« GAFA ». Pas une journée ne passe sans que cette expression soit prononcée ou que les candidats à la présidentielle n’annoncent des dispositions programmatiques à son sujet. Google, Apple, Facebook, Amazon. Quatre multinationales américaines du numérique et de l’internet qui développent une mainmise exponentielle sur notre quotidien. Un pouvoir exorbitant des « GAFA » sur nos existences ? Mythe ou réalité ?
Le 26 janvier 2017, le ministre des Affaires étrangères du Danemark annonce que son pays va établir un ambassadeur auprès des « GAFA », érigeant ainsi les géants économiques du numérique et de l’internet au rang de puissances politiques ayant voix au chapitre diplomatique. Le mot « ambassadeur » est à prendre en son sens technique et non pas symbolique : le Danemark va entretenir avec les « GAFA » des relations diplomatiques du même ordre que celles qu’il établit avec tout État ou puissance constituée. L’ambassadeur danois auprès de Google, Apple, Facebook et Amazon doit être installé dans la Silicon Valley afin de représenter les intérêts danois auprès des quatre grandes multinationales.
« Tout communique»
« Tout communique» s’exclamait en 1950 la maîtresse de maison du film de Jacques Tati Mon Oncle. Pourtant, la révolution numérique commençait à peine. Aujourd’hui, le monde et les humains sont reliés : tout être, toute chose et tout lieu sont virtuellement interconnectés. L’essayiste Éric Sadin a pu parler d’une « interconnexion intégrale » à ce propos (L’humanité augmentée. L’administration numérique du monde, éditions L’Échappée, 2013) comme l’on parle d’une « écologie intégrale » ou d’un « humanisme intégral ». Le titre de cet essai incisif résume les propos de l’ancien PDG de Google, Éric Schmidt : « Ce que nous essayons de faire, c’est de construire une humanité augmentée, nous construisons des machines pour aider les individus à mieux faire les choses qu’ils n’’arrivent pas à bien faire eux-mêmes ». En effet, les « GAFA » affirment travailler au bien-être général en détachant chacun de nous de préoccupations que des algorithmes gèrent à notre place. Aussi bien ou mieux que nous. Comme décider de nos goûts, de nos achats, prévenir nos besoins, orienter nos votes, décider de nos lectures. La puissance économique et politique des « GAFA » se déploie déjà dans tous ces domaines. Facebook aurait ainsi influencé les élections présidentielles aux États-Unis tandis que des bannières publicitaires envahissent nos écrans, déterminant nos comportements économiques et psychologiques. Dès lors, la mathématisation numérique du monde deviendrait mathématisation de notre existence.
La tyrannie douce est elle déjà un fait?
Le chiffre d’affaires cumulé des « GAFA » est du niveau du PIB d’un pays moyen comme le Danemark. Si l’on ajoute les autres éléments de leur puissance financière, ce sont des géants économiques à même de rivaliser avec les principales nations du monde. Pour la première fois, un ensemble est reconnu politiquement en tant qu’entité constituée sur la seule base de sa puissance économique. Dès l’instant que de telles puissances économiques, culturelles et maintenant politiques interagissent avec l’ensemble de notre existence, il est légitime de s’interroger quant au risque que cela induit : la « tyrannie douce » autrefois évoquée par Tocqueville ne se déploie-t-elle pas sous nos yeux ? L’inquiétude a été exprimée par Marc Rameaux, essayiste et directeur de projet dans une grande entreprise industrielle, dans une tribune parue dans Le Figaro. Car, les « GAFA » contrôlant l’information numérique contrôlent de fait le comportement des citoyens. Par la numérisation des données, les quatre géants orientent les attitudes futures. Selon le ministre des Affaires Étrangères danois, ce sont de « nouveaux États ». Nouveaux, au sens où ils sont récents. Mais aussi au sens d’États d’un genre nouveau. Des puissances politiques transnationales déterminant le futur de « l’humanité augmentée » dans son ensemble en choisissant ou non de développer des programmes de type Big Data, recherches dans le domaine du transhumanisme ou encore Intelligence Artificielle.
L’intelligence artificielle comme outil de censure
Le Monde daté du 22 février 2017 évoque la problématique de l’intelligence artificielle : « Les messages agressifs et haineux pullulent en ligne, et polluent, entre autres, les fils de commentaires de nombreux sites. Jigsaw, une organisation appartenant à Google et dont le but affiché est “de rendre le monde plus sûr grâce aux technologies”, devait annoncer, jeudi 23 février, la mise à disposition de tous, en open source, d’une technologie censée aider à assainir les fils de discussion ». Il s’agit d’une Intelligence Artificielle baptisée « Perspective » capable d’évaluer la toxicité d’un commentaire sur le fil d’un média. Perspective a été testée sur le site du New York Times. Plus rapide, plus efficace et moins chère qu’une équipe d’humains affectée à une tache identique, « Perspective » semble vouée à un bel avenir dans les salles de rédaction. Les « GAFA » décidant ainsi de ce qui est ou non licite dans le domaine du commentaire d’un article de presse. « Perspective » a toutes les particularités des IA dernier cri : elle évolue et s’adapte de façon autonome à son environnement. Cet outil est ainsi capable de s’auto-améliorer. L’objectif est de « créer des environnements plus sains », selon le fondateur de Jigsaw. Le Monde conclut : « Outre le New York Times, plusieurs médias comme le Guardian ou The Economist se sont montrés intéressés. Pour l’instant, la technologie fonctionne en anglais, mais sera bientôt accessible dans d’autres langues ». Comment expliquer que des médias, par nature garants de la liberté d’expression et d’opinion, favorisent de tels programmes ? Le seuil entre l’humain tel que nous le connaissions et le nouvel homme équipé de lunettes Google est en passe d’être franchi. Qui a décidé de ces choix anthropologiques ? Qui sont les chefs de ces nouveaux États ? Qui en profite ? De prime abord notre petit doigt nous dit que ce ne sont pas les peuples, eux destinés au formatage….