[Rediffusion — article publié initialement le 21/10/2016]
Avec sa série de trois documentaires « Pourquoi nous détestent-ils ? » diffusés le 26 en septembre, le 3 et le 10 octobre 2016, la chaîne Planète tente de restaurer la grille de lecture « Touche pas mon pote », à l’heure où certains enfants de ces « potes » de naguère tirent sur les bobos et sur les Juifs à la kalachnikov. L’OJIM a décrypté pour vous l’acrobatie. Cocasse.
“Pourquoi nous détestent-ils ?” | PLANÈTE + from Motion Palace on Vimeo.
Les Noirs
« Je m’appelle Lucien Jean-Baptiste. Je suis né à la Martinique sous de Gaulle. À trois ans, j’ai quitté mon île pour débarquer sur le continent, le 25 décembre 1967. Aujourd’hui, je suis comédien et je réalise des films. (…) J’ai presque eu un César, la classe, quoi ! (…) J’ai une femme blonde, picarde, et trois beaux enfants. Bref, j’ai la belle vie. » Voilà comment commence le documentaire consacré au racisme anti-noir : un constat d’intégration, de succès professionnel et familial et de métissage accompli. Paradoxal. En dépit de ces faits concrets, vérifiables, revendiqués, Lucien Jean-Baptiste va tout de même soulever le problème du racisme anti-noir en France, à travers son fils. Celui-ci a‑t-il été tabassé à l’école par des rejetons de skinheads ? S’est-il fait cracher dessus parce qu’il goûtait en plein ramadan ? Non. Simplement, un matin, il a déclaré à son père : « À part papa, j’aime pas les Noirs ! » Bref, il a exprimé une émotion négative vis-à-vis d’une partie de ses origines. Les persécutions réelles sont tout de même assez loin. Que nous dit ce cri du cœur du fils de Lucien ? Que Lucien, qui a la belle vie comme il l’annonçait en préambule, n’a pas mis sa progéniture dans une école de banlieue, mais sans aucun doute dans un chic établissement parisien, où la population blanche est très majoritaire, et il est probable que son fils, mu par l’instinct de mimétisme social absolu qui caractérise les enfants, rejette intuitivement chez lui ce qui le distingue de la majorité de ses camarades. Il est fort possible que ce serait l’autre part de ses origines que l’enfant rejetterait dans le contexte d’une école de Seine Saint-Denis à très forte majorité noire.
Pays de l’égalité ?
Mais Lucien Jean-Baptiste, plutôt que cette analyse de bon sens, préfère rejoindre l’idéologie et faire de l’anecdote le symptôme d’un prétendu racisme anti-noir pour se lancer dans « une quête pour comprendre pourquoi en France, le pays de l’égalité, nous les Noirs, sommes toujours victimes de préjugés. » D’autant que Planète lui a proposé de réaliser un documentaire sur le sujet et qu’une telle proposition ne se refuse pas, le sujet fût-il motivé par un biais aussi artificiel. Notons également, dans cette phrase, une faute de raisonnement très fréquente : la France serait « le pays de l’égalité », prémisse selon laquelle la moindre marque inégalitaire serait un terrible scandale. Si l’on suivait une telle manière de penser, tout Américain pauvre serait en mesure d’engager un procès contre l’État fédéral parce que la qualification des Etats-Unis comme « land of plenty », « terre d’abondance », se serait révélée, en pratique, illusoire. L’égalité, en France, correspond à un certain idéal politique de justice. Le parcours personnel de Lucien Jean-Baptiste, que le film va complaisamment retracer, ne fait que démontrer que la France approche de cet idéal davantage, sans doute, que la plupart des pays du monde. Fils d’une mère célibataire pauvre arrivée de Martinique avec ses six enfants il y a cinquante ans, Lucien aura pu faire carrière dans le théâtre au lieu de finir vigile, intégrer les cours Florent et mener une brillante carrière, tout en étant noir dans un pays de majorité blanche. Son exemple ne fait que souligner la remarquable réalisation de l’idéal d’égalité en France, et pourtant…
Le test des poupées
Le documentaire se développe selon les deux pôles obligatoires du discours médiatique contemporain : de l’intime et des experts. Soit Lucien nous parle de son fils, de sa vie, de sa mère, de son prof de théâtre, avec en option « noir et blanc + violons + voix off ». Soit il consulte des experts qui sont en réalité les idéologues les plus forcenés d’un multiculturalisme essentiellement anti-Blanc : Pascal Blanchard et François Durpaire, voire le footballeur en retraite, naïf et opportuniste, Lilian Thuram. Ce dernier, pour répondre à Lucien au sujet de son fils, insinue qu’un discours colonial persistant l’imprègne, le poussant à projeter sur le Noir une image négative. Il mentionne le « test des poupées ». Ce test débile réalisé par des scientifiques américains, montre que l’idée de bonté est systématiquement associée à la poupée blanche et celle de méchanceté à la noire, lorsqu’on interroge des enfants, ceux-ci fussent-ils eux-mêmes noirs ! Alors ? Intériorisation sournoise du discours dominant à connotation raciste ? Gilles Boetsch, interviewé peu après, explique que de tout temps et dans toute culture, le noir est associé à la nuit et au Mal et le blanc au jour et au Bien. Autrement dit, mais Lucien n’en tire pas la conclusion qui pourtant s’impose, la couleur de peau noire, dans un univers multiethnique, souffre d’un préjugé négatif qu’il serait certes nécessaire de corriger, mais qui dépend moins d’une construction raciste que d’un permanent symbolique anthropologique auquel n’échappent pas les Noirs eux-mêmes.
