Dossier. L’inébranlable identité bavaroise fait pièce aux dérives mondialistes… dans une région par ailleurs très bien intégrée globalement. La Bavière est, à l’inverse du Mecklembourg-Poméranie Occidentale, sans doute la région la plus connue d’Allemagne. C’est sans doute aussi paradoxalement la plus incomprise, tant les symboles de son identité sont devenus ceux de l’Allemagne aux yeux du monde entier. Alors qu’ils sont justement ceux d’un particularisme prononcé.
L’histoire et la culture d’une nation naturelle sont inscrites dans la géographie. La Bavière, c’est avant tout le bassin du Danube et de ses affluents, cet immense fleuve européen qui se jette dans la Mer Noire. Cette influence orientale est profonde. Elle ne relie pourtant pas la Bavière à l’Est polonais ou russe, mais à l’Europe Centrale et du Sud-Est voire à la Méditerranée orientale. C’est de là que sont venues les principales vagues de peuplement ancien des peuples indo-européens. La Bavière est bien plus ancienne que l’Allemagne : le Royaume de Germanie, cet embryon d’Allemagne né de la fusion de la Francie Orientale et de la Lotharingie n’apparaît qu’au Xème siècle et l’État allemand moderne qu’en 1871. L’archéologie a prouvé que l’espace bavarois actuel était en revanche déjà constitué en tant que confédération celtique homogène dès l’époque de Hallstatt (750 – 450 av. JC., soit 1 500 ans avant l’Allemagne), une culture dont la Bavière constitue le centre névralgique avec le Sud alémanique germano-suisse et autrichien.
Les clans turbulents issus de l’espace bavarois qui font irruption dans le Nord de l’Italie au IVème siècle av. JC pour razzier le pays, jusqu’à piller Rome en 390 av. JC., avant de s’y installer, portent déjà le nom de Boïens (Boii), que l’on rapprochera aisément de l’allemand Baier (les « bœufs »). Cette liaison avec la Lombardie italienne toute proche (ainsi que la Suisse et l’Autriche qui font la soudure entre ces espaces) est elle aussi multiséculaire. En témoignent l’intensité des échanges commerciaux entre espaces bavarois et lombard depuis les temps les plus anciens ; les alliances matrimoniales récurrentes entre Wittelsbach au Nord et Visconti au Sud ; l’exubérance baroque des églises catholiques et de l’art architectural bavarois, largement portée par des artistes italiens. La germanisation de cet espace longtemps qualifié de « gaulois » (comme la Suisse et l’Autriche, qui suivent la même évolution) par les Romains est tardive (vers 250 – 150 av. JC). Le duché de Bavière sera plus tard, avec la Souabe (Alémanie), la Franconie, la Saxe et la Lotharingie, l’un des cinq duchés nationaux du Royaume de Germanie (quinque nationes regni germanici), préexistant à cette Allemagne (royaume tudesque) primitive.
La Bavière est farouchement catholique. Elle est, sous le duc et prince-électeur Maximilien Ier, le fer de lance de la Ligue Catholique contre-réformiste pendant la Guerre de Trente ans (1618 – 1648), aux côtés de l’empereur.
Et la Bavière est très jalouse de son indépendance et particulariste. Menacée historiquement par la Prusse protestante au Nord et l’Autriche, certes catholique mais impériale au Sud, c’est tout naturellement que la Bavière s’est tournée très tôt vers la principale puissance européenne capable de faire contrepoids : la France. Une alliance qui perdure sur trois siècles et qui a laissé une profonde francophilie dans cette région. Même la Révolution Française ne rompt pas cette alliance française: la Bavière réactionnaire est LA grande principauté allemande à être rentrée de son plein gré et non contrainte dans l’alliance avec la France révolutionnaire puis consulaire contre la Prusse et l’Autriche. C’est en tant que principale alliée de la France au-delà du Rhin qu’elle est envahie par l’armée autrichienne en 1805. Et c’est au secours de l’allié bavarois que vole la Grande Armée dans la campagne contre la 3ème coalition qui mènera à la victoire d’Ulm (20 octobre 1805) en attendant Austerlitz.
C’est avec regret que l’extravagant Louis II (1864 – 1886) s’est vu contraint d’accepter l’intégration de son royaume dans l’empire allemand en 1866 – 1871. La Bavière a cependant conservé jusqu’à aujourd’hui une large autonomie, sauf pendant la période nazie jacobine (1935 – 1945). C’est un des deux Freistaat (« État libre ») allemands avec la Saxe.
