[Rediffusions estivales 2017 – article publié initialement le 11/03/2017]
Si le public français est relativement familier des grands médias anglo-saxons aussi bien anglais (The Economist, Guardian, BBC, etc.) qu’américains (New York Times, CNN, Bloomberg, Fox News, etc.), il ignore à peu près tout du paysage médiatique russe. L’Ojim commence une série d’articles consacrés au monde russe des médias en commençant par les grands acteurs de la presse écrite. Des articles sur les radios, les télévisions et les sites internet suivront.
Comme dans tous les grands pays, de nombreux médias écrits, imprimés ou électroniques, sont présents sur le marché russe. Avant l’ère Internet l’influence d’un journal était établie selon son tirage. En 2017 la popularité et l’influence de la presse se calculent grâce à l’indice de citation dont les données mesurent l’impact des journaux existants. Les sources proposant le calcul des indices de citation sont multiples.Nous avons choisi celle reconnue par l’Etat : l’entreprise Медиалогия (Medialoguia) qui analyse les médias nationaux en temps réel. Elle a été crée en 2003 par IBS Group présidé par Anatolij Karatchenskij considéré aujourd’hui comme l’homme le plus influent des technologies de l’information en Russie. Nous nous intéresserons à la presse d’influence nationale en Russie sans aborder la presse régionale.
D’après Medialoguia, les cinq journaux d’actualité politique, économique et sociale les plus influents en Russie à ce jour sont : КоммерсантЪ (Kommersant), Известия (Izvestia), Ведомости (Vedomosti), Российская Газета (Rossijskaïa Gazeta), Комсомольская Правда (Komsomolskaïa Pravda).
КоммерсантЪ (Kommersant)
Le quotidien Kommersant est considéré comme le plus objectif et le plus professionnel dans la présentation de l’actualité. C’est le journal russe le plus influent avec un indice de citation est 34 168, pas loin du double de son concurrent le plus proche.
Le journal appartient à Alicher Ousmanov, homme d’affaires et milliardaire, fondateur de USM Holdings (Metalloinvest), une des plus grandes entreprises sidérurgiques du pays. En 2016, le magazine Forbes Russia attribue à Ousmanov la troisième place dans une liste des 200 entrepreneurs russes les plus riches. Sa fortune est estimée aux alentours de 14 milliards de dollars. De ses nombreuses distinctions et médailles nationales (L’ordre du Mérite pour la Patrie reçu en 2013, L’ordre d’Alexandre Nevski reçu en 2014, L’ordre de l’Honneur reçu en 2004 et en 2011, etc.) on peut conclure qu’il est favorable au régime en place. On sait aussi qu’il soutient la politique de Vladimir Poutine vis-à-vis de l’Ukraine, ce qui a failli lui coûter des sanctions (Financial Times, mars 2015) de la part des Etats-Unis.
Известия (Izvestia)
Le quotidien Izvestia occupe la deuxième place dans la liste des médias écrits les plus influents en Russie avec, selon Medialoguia, un indice de citation égal à 21 751. Le quotidien appartient à Iouri Kovaltchouk, homme d’affaires et membre du comité de direction de la banque Rossia . Sa fortune personnelle est estimée selon le magazine Forbes à 1,5 milliard de dollars.
Dans le domaine de la télévision Iouri Kovaltchouk s’est porté acquéreur en 2011 de 25 % de Perviy Kanal contrôlé à 51 % par l’État. Cette acquisition s’est effectuée pour 150 millions de dollars auprès de la société de Roman Abramovitch qui conservait 24 % de la chaîne (« Iouri Kovaltchouk, roi des médias », Courrier International, 9 février 2011). Kovaltchouk se trouve, depuis le 20 mars 2014, sous le coup de sanctions américaines en rapport avec la crise de Crimée. Le Secrétariat au Trésor de l’ère Obama lui reprochait d’être non seulement un ami proche du Président Poutine mais aussi son « trésorier personnel ». Les sanctions touchent également la banque Rossia dont Kovaltchouk est le plus grand actionnaire. La banque est la personne juridique russe la plus mise en avance dans la liste des sanctions.
Ведомости (Vedomosti)
En troisième position – le journal Vedomosti a la même influence que le précédent (indice de citation de 20 338). Jusqu’en 2015, ce quotidien etait édité par Sanoma Independent Media (grande entreprise éditoriale russe) en partenariat avec le quotidien anglais Financial Times et le Wall Street Journal tous deux très hostiles à la Russie et à Poutine. Ces deux médias anglophones et Sanoma Independent Media possédaient chacun 33 % du capital de Vedomosti. La ligne éditoriale de ce quotidien était clairement opposée au pouvoir politique russe actuel. A l’automne 2014, l’Etat russe a fait voter une loi interdisant aux étrangers d’avoir la possession de plus de 20 % des médias russes. Par voie de conséquence, en février 2015, Sanoma annonçait à tous les propriétaires de Vedomosti sa décision de vendre sa part à Demian Koudriavtsev, entrepreneur russe, ancien propriétaire du journal Kommersant avant Ousmanov. Le Financial Times et The Wall Street Journal s’opposaient tout d’abord à la vente de leurs parts à Demian Koudriavtsev puis finissaient, en novembre 2015, par céder.
Le changement de propriétaire n’a pas entraîné de changement d’orientation politique du journal. Koudriavtsev était un ami de Vladimir Berezovski (décédé en 2013 en Angleterre), entrepreneur, homme politique et scientifique russe, d’abord proche puis ennemi déclaré de Vladimir Poutine ; le journal est donc classé clairement dans l’opposition à Poutine.
Российская Газета (Rossijskaïa Gazeta)
Rossijskaja Gazeta est le journal officiel du gouvernement de la Fédération de Russie qui en est le propriétaire. Son indice de citation de 13 697 le place en quatrième position en termes de popularité
Комсомольская Правда (Komsomolskaïa Pravda)
Crée en 1925 comme média officiel de l’organisation de la jeunesse communiste du Parti communiste de l’Union Soviétique, l’hebdomadaire est aujourd’hui un média privatisé. Après la dislocation de l’URSS sa ligne éditoriale devient plus divertissante et s’éloigne complètement de ses objectifs idéologiques de jadis. Il est aujourd’hui cinquième dans la liste des médias écrits les plus influents de la Russie (indice de citation 4 466)
Les journalistes de Kommersant affirment que le propriétaire de l’hebdomadaire est Grigori Berezkin (Kommersant, Numéro 193, 16 octobre 2009), entrepreneur russe à la tête de ESN Group (une des plus grandes holdings russes), qui posséderait 85 % d’actions de l’entreprise Komsomolskaïa Pravda (Kommersant, Numéro 240, 22 décembre 2011). Sachant que Berezkin est proche de Roman Abramovitch, lui même proche de Poutine, on peut supposer que ses relations avec l’État russe sont plutôt bonnes et le média peut être catalogué comme favorable au régime.
Ce bref panorama montre une réalité plus diversifiée que celle que les médias occidentaux présentent habituellement. Si la majorité des principaux journaux nationaux est favorable au Kremlin, la présence de Vedomosti en troisième position permet de nuancer le tableau véhiculé par l’occident de « médias aux ordres ».