Lesquen ou le monstre amical
Dans le registre « blessures intimes », Lucien nous raconte donc la première vexation raciste qui lui apprit, à l’âge de six ans, qu’il n’était pas tout à fait comme ses camarades. L’un d’entre eux le traita en effet de « bamboula ». Il est probable que s’il avait été en surpoids, il aurait été traité de « sale gros », que roux, il n’aurait pas échappé au « rouquin ». La cruauté enfantine n’est pas une invention du Ku Klux Klan, et il est tout de même difficile de considérer cette anecdote comme révélatrice de quoi que ce soit. Les autres récits de préjugés subits sont soit totalement dérisoires (une femme de ménage lui reprochant d’accrocher du linge à sa fenêtre en semblant sous-entendre que de telles pratiques sont africaines et déplacées en France – mon Dieu, quelle humiliation…), soit relatives aux exigences des castings qui sont, en effet, fatalement et consubstantiellement discriminantes quant à l’aspect physique ! Pour trouver un semblant de vrai raciste anti-noir, Lucien est obligé d’aller visiter, sans l’informer de sa couleur de peau, Henry de Lesquen, candidat à l’élection présidentielle version comique troupier et patron de Radio Courtoisie qui emploie l’adjectif « nègre » à tout bout de champ et prône la « réémigration » mais aussi la destruction de la Tour Eiffel ! Ce dernier ressemble davantage à un aristocrate versaillais halluciné et complètement déphasé qu’à un racialiste sanguinaire, l’accueille d’ailleurs avec beaucoup d’aménité et l’assure, en fin d’entretien, qu’il souhaite le garder dans les frontières s’il était élu ! Conclusion : même en allant traquer le personnage officiellement le plus agité du bocal sur la question, notre réalisateur noir ne parvient pas à se faire claquer la porte au nez par un Blanc au prétexte de sa race, en France. Le chasseur de monstres revient bredouille, le seul qu’il a pu filmer n’ayant su que lui taper affectueusement sur l’épaule en l’assurant de sa bienveillance.
Victimisation volontaire
Enfin, dans le florilège d’absurdités qui émaillent ce film, on entendra l’inénarrable Pascal Blanchard nous expliquer que les Noirs bénéficiant de préjugés racistes les rendant néanmoins sympathiques, ce ne sont pas eux qu’on tue, aujourd’hui, en France, mais les Arabes ! Sur quelle statistique appuie-t-il une accusation si terrible ? Nous n’en saurons rien et continuerons de penser que depuis deux ans, visiblement, il semblerait que ce soit plutôt les Arabes qui tuent et qui tuent essentiellement des Blancs jugés sacrilèges selon la charia. On verra Alain Mabanckou faire une conférence au Collège de France, Christiane Taubira, garde des sceaux, et Rama Yade, ancienne secrétaire d’état, Harry Roselmack présenter le 20h, et Rokhaya Diallo, en dépit de tout ça, se plaindre de la sous-représentation des Noirs dans les médias. On verra un pasteur américain commémorer l’abolition de l’esclavage à Paris comme si les situations française et américaine avaient jamais été comparables, et des Noirs français se fantasmer Noirs américains pour pouvoir s’imaginer lutter héroïquement contre des injustices que les Blancs, en France, ne leur auront pas fait subir. Il ne sera jamais mentionné que la spécificité de la civilisation occidentale aura été d’avoir justement aboli l’esclavage, lequel paraîtrait naturel à tout le monde si n’avait existé la colonisation européenne, mais Lucien, heureux de se découvrir victime et, on l’imagine, créancier éternel du pays qui lui aura pourtant offert l’occasion d’une si belle existence, découvrira avec fascination le Code noir qu’il offrira alors partout autour de lui pour mieux culpabiliser son environnement blanc en extrayant du passé une pièce accusatoire sans rapport avec sa réalité vécue. Conclusion ubuesque qui, à revers, pourrait se manifester de la sorte : un Blanc riche et respecté ayant réussi sa carrière au Sénégal distribue autour de lui d’anciens textes d’aventuriers sur l’horreur des mœurs cannibales supposées des populations qui l’entourent et l’ont pourtant accueilli et fêté sur leur territoire historique.