Rares sont les régions d’Europe ayant une entité aussi affirmée au quotidien : il n’est pas rare de voir en Bavière des hommes porter la culotte de cuir traditionnelle dans la rue, même en ville ; les Bavarois mettent un point d’honneur à parler l’allemand avec un accent inconfondable et on y entendra souvent parler bavarois, y compris occasionnellement dans les assemblées générales et aux conseils d’administration de BMW ou au parlement munichois ; les fêtes célébrant la joie de vivre et l’exubérance bavaroises, comme l’Oktoberfest, ont acquis une réputation mondiale. La Bavière a la réputation d’un Schlaraffenland, un Pays de Cocagne. Ses lacs magnifiques prennent, dans les étés chauds, des airs et des parfums de mers du sud ; le plateau bavarois, les Préalpes et les Alpes offrent des paysages grandioses d’une beauté à couper le souffle. La Bavière, c’est un peu le Midi de l’Allemagne…
Mais il y a plus encore : l’absence de charbon et de fer dans son sous-sol a épargné au pays les affres des crises charbonnières et sidérurgiques dans les années 70. L’économie bavaroise, caractérisée par un mix idéal de grands groupes d’envergure mondiale et de nombreuses PME-PMI, fait de cet État fédéré le plus riche d’Allemagne. La gestion libérale et ultra-conservatrice du CSU en a fait un État modèle : budget équilibré, faible endettement, plein emploi et excédent commercial sont tout autant identitaires que ses églises baroques. Le bon sens paysan bavarois fait merveille face aux postures abstraites d’autres contrées moins fortunées.
Les Chrétiens-Sociaux bavarois à la manœuvre sur la question migratoire face aux Chrétiens-Démocrates après la percée de l’AfD à l’Est : la presse allemande s’interroge
Les velléités indépendantistes bavaroises, encore réelles dans l’Entre deux guerres, ont complètement disparu aujourd’hui. Les raisons sont simples : la politique fédérale ne peut passer outre les avis bavarois. Après la guerre en effet, le parti autonomiste du Bayerische Volkspartei (Parti Populaire Bavarois) a fusionné avec le Katholisches Zentrum (le Centre Catholique issu du Kulturkampf soit la « guerre culturelle » = conflit politique entre l’Église Catholique et le Reich wilhelminien entre 1871 et 1887) en constituant la CSU (Christlich-Soziale Union, Union Chrétienne-Sociale). Bien plus conservateur que la CDU (Christlich-Demokratische Union, Union Chrétienne-Démocrate), ce parti a refusé toute fusion CSU-CDU. Fidèle à l’esprit du pays, il a tenu à maintenir l’exception bavaroise intacte.
Les conséquences pour les politiques menées par la droite allemande après 1949 sont considérables : la CDU ne peut généralement constituer de majorité au Parlement Fédéral, le Bundestag, et au Conseil Fédéral, le Bundesrat, qu’avec l’appui des élus CSU bavarois. Et ces donneurs de majorité ne se privent pas de ce privilège pour peser de tout leur poids sur la politique fédérale dès lors que la droite est au pouvoir.
C’est dans ce contexte que l’on mesurera l’importance que prend, pour la politique allemande globale, un document d’orientation politique de principe que le chef de la CSU, Horst Seehofer, vient de présenter publiquement aux instances dirigeantes de son parti. Un véritable brûlot analysé par les grands médias allemands.
Des réformes fondamentales de la politique migratoire, « compatibles AfD »
De quoi s’agit-il ? D’un changement radical de la politique migratoire allemande visant à réguler cette dernière aux plans quantitatif et qualitatif. Ça n’est pas tout à fait la grille de critères inspirée du Canada et de l’Australie voulue par l’AfD, mais ça s’en rapproche fortement. « Ça n’est pas à nous de nous adapter aux nouveaux venus, c’est à eux de se conformer à nos règles » déclare Seehofer.
L’hebdomadaire Spiegel et le Süddeutsche Zeitung (SZ), l’un des trois grands quotidiens allemand, résument le contenu de ce document explosif comme suit dans leur édition du 8 septembre dernier :
Éléments quantitatifs :
- Limitation quantitative de l’immigration à 200 000 personnes par an. Et reconduction conséquente à la frontière de tous ceux qui ont été déboutés du droit d’asile. Les frontières doivent être à nouveau contrôlées.
