Dossier. Les médias polonais établissent un parallèle entre l’arrivée au pouvoir d’Andrzej Duda du parti « Droit et Justice » (PiS) et celle de Donald Trump aux États-Unis. Pour s’en réjouir ou s’en inquiéter.
« Les élites dégénérées qui ne se soucient pas des intérêts et de la mentalité des gens ordinaires travaillant dur et souhaitant vivre dignement ne sont pas chose rare en Europe. Il va y avoir des changements. » Sławomir Jastrzębowski, Super Express, 9 novembre 2016
Les réactions des médias polonais à la victoire de Donald Trump aux élections présidentielles américaines du 8 novembre ont été à l’image du paysage médiatique sur les bords de la Vistule : diversifiées. Il n’y a qu’un aspect sur lequel les médias de droite et de gauche ont semblé globalement se rejoindre, c’est l’existence d’un parallèle entre l’arrivée du PiS au pouvoir en Pologne en 2015 et la victoire de Donald Trump aux élections américaines en 2016. Un parallèle plutôt positif pour la droite conservatrice, mais terriblement déprimant et inquiétant pour la gauche libertaire.
La réalité devient surréaliste…
Si l’on s’intéresse uniquement à la presse écrite, et d’abord aux plus grands quotidiens nationaux, on pourra commencer par Gazeta Wyborcza, journal de la gauche libertaire européiste et cosmopolite, en difficulté du fait de la fuite de ses lecteurs mais aussi de la perte, avec l’arrivée des conservateurs au pouvoir, de sa position privilégiée pour les annonces et publicités du secteur public.
Mais Gazeta Wyborcza, qui a récemment reçu de l’argent frais de George Soros, reste la source de référence des informations sur la Pologne, celles reprises par les médias mainstream étrangers. Sa réaction particulièrement hystérique à l’élection de Donald Trump rappelle très fortement celle consécutive à l’élection du président Andrzej Duda, puis à la victoire du PiS aux élections parlementaires en 2015. Ainsi, en Une de Gazeta Wyborcza le 10 novembre, sous le titre « Président Trump », on pouvait lire le sous-titre suivant : « L’impossible est devenu possible et il va y avoir une réalité surréaliste. Donald Trump a conquis la présidence et aussi le maximum de pouvoir aux USA ». Avant de rappeler que lundi encore le président Obama disait de Trump qu’il était « mentalement incapable d’exercer la fonction présidentielle » et de souligner la victoire républicaine à la Chambre des Représentants et au Sénat, et aussi la future « dérive à droite » de la Cour suprême avec la nomination d’un nouveau juge par le président Trump. « Le résultat des élections américaines est une nouvelle inquiétante pour l’ensemble du monde démocratique », mettait en garde au lendemain de l’annonce de la victoire républicaine le rédacteur en chef du journal Adam Michnik. « 27 ans après le démembrement de la dictature communiste en Pologne et la chute du mur de Berlin, deux grandes démocratie, la britannique et l’américaine, ont fait entrer le monde dans une phase très dangereuse […] Cela produira-t-il en Pologne une impulsion pour agir en faveur de la démocratie, ou cela renforcera-t-il l’évolution de la Pologne vers un autoritarisme poutinien ? », s’interrogeait Adam Michnik pour souligner le parallèle à ses yeux entre la victoire de Trump aux États-Unis et celle du PiS en Pologne.
Le calme avant la tempête ?
Un deuxième titre faiseur d’opinion, c’est le prestigieux journal libéral-conservateur Rzeczpospolita, qui est toutefois moins conservateur et moins prestigieux depuis qu’il a fait l’objet d’une reprise en main en 2011 de la part du gouvernement de Donald Tusk. Globalement inquiet du choix des Américains, le journal Rzeczpospolita donnait, dans son édition du 10 novembre annonçant la victoire de Trump, la priorité aux questions économiques et aux conséquences de cette victoire pour la Pologne.
Sous le titre en Une « Trump emporte l’Amérique », le journal expliquait que les marchés financiers avaient réagi plutôt calmement à la nouvelle, mais que « cela peut être le calme avant la tempête ». « Pendant la campagne, le milliardaire a effectivement présenté un programme qui peut susciter l’épouvante », affirme le quotidien des milieux d’affaires dans son article de Une, avant de donner une courte liste de ces mesures « épouvantables » comme la construction d’un mur à la frontière avec le Mexique et le renvoi de 11 millions d’immigrés clandestins. « S’il tient parole, l’Amérique et le monde peuvent ne pas s’en relever ». Toutefois, les nombreux articles qui suivent à l’intérieur du journal sont rédigés sur un mode nettement plus analytique et plus posé et sont en réalité plutôt de nature à rassurer le lecteur sur les conséquences probables de la victoire du candidat républicain, y compris en ce qui concerne la question qui intéresse le plus les Polonais : l’entente des États-Unis avec la Russie et le maintien des promesses de présence de troupes américaines près de la frontière orientale de l’OTAN.
Une révolte contre les élites gaucho-libertaires
Pour le quotidien Gazeta Polska codziennie, proche du PiS, « Ils cherchent à faire peur avec Trump comme ils ont fait avec le PiS ». « Ils », c’est le journal Gazeta Wyborcza et la télévision TVN. Pour le quotidien conservateur polonais, la victoire de Trump est avant tout un « tremblement de terre conservateur aux USA », ainsi que l’affirmait le titre en Une de l’édition du 10 novembre. L’éditorial du rédacteur en chef Tomasz Sakiewicz, s’il exprimait une certaine inquiétude vis-à-vis de la politique étrangère du prochain président américain, se réjouissait avant tout de cette « révolte des sociétés traditionnelles contre les élites gaucho-libertaires ».