Les Juifs
« En fait, ça a commencé comme ça : un matin, mon fils me dit : “Papa, est-ce que je peux te demander un truc ? Pourquoi est-ce qu’ils nous détestent ?” Je lui ai répondu : “Mais comment ça ? Personne ne nous déteste ? Qu’est-ce que tu racontes ?” — “Bah, si, tous ceux qui détestent les Juifs !” — “Mais les gens ne détestent pas spécialement les Juifs, pourquoi tu dis ça ?”. Il m’a répondu : “Mais si Merah, Coulibaly, ils veulent tous nous tuer ! Tu es sûr que tu ne veux pas qu’on s’en aille ? Viens, on va vivre à Londres !” (…) Et si il avait raison ? Si je portais des œillères depuis trop longtemps ? Et si finalement, pour les autres, j’étais d’abord et avant tout un Juif bien avant que d’être français. Comme si j’étais une sorte de néo-Juif-Allemand de l’Entre-deux-guerres qui, jusqu’au bout, refuse de voir le sort qui lui est réservé, et qui a besoin que son fils de douze ans lui ouvre les yeux ? » C’est ainsi que débute le documentaire consacré à l’antisémitisme, réalisé par Alexandre Amiel. Cette fois-ci, le rapport père-fils est davantage signifiant que pour Lucien Jean-Baptiste parce qu’en effet, la question de l’antisémitisme implique une rupture générationnelle. Entre la génération d’Alexandre Amiel, post-Seconde Guerre Mondiale, et la relégation de l’antisémitisme à une marge de très rares spécimens nostalgiques des vaincus de 44 et celle de son fils, où les Merah et Coulibaly manifestent la résurgence d’un antisémitisme féroce en provenance du monde arabo-musulman et de l’immigration qui lui est relative, une rupture s’est produite qui mérite en effet analyse, mise à jour et réflexion.
L’antisémitisme des déséquilibrés
Mais la mise à jour est difficile. En effet, si les témoignages que le réalisateur récolte sont très clairs et concordent tous sur le même constat, lui n’ose aborder la problématique de front tant elle lui brûle les doigts et contredit tout le dispositif de la série. Olivier, le frère du réalisateur, a perdu un ami d’enfance, Sébastien, DJ prometteur assassiné en 2003 par un voisin au nom d’Allah. C’est de ce fait divers qu’Éric Zemmour s’était inspiré pour écrire Petit Frère, (Denoël, 2008), mais de cela, forcément, il n’est pas fait mention. À l’époque, la dimension antisémite du crime est volontairement occultée. Même si l’assassin est rentré chez lui en affirmant : « J’ai tué un Juif, j’irai au Paradis. », Le Parisien ne mentionnera jamais cet aspect des choses et le meurtre sera présenté comme le fait d’un schizophrène — d’un « déséquilibré » avant l’heure en somme… Les agressions antisémites se sont multipliées par dix depuis 1999 explique de son côté Shmuel Trigano, président de l’Observatoire du monde juif. Mais il règne à ce sujet un « black out total » depuis le début des années 2000. Daniel Vaillant, ministre de l’intérieur sous le gouvernement Jospin avouera des années plus tard que le silence sur ces événements était un choix de gouvernement « pour éviter de jeter de l’huile sur le feu » parce que la quasi totalité des agressions étaient le fait de milieux musulmans. Même constat à Marseille ou lors des reportages sur les émeutes de Sarcelles en 2014 où un jeune Maghrébin explique que les Juifs français doivent payer pour les souffrances des Palestiniens ; même constat autour du thé en famille, où la menace évoquée de manière implicite est bien la menace islamique et non un retour des chemises brunes, mais pourtant la menace en question n’est jamais clairement nommée…
Les Chances pour Bourbon
Malgré ces témoignages dépourvus de la moindre ambiguïté, Alexandre Amiel va rencontrer Jérôme Bourbon, le rédacteur en chef de Rivarol, nostalgique de Vichy assumé, curiosité marginale et grotesque du paysage politique français – et non pas un imam intégriste, et sans doute, d’ailleurs, parce qu’il n’atteindrait même pas la porte de la mosquée -, comme si l’antisémitisme actuel devait envers et contre tout être encore rattaché à une spécieuse tentation fasciste des Français de souche. D’autant que si les tweets de Bourbon ont trouvé un nouvel écho ces derniers temps, c’est grâce, l’avoue-t-il lui-même, à un nouveau public de jeunes arabo-musulmans. Comme quoi, l’immigration peut aussi être une chance pour Rivarol ! Le phénomène