son manque de moyens. Interrogé sur RMC par Jean-Jacques Bourdin quelques jours après la parution de l’enquête des Inrockuptibles, sous réserve d’une confirmation des faits, Me Eric Rocheblave, avocat spécialiste en droit du travail, note l’illégalité des pratiques incriminées. Faire jouer des comédiens, a fortiori « inexpérimentés », sans contrat relèverait d’un abus de « position dominante de la production », les castings n’étant pas stricto sensu « encadrés par la loi » mais relevant des dispositions du Code du travail.
Acte 3 : Plaintes et déprogrammations en série
Au terme de sa conférence de presse, Jean-Marc Morandini a annoncé attaquer au pénal Les Inrockuptibles et Marc-Olivier Fogiel. En réaction, Les Inrocks ont enfoncé le clou et publié un nouveau témoignage contre JMM. Sur le plan judiciaire, Marc-Olivier Fogiel et Mathieu Delormeau ont opposé un démenti ferme aux accusations de chantage et de conspiration lancées par Morandini. Ils ont également déclaré leur intention de porter plainte contre lui.
Pour l’heure, sans que la justice n’ait encore éclairci le fond de l’affaire, Europe 1 et iTélé ont décidé de suspendre les émissions de Jean-Marc Morandini. Seule NRJ 12 maintient son émission Crimes consacré aux faits divers tout en le privant de directs.
Ironie du PAF, cet éternel miraculé de l’antenne devait signer son grand retour à la rentrée tant à la télévision (sur la case 18h-19h d’iTélé) qu’à la radio (à travers plusieurs heures de quotidienne sur Europe 1). Finalement, Laurence Ferrari le remplacera sur la chaîne info du groupe Canal+ tandis que Thomas Joubert et Christophe Hondelatte occuperont les créneaux laissés vacants sur Europe 1.
Jadis sacrifié sur l’autel de la « quête de sens » selon l’expression d’Etienne Mougeotte, alors vice-président de TF1, Jean-Marc Morandini caracolait en tête des audiences dans les années 1990 avec son émission Tout est possible (1993–1997), fréquemment taxée de télé-poubelle. Revenu sur le devant de la scène grâce à ses programmes de critique des médias, notamment sur Europe 1, dont il réalisait les meilleures audiences, Morandini n’en est pas à sa première chute. Mais sa déprogrammation constitue un coup très dur porté aux groupes Lagardère — qui possède Europe 1 — et Bolloré, repreneur d’Itélé, que le site LesJours.fr ne manque jamais de brocarder.
Tel Monte-Cristo, l’animateur corse espère cependant renaître de ses cendres et finalement triompher de ses ennemis. En attendant, tous les protagonistes de l’affaire sont abondamment éclaboussés par leurs accusations respectives.
Citations
« Je suis corse et chez moi, il y a deux choses sacrées c’est l’honneur et la famille. Ils ont piétiné ces valeurs… Et ça, je ne l’oublierai jamais. » (Jean-Marc Morandini, le 19 juillet 2016)
« La prochaine fois que tu me cherches, je balance tous les dossiers », « tu me cherches, tu me trouveras au-delà de ce que tu imagines » (sms de Marc-Olivier Fogiel d’après Jean-Marc Morandini, le 19 juillet 2016)
« Ma seule faiblesse, il y a quelques mois, après une énième fois où il me cherchait, a été d’écrire sur le ton de la plaisanterie, deux tweets qui aujourd’hui au vu des révélations paraissent maladroits. » (Marc-Olivier Fogiel, L’Obs, 27 juillet 2016)
« J’ai été contacté par Morandini lorsqu’il faisait son émission sur NRJ12. (…) Il te fait boire et ensuite il faut que tu fasses des photos (…) Tu tombes dans son piège. Tu enlèves ton caleçon et tu commences poser nu. A ce moment-là, il saute sur toi (…) Et il essaie de te toucher, de t’embrasser, de te griffer. Des choses très violentes, très humiliantes. (…) » (Chris Bieber, Snapchat, 13 juillet 2016)