Dégât collatéral de l’affaire Fillon : une querelle de ménage journalistique en plein Paris. Le Monde et La Revue des Deux Mondes ou le bal des milliardaires.
Au cœur de la bagarre, François Fillon et le « Pénélopegate ». À « gauche », Le Monde et ses habitudes de chasse aux sorcières initiées depuis le passage de Plenel, directeur de la rédaction de 1995 à 2004. Les pratiques alors en usage de l’actuel directeur de Médiapart ont été décrites dans l’enquête de Pierre Péan et Philippe Cohen, La Face cachée du Monde. À « droite », La Revue des Deux Mondes actuellement chapeautée par Franz-Olivier Giesbert. Le quotidien est majoritairement détenu par Pierre Bergé, Xavier Niel et Matthieu Pigasse. La revue appartient au président de Fimalac, Marc Ladreit de Lacharrière, depuis 1991. La querelle se déroule au bal des milliardaires sur fond de prétentions à « l’indépendance ».
Prémisses de la bataille d’oreillers
Le Monde n’aime pas La Revue des Deux Mondes. Évoquant le changement de direction de la revue en 2015, le quotidien parlait d’un « drôle de tournant ». Selon l’auteur de l’article, Édouard Launet, journaliste et écrivain officiant aussi à Libération, la revue serait alors devenue « réactionnaire ». Des preuves ? Les noms de Zemmour, Debray, Onfray ou Houellebecq. Un « tournant » impulsé par Franz-Olivier Giesbert et sa compagne Valérie Toranian, auparavant directrice de la rédaction de Elle. Le couple succédait à Michel Crépu pour impulser une nouvelle ligne éditoriale, résumée ainsi par Franz-Olivier Giesbert, selon des témoins : « Il faut arrêter d’enculer les mouches ». Ou de parler de Proust.
Un partout, Fillon et Pénélope au centre, le fric partout
Dans le feuilleton de « l’affaire Fillon », la relation entre le candidat de la droite et Marc Ladreit de Lacharrière est un élément important. Ils sont amis. Le Canard Enchaîné révèle que Pénélope Fillon aurait perçu 100 000 euros entre 2012 et 2013, pour un emploi présumé fictif au sein de La Revue des Deux Mondes. Le milliardaire affirme qu’elle a travaillé. Michel Crépu infirme. La cour de récréation s’installe à la Une de tous les médias français. « Pénélopegate ». Le versant financier est entre les mains de la justice. Les informations et documents censément secrets circulent. La bataille s’engage aussi « intellectuellement » entre Le Monde et La Revue des Deux mondes en février 2017, celle-ci sortant opportunément ou maladroitement, les avis divergent, un numéro centré sur François Fillon. L’ami du propriétaire de l’un est peu aimé des actionnaires de l’autre. Et réciproquement. La passe d’armes a lieu par pages interposées.
Offensives et obus de stylos
Tir groupé dans les pages du Monde, début février. Nicolas Truong consacre deux articles au numéro de La Revue des Deux Mondes de février/mars 2017. Le premier s’inquiète d’un « embarrassant panégyrique de François Fillon ». Objectif ? Démontrer que Fillon est un « thatchérien de la Sarthe ». À l’échelle du journalisme parisien, la formule sentant son ultralibéralisme et sa province est doublement méprisante. Truong passe en revue les 3 articles consacrés à Fillon, préparant selon lui l’éloge final de Franz-Olivier Giesbert. De fait, Giesbert ne cache pas son admiration pour un candidat présenté comme « catholique et iconoclaste. Libéral et gaulliste ». Il l’écrit : Fillon a « fini par devenir la droite », une « synthèse » de ses diverses tendances. Truong publie un autre article où il évoque Vichy « qui fut une véritable débâcle, puisque la revue devint collaborationniste et publia, le 15 août 1940, une réflexion sur l’éducation nationale, signée par le maréchal Pétain lui-même. Mise sous séquestre à la Libération, elle ne réapparaîtra qu’en 1948 ». Une façon d’alléguer au sujet de possibles idées politiques de Fillon, dont le défaut majeur semble se résumer à deux mots : catholique et provincial. Plus bas, une tribune de Michel Crépu intitulée : « À la Revue des Deux Mondes, le temps des bousilleurs ». Crépu dirige la NRF, revue qui justement ne manqua guère de Collaboration durant Vichy. Accroche : « Ancien directeur du mensuel, Michel Crépu déplore la vacuité et la vulgarité de sa ligne éditoriale actuelle, où Onfray et Zemmour ont remplacé Chateaubriand et Baudelaire ». Il reproche à la nouvelle direction de céder à l’air du temps et parle de « déroute française de la responsabilité, assassinée par ceux-là même qui en ont la charge ». On regrettera l’oubli du pluriel au mot « vertige », sept lignes avant la fin de cette tribune. De ces oublis qui sans doute contribuent de fait à « l’assassinat » dont parle le texte. Qu’un journal de « référence » tel que Le Monde soit quotidiennement émaillé de fautes et de coquilles est extraordinaire. La « responsabilité » commence peut-être ici.
OK Corral : La Revue des Deux Mondes riposte
Dans son numéro d’avril 2017, La Revue des Deux Mondes publie : « Notre réponse aux calomnies du Monde », dossier composé de trois textes. Les signataires : Valérie Toranian, F.O.G et Olivier Cariguel. Ce dernier montre que « la revue n’a pas été collaborationniste ». Les situations de l’époque furent complexes et la NRF rencontra alors plus de soucis. Auparavant, Toranian défend l’idée d’une « revue libre et indépendante », bien que propriété de Marc Ladreit de Lacharrière, et s’interroge sur le fait que Le Monde mette autant en avant Emmanuel Macron quand l’un de ses principaux actionnaires, Pierre Bergé, en est un soutien officiel. Pour Valérie Toranian, Le Monde reprocherait surtout à La Revue des deux Mondes d’exister sans souscrire à l’idéologie libérale libertaire du quotidien soupçonné de soutenir Macron. Franz-Olivier Giesbert prend « Le parti d’en rire », écrivant : « Je lis parfois Le Monde, mais jamais ses pages “Débats”. Je n’aime pas la haine : elle ne mène à rien et, en plus, elle fatigue, ce qui n’est pas bon à un âge comme le mien, où il faut se ménager ». Le ton de F.O.G n’est pas seulement ironique, il évoque aussi les « pisse-froid » du Monde où règne, selon lui, « un climat de secte apocalyptique ». À ses yeux, les deux pages consacrées à sa revue sont un « modèle du journalisme-flic ». Il pointe aussi les déficiences de Truong, qui fait de F.O.G un actuel « directeur de la rédaction du Point ». Le Monde pèche souvent par défaut d’exactitude et de rectitude. N’en demandant pas tant, Franz-Olivier Giesbert peut s’autoriser une comparaison entre les pages « Débats » du Monde et le journal Présent en termes de « haut-le-cœur ». Il propose enfin une « politique fiction » peu convaincante autour de Truong. F.O.G n’est guère romancier.
2017, les journalistes parisiens se jettent de l’eau de Vichy à la figure. Que restera-t-il de cette bataille de chiffonniers entre amis de milliardaires aux intérêts électoraux divergents ? Rien. Comme il restera sans doute peu de ce qui se publie dans La Revue des Deux Mondes, la NRF ou Le Monde actuellement tant ces publications sont intellectuellement de faible ampleur. Souvent, les médias papiers s’interrogent sur les raisons du désamour du public à leur égard. Qu’ils ne s’interrogent plus. Une querelle de cette sorte vaut réponse claire.