Éléments qualitatifs :
- Interdiction de la burqa et autres « uniformes de l’islamisme » (Seehofer, Süddeutsche Zeitung (SZ) 08/09/2016). Et celles qui refuseraient de se conformer à cette règle ne seraient pas menacées de vagues amendes comme en France : elles devront faire face à une expulsion pure et simple.
- Pas de libéralisation des visas avec la Turquie: l’évolution de la Turquie éloigne de plus en plus ce pays des valeurs démocratiques. Munich ne croit pas non plus à la sincérité de ce pays quant à sa volonté de couper la route des Balkans.
- Abolition de la double nationalité: la CSU ne veut plus de naturalisation automatique des enfants d’immigrés à leur majorité. Ceux qui veulent devenir Allemands doivent en faire la demande. Et renoncer à toute autre allégeance.
- Plus de dérogation à l’égalité de traitement de tous : donc, plus de voile dans le service public ou les tribunaux allemands, plus d’horaires séparés pour les musulmanes dans les piscines, plus de dérogation aux cours de sport pour les filles etc.
L’abandon de la notion de « Multikulti » (multiculturalisme) pour celle de « Leitkultur » (culture directrice) : la CSU ne veut plus entendre parler de société à la carte. « L’Allemagne doit rester l’Allemagne », un pays « de tradition occidentale et chrétienne ». Fini le « Multikulti » (multiculturalisme), le mot d’ordre devient désormais celui de « Leitkultur » (culture directrice). Une révolution ! « La Leitkultur est le contraire du Multikulti » souligne le document de la CSU. Tous les nouveaux venus doivent accepter et se plier à la culture dominante ou renoncer à venir vivre en Allemagne. Autre conséquence : « (L’Allemagne) doit donner à l’avenir la priorité à une immigration d’origine européenne et chrétienne ». L’immigration illégale doit être rigoureusement rejetée… et l’immigration afro-musulmane strictement limitée à ceux qui acceptent pleinement les valeurs allemandes.
Les propositions de la CSU ont bien entendu suscité l’ire de la gauche: « La CSU présente un plagiat du programme de l’AfD » titre le Süddeutsche Zeitung (SZ) le 08/09/2016. Ce qui sépare désormais la CSU d’un parti populiste de style AfD « n’est plus qu’une mince couche de glace » ; « Les xénophobes et les islamophobes trouveront à boire et à manger dans le papier de la CSU » ; « Les propositions de la CSU renforcent la thèse que l’Allemagne fait face à une invasion » ; et d’ironiser sur les restrictions culturelles voulues par la CSU : « Culotte de cuir : oui – Voile : non » (Süddeutsche Zeitung (SZ), 08/09/2016) — un des trois grands quotidiens de tendance social-démocrate. Quant au Zeit (grand hebdomadaire allemand ouvertement social-démocrate), il parle carrément, le 08/09/2016, « d’Orbánisation de la CSU » et trouve « des accents inquiétants » au texte de Seehofer. Et de caricaturer les propositions de la CSU en ces termes « (pour la CSU) la religion doit remplacer la qualification » — ce que n’a assurément jamais dit la CSU, outre le fait que plus de 90% des migrants récents ne possédait justement aucune qualification…
Nul doute que les propositions du parti de Seehofer vont soulever des vagues à la CDU. Merkel, qui a jusqu’à présent refusé de changer vraiment de cap dans sa politique migratoire, pourrait devoir faire face à une fronde interne, voire même céder la place à d’autres dirigeants plus souples en cas de poursuite de l’écroulement de la CDU à l’Est. Le SPD, paradoxalement, a pris lui aussi ses distances vis-à-vis de la politique migratoire de la chancelière : « Merkel a commis des erreurs décisives » a déclaré la Secrétaire Générale du parti social-démocrate, Katarina Barley, au Frankfurter Allgemeine Zeitung (FAZ) le 8 septembre dernier. Une politique qu’il a vivement critiquée sans toutefois oser émettre de contre-propositions « populistes ». La CSU reste certes séparée de l’AfD sur la question de l’euroscepticisme et les jeux sont très ouverts. Mais comme nous l’avons analysé via les médias dans de précédents articles, les lignes bougent en Allemagne.