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Résultats des élections aux Pays-Bas

20 mars 2017

Temps de lecture : 8 minutes
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Résultats des élections aux Pays-Bas

Temps de lecture : 8 minutes

Résultats des élections aux Pays-Bas : une presse allemande mainstream très monocorde et bien trop unanime passe (comme en France) largement à côté des éléments saillants de ce scrutin.

Après avoir fait campagne pratiquement comme un seul homme contre le « populiste » Parti de la liberté de Geert Wilders, la quasi-totalité du monde médiatique allemand a, comme en France, accueilli la publication des résultats des élections législatives néerlandaises avec un soulagement non dissimulé, marqué par des titres enthousiastes laissant peu de place au doute. Les quelques nuances, en rien négligeables, que des journalistes plus soucieux de la déontologie et d’une analyse plus poussée de ces résultats auraient dû faire valoir n’apparaissent que loin derrière dans quelques articles, ou bien encore, et ce avec beaucoup de prudence et de réticence, dans quelques quotidiens régionaux à faible tirage. Et dans les médias alternatifs bien entendu.

C’est une véri­ta­ble euphorie qui sem­ble s’être emparée des ténors de la presse alle­mande de ces derniers jours à l’issue des élec­tions lég­isla­tives aux Pays-Bas le 15 mars dernier, comme on peut le con­stater à la lec­ture de quelques manchettes :

  • Frank­furter All­ge­meine Zeitung (FAZ) : « Le glisse­ment à droite aux Pays-Bas n’a pas eu lieu. Le par­ti de droite libérale du Pre­mier min­istre Mark Rutte reste de loin la plus impor­tante for­ma­tion poli­tique au par­lement : il doit cepen­dant se chercher un autre parte­naire de coali­tion.»
  • Süd­deutsche Zeitung (SZ) : « Rutte devance net­te­ment Wilders» ; « Les élec­tions aux Pays-Bas l’ont bien mon­tré : il est pos­si­ble de con­tenir les pop­ulistes. Mais il est encore tôt pour chanter vic­toire sur le nation­al­isme agres­sif. »
  • Die Zeit : « Rutte à la fête, Wilders relégué au sec­ond rang ».

Il est vrai que tout ce beau monde a bien sen­ti le vent du boulet pass­er très près au-dessus de leurs têtes. Il est non moins vrai que Geert Wilders, qui espérait une trentaine de sièges au PVV, n’a pas vu ses espoirs réal­isés dans l’immédiat. L’Union Européenne et la société mul­ti­cul­turelle néer­landaise sont-elles pour autant sauvées, comme le cla­ment en chœur les arti­cles pub­liés dans les médias alle­mands ? L’enthousiasme des bien-pen­sants peut certes s’expliquer par le fait que tous s’attendaient au pire. Pour autant, une analyse plus fine des résul­tats aurait dû les inciter à beau­coup plus de pru­dence et à beau­coup moins d’euphorie.

Voici en effet, pour rap­pel, les résul­tats de ces élec­tions en détail :

Par­ti Détails (des prin­ci­pales formations) % des voix obtenues Nom­bre absolu de sièges obtenus Évo­lu­tion du nom­bre de sièges par rap­port aux élec­tions de 2012
VVD Par­ti pop­u­laire libéral-démocrate
Mark Rutte
21,2% 33 -8
PVV Par­ti de la liberté

Geert Wilders

13,0% 20 +5
CDA Appel chré­tien-démoc­rate

Sybrand van Haers­ma Buma

12,4% 19 +6
D66 Démoc­rates 66 (soci­aux-libéraux)

Alexan­der Pechtold

12,2% 19 +7
SP Par­ti socialiste

Emile Roe­mer

9,1% 14 -1
GL Gauche verte

Jesse Klaver

9,1% 14 +10
PvdA Par­ti travailliste

Lodewijk Ass­ch­er

5,7% 9 -29
CU Union chré­ti­enne

Gert-Jan Segers

3,4% 5 0
PvdD Par­ti pour les animaux

Mar­i­anne Thieme

3,2% 5 +3
50PLUS Par­ti des per­son­nes âgées

Henk Krol

3,1% 4 +2
SGP Par­ti poli­tique réfor­mé (chré­tien fondamentaliste)

Kees van der Staaij

2,1% 3 0
DENK Par­ti des immigrés

Tuna­han Kuzu

2,0% 3 Nou­veau
FvD Forum pour la démocratie

Thier­ry Baudet

1,8% 2 Nou­veau

Que permet de conclure la lecture la plus littérale de ces résultats ?