Dieudonné est ensuite survolé sans que ne soit jamais étudié sa spécificité, le fait, par exemple, que son supposé antisémitisme trouve son origine non dans un discours d’extrême-droite mais bien à partir d’une vulgate antiraciste et de la concurrence victimaire et qu’il dispose d’un impact immense mais essentiellement en banlieue islamisée. Bref, tous ces paradoxes, ces improbables retournements, ces fractures et rapprochements inédits, sont éludés afin de tenter par tous les moyens de revenir aux cases obsolètes d’un mal d’origine essentiellement européen. Insidieusement, le discours stipule d’ailleurs que le danger serait moins le renouveau d’un islam guerrier et antisémite, que les défaillances d’une République qui ne remplirait pas son rôle de protection des Juifs (certes, mais il faudrait pour cela l’autoriser à sévir contre les Arabo-musulmans, ô paradoxes des idéologies périmées…)
Les Arabes
« Pour être honnête, dans ma vie, je n’ai pas spécialement été victime de racisme, je ne me suis pas construite à coups de discriminations. Mais si je cherche au fond de ma mémoire, petite, il y a quand même eu un épisode qui m’a bien marquée », explique Amelle Chahbi. Encore une fois, c’est compliqué, pour l’immigré français d’origine extra-européenne de dénicher les stigmates qu’on le presse d’exhiber pour servir la vulgate… À ce moment, l’humoriste raconte donc, dans l’épisode consacré aux Arabes, comment elle avait remarquée que la pharmacienne de son quartier, d’ordinaire très polie avec ses clients, ne faisait pas le même effort pour s’adresser à son père. « J’ai réalisé ce jour-là que cette différence de traitement, cette familiarité décomplexée avait peut-être un lien avec nos origines. » De là, le titre du documentaire s’affiche en faisant retentir sa question terrible : « Pourquoi nous détestent-ils ? » D’après ce qui vient d’être rapporté, pourtant, Amelle n’a pas le souvenir d’avoir été détestée, simplement celui, fort ancien, d’avoir vu son père relativement dédaigné. Mais les réalités n’ont de sens que pour nourrir un présupposé idéologique qu’il est de plus en plus difficile de valider, si bien que notre comédienne devra quant à elle aller chercher un gros skinhead bas de plafond et authentique pour tenter de se faire haïr en raison de sa race, la vertu symptomatique ou statistique de ce dernier demeurant tout de même fort discutable, et le skin finissant même par tomber sous le charme certain de la pétulante Maghrébine au terme d’une scène totalement surréaliste.
Une entreprise désespérée de reformatage
Nous n’étudierons pas en détail cet autre volet, mais nous aimerions tout de même mettre au regard de ces difficiles quêtes de manifestations ouvertes et brutales du racisme blanc, l’aisance avec laquelle l’étudiante belge Sofie Peeters, en 2012, en tant que femme blanche seule se promenant dans les quartiers immigrés de Bruxelles, parvenait à récolter des insultes sexistes et racistes tous les trois mètres, même si la dimension raciste du problème avait été occultée. Nul besoin, ici, d’aller traquer le Jérôme Bourbon arabe pour parvenir à se faire cracher au visage. Pourtant, dans la série de documentaires de Planète, le racisme anti-blanc, qui est en réalité le seul qui tue, avec l’antisémitisme arabo-musulman, aujourd’hui en France, n’a pas été évoqué, le triptyque omettant même cette possibilité. Minée par ses contradictions internes et les faits-même qu’elle rapporte, cette entreprise de reformatage idéologique a donc tenté de rendre responsable la majorité blanche des tensions interethniques dont elle est, sur son propre territoire historique, l’une des principales victimes. Et cette leçon inique au peuple autochtone, qui la divulguait ? Des acteurs, humoristes, réalisateurs à succès, en somme des dominants incarnant en eux-mêmes la remarquable ouverture du pays et la faiblesse de ses préjugés racistes. La seule chose dont ces films auront témoigné, c’est de l’égarement ahuri d’idéologues déphasés ne comprenant rien à ce qu’ils rapportent, et augmentant le son des violons pour parvenir en dépit du réel à maintenir une mythologie antiraciste qui avait cet avantage de les valoriser moralement tandis qu’ils gravissaient les échelons de la réussite sociale.