Mais on ne peut pas parler de la presse quotidienne polonaise sans s’intéresser aussi aux tabloïds. Le plus gros d’entre eux, Fakt, qui appartient au groupe de presse germano-suisse Ringier Axel Springer, se vend en effet à plus de 300 000 exemplaires, soit plus du double par rapport au n° 2 des quotidiens Gazeta Wyborcza qui est lui-même talonné par un autre tabloïde, Super Express. « Trump a enlevé l’Amérique ! Que va-t-il en faire ? », demandait le 10 novembre le quotidien Fakt. « Il fait peur aux investisseurs, aux célébrités, aux commentateurs, mais les Américains ordinaires ont choisi Donald Trump », pouvait-on lire en sous-titre. Et à l’intérieur du journal, à nouveau un parallèle entre l’arrivée de Trump au pouvoir aux USA et celle du PiS en Pologne il y a un an : « ‘Le bon changement’ est arrivé en Amérique » (« Le bon changement », c’est le slogan du PiS). En sous-titre : « Les Américains en avaient assez des élites, comme les Polonais et les Britanniques ». Un ton plutôt positif donc, pour le lecteur issu majoritairement des classes populaires, mais aussi en page 4 la question qui inquiète les Polonais : « Trump va-t-il se mettre d’accord avec Poutine aux dépens de la Pologne ? ». Notons au passage que l’élection de Donald Trump occupe une place secondaire sur la Une des deux tabloïds. Dans le cas de Super Express, cette nouvelle était même celle qui occupait le moins de place le 10 novembre, avec le titre « Un milliardaire gouverne le monde ». En deuxième page, format Tabloïd oblige, une photo de la nouvelle première dame américaine nue, datant de l’époque où elle exerçait la profession de mannequin. Du reste, Super Express, au lendemain de la publication des résultats des élections américaines, s’est surtout intéressé à la famille et à la fortune de Donald Trump. Dans son éditorial, le rédacteur en chef du journal se félicitait toutefois du fait que la démocratie américaine avait bien fonctionné, puisque le peuple avait pu infliger une cuisante défaite à des élites arrogantes et éloignées des réalités. « Ce processus ne concerne pas que les USA », poursuivait Sławomir Jastrzębowski, « les élites dégénérées qui ne se soucient pas des intérêts et de la mentalité des gens ordinaires travaillant dur et souhaitant vivre dignement ne sont pas chose rare en Europe. Il va y avoir des changements. »
Il ne manque plus que Le Pen pour que le tableau soit complet
Même pluralisme sur le segment des hebdomadaires : les hebdomadaires conservateurs Do Rzeczy et wSieci, moins surpris du résultat des élections américaines que la presse gaucho-libertaire, y voient une suite logique de la victoire du PiS en Pologne puis du Brexit. « Pourquoi ils ont peur de lui » titrait en Une de son numéro du 14 novembre Do Rzeczy qui voit dans l’élection de Trump « la fin du pouvoir sans partage de la génération 68 ». « Le grand changement. D’abord la Pologne, maintenant l’Amérique », titrait le même jour l’hebdomadaire wSieci. Les deux hebdomadaires avaient d’ailleurs présenté avant les élections la victoire de Trump comme possible, voire probable. L’hebdomadaire européiste et libertaire Newsweek, qui a le même propriétaire que le tabloïd Fakt mentionné plus haut, est dirigé par un militant anti-PiS très engagé, Tomasz Lis. Personne n’aura donc été surpris de ses réactions hystériques. En Une du numéro de Newsweek précédant les élections américaines, on avait déjà un visage moitié Trump moitié Kaczyński, avec en grosses lettres la question « Le monde est-il devenu fou ? », et en sous-titre l’avertissement lancé aux lemmings, qui sont un peu l’équivalent polonais des bobos français : « Trump peut perdre, mais le trumpisme triomphe déjà. La guerre de la démocratie libérale contre le populisme et les autocrates va durer de longues années ». « Qui sera Donald Trump ? Que va-t-il faire à l’Amérique, au Monde, à la Pologne ? », se demandait, inquiet, l’hebdomadaire de gauche Polityka après les élections américaines. Et toujours, dans les articles à l’intérieur du magazine, le même parallèle entre Trump et le PiS : « On ne peut comprendre le succès de Trump sans comprendre le phénomène de la télévision Fox News, comme on ne peut comprendre le succès du PiS sans connaître Radio Maryja ».
Une suggestion un peu loufoque, car la radio catholique Radio Maryja est très loin d’avoir le poids d’un Fox News en Amérique, mais il est vrai que son obstination à continuer d’exister depuis plus de deux décennies irrite au plus haut point les médias de la gauche libertaire polonaise qui, comme ailleurs en Europe, n’aiment le pluralisme médiatique que quand il exclut les points de vue conservateur et surtout catholique. Et en légende de la photo qui illustre l’article de Polityka : « Plus que Le Pen et nous aurons presque la totale ».
Voir aussi : George Soros investit dans les médias anti-PiS en Pologne
Crédit photo : gageskidmore via Flickr (cc)