  1. Rap­pelons tout d’abord que les Pays-Bas étaient dirigés depuis 2012 par une grande coali­tion con­sti­tuée du Par­ti pop­u­laire libéral-démoc­rate et du Par­ti tra­vail­liste et que cette coali­tion a net­te­ment per­du du ter­rain, en pas­sant de 79 à 42 députés, ce qui représente tout de même un recul de 47%. En clair : ceux qui soute­naient l’ancien gou­verne­ment de Mark Rutte ont presque fon­du de moitié ! Il n’y a vrai­ment pas de quoi pavois­er… Le désaveu glob­al de la poli­tique menée par l’ex-gouvernement de Mark Rutte est donc très net.
  1. L’érosion spec­tac­u­laire de la coali­tion au pou­voir est essen­tielle­ment due à l’écroulement du Par­ti tra­vail­liste, qui perd 29 sièges, lesquels ne sont com­pen­sés que par­tielle­ment à gauche par la Gauche Verte (+10%), puisque le PS néer­landais perd lui aus­si 1 siège … Mais le Par­ti pop­u­laire libéral-démoc­rate de Rutte laisse lui aus­si des plumes, avec 5 élus de moins. Qual­i­fi­er une pareille issue de « tri­om­phe » paraît tout au moins un tan­ti­net exagéré.
  1. Donc, con­traire­ment au titre affiché en pre­mière page du FAZ pour­tant réputé sérieux… le glisse­ment à droite s’est bel et bien pro­duit ! L’ensemble des for­ma­tions de gauche néer­landais­es sor­tent en piteux état de ce scrutin.
  1. En revanche, ce glisse­ment à droite très net n’a pas prof­ité au seul Par­ti de la lib­erté de Geert Wilders – qui pro­gresse néan­moins – mais à plusieurs par­tis de droite, surtout de ten­dance sociale-libérale et chrétienne.
  1. On peut aus­si not­er au pas­sage la petite per­cée du Par­ti des immi­grés, à forte dom­i­nante turque et maro­caine, et surtout musul­mane, qui con­sacre l’éclatement civil­i­sa­tion­nel de la société néer­landaise. C’est sûre­ment un sujet à suiv­re, et qui aurait dû être de nature à sus­citer quelques inquié­tudes pour l’avenir. Le vote eth­nique est une grande car­ac­téris­tique des pays du tiers-monde, car­ac­téris­tique qui empêche l’avènement de la démoc­ra­tie… Quand on se sou­vient que les Pays-Bas sont issus d’une très longue guerre de reli­gion entre les Provinces-Unies calvin­istes et la tutelle espag­nole catholique (1568 – 1648), ce retour de l’histoire n’augure rien de bon.

On notera certes qu’aucun titre de la presse alle­mande ne qual­i­fie le PVV de Geert Wilders de par­ti « d’extrême droite », con­traire­ment à ce que font sans ver­gogne la plu­part des médias français dépourvus de la moin­dre déon­tolo­gie et qui n’acceptent aucun plu­ral­isme par­ti­san, pour­tant un des piliers de la démoc­ra­tie. Le terme d’extrême droite doit néces­saire­ment désign­er une ten­dance poli­tique visant à instau­r­er un régime poli­tique autori­taire, voire vio­lent et sûre­ment anti­dé­moc­ra­tique, ce qui n’a assuré­ment rien à voir avec le très démoc­rate et libéral PVV de Geert Wilders. S’opposer à la con­fis­ca­tion de la démoc­ra­tie par Brux­elles, à l’immigration de peu­ple­ment ou à une idéolo­gie religieuse total­i­taire est en effet stricte­ment le con­traire d’un posi­tion­nement poli­tique autori­taire et totalitaire.

Le terme partout util­isé en Alle­magne pour qual­i­fi­er ce par­ti est celui de « pop­uliste de droite ».

Il faut aus­si avouer que les nuances précédem­ment citées ont effec­tive­ment été mis­es en avant par quelques jour­naux, fort peu nom­breux il est vrai. C’est par exem­ple le cas de der Fre­itag, jour­nal libéral de gauche né en 1990 d’une fusion entre le Volk­szeitung et le Son­ntag d’ex-RDA, et soutenu par The Guardian, qui titre fort juste­ment : « Les Pays-Bas glis­sent à droite ».

Quant au quo­ti­di­en région­al de Stuttgart, le Stuttgarter Zeitung, il est apparem­ment le seul jour­nal de la presse tra­di­tion­nelle à pub­li­er un com­men­taire net­te­ment plus cir­con­spect sur les élec­tions néer­landais­es en titrant : « Des raisons de pouss­er un soupir de soulage­ment ? Les deux lec­tures des élec­tions aux Pays-Bas ».

Il est en effet d’autres réflex­ions qu’auraient dû sus­citer, dans une per­spec­tive alle­mande de moyen à long terme, l’évolution poli­tique aux Pays-Bas :

  • Dans un pre­mier temps, la poussée du PVV de Geert Wilders a con­traint les par­tis tra­di­tion­nels de gou­verne­ment aux Pays-Bas à renon­cer au plu­ral­isme par­ti­san tra­di­tion­nel pour for­mer une « grande coali­tion » con­tre l’intrus. C’est un phénomène que l’on a pu observ­er dans divers pays d’Europe de l’Ouest, et plus récem­ment en Alle­magne au niveau de plusieurs Län­der de l’Est de l’Allemagne (en atten­dant la fédération ?).
  • L’expérience mon­tre pour­tant que de telles grandes coali­tions entre « par­tis de gou­verne­ment » ne sont pas très pérennes, car elles ont beau­coup de mal à men­er une poli­tique cohérente et finis­sent par mécon­tenter tout le monde, ce qui explique de fréquents désaveux cinglants en fin de man­da­ture. Un exem­ple récent en Alle­magne est représen­té par la décon­fi­ture récente de la grande coali­tion SPD-CDU berli­noise. Comme nous l’avions déjà évo­qué dans notre arti­cle con­sacré à ce sujet, ce désaveu a con­traint le SPD a for­mer une nou­velle grande coali­tion, cette fois néan­moins faite de bric et de broc, un peu à l’instar de la cohab­i­ta­tion française de 1997 – 2002 entre un prési­dent de droite et une incon­sis­tante « gauche plurielle ». Ain­si, l’échec des grandes coali­tions entre « par­tis de gou­verne­ment » a‑t-il ten­dance à être suivi de grandes coali­tions faites de bric et de broc, dont l’échec futur est pra­tique­ment pro­gram­mé à l’avance. Nous avons vu les résul­tats en France en 2002, nous l’avons prédit pour Berlin… et pour les Län­der de l’est, en atten­dant l’arrivée au pou­voir hypothé­tique d’une grande coali­tion au niveau fédéral à Berlin.

Mark Rutte a pu éventuelle­ment sauver la mise au dernier moment par son atti­tude dans la crise récente avec la Turquie. Cela mon­tre que les Néer­landais sont bel et bien irrités par la mon­tée de l’islam. L’éparpillement des votes de protes­ta­tion des électeurs vers des par­tis de droite non-euroscep­tiques pour­rait refléter la peur de cer­tains d’une sor­tie de l’UE.

Il n’en reste pas moins que la sit­u­a­tion dans laque­lle se trou­ve le Pre­mier min­istre néer­landais Mark Rutte reste très déli­cate : placé devant l’échec de sa grande coali­tion de 2012 – 2017 (c’est tout de même l’enseignement numéro 1 de ce scrutin !), il n’a plus d’autre choix que de con­stituer une nou­velle grande coali­tion, mais net­te­ment plus hétéro­clite que la précé­dente. L’échec pour 2022 est écrit d’avance, sans que nul ne puisse dire ce qui se passera après. Mais le jour­nal de Stuttgart a rai­son sur un point : les bien-pen­sants peu­vent respir­er à court terme. Même si ce n’est qu’un répit.

Sources

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