[Rediffusions estivales 2017 – article publié initialement le 04/06/2017]
À l’origine fondé par Jean-François Kahn et Maurice Szafran, le magazine républicain Marianne a longtemps eu la réputation d’être un média de gauche ou de centre gauche iconoclaste. Y compris dans le cadre de sa propre famille politique et culturelle. Au point d’être souvent accusé d’être souverainiste ou réac, et d’être exclu par Pascale Clark de sa revue de presse sur France Inter. À l’occasion de la récente présidentielle, quelles furent les positions de Marianne maintenant dirigé par Renaud Dély ? Analyse.
Marianne en campagne avant le 1er tour
À l’approche du 1er tour, le numéro 1045 de Marianne, daté du 7 au 13 avril 2017, donne un marqueur clair. La une ? « Danger ! Elle peut gagner ! ». Image plein centre : un panneau routier « danger » avec en son cœur le visage d’une Marine Le Pen inquiétante. Le magazine a toujours eu ce côté sensationnaliste, côté qui lui a parfois été reproché dans le monde libéral libertaire. Le dossier dirigé par Renaud Dély démarre page 10 avec la même image, la même accroche et ces mots : « À deux semaines du 1er tour de la présidentielle, les sondeurs et les experts persistent à écarter l’hypothèse d’une entrée de Marine Le Pen à l’Élysée. Un aveuglement généralisé alors qu’à l’évidence la menace d’une victoire du FN n’a jamais été aussi forte ». Renaud Dély venait de commettre un essai consacré à la candidate du FN, La vraie Marine Le Pen. Une bobo chez les fachos (Plon, 2017). De quoi en booster les ventes. Comme de celles de cet autre essai paru à la mi-mars 2017, Marine est au courant de tout. Argent secret, financements, hommes de l’ombre : une enquête sur Marine Le Pen (Flammarion, 2017), signé Mathias Destal et Marine Turchi. Le 1er est un journaliste de Marianne. No comment. Le timing est parfait. Notons que ce second essai, paru le 16 mars 2017, formait dans le même temps le fond d’un Envoyé spécial à charge contre Marine Le Pen, diffusé ce même 16 mars. Cette opération née au sein de Marianne s’inscrit dans une volonté médiatique généralisée : Marine Le Pen est nécessaire et annoncée au 2e tour. Le scénario des élections est médiatiquement enclenché, l’oligarchie a besoin de la candidate pour assurer la certitude de sa victoire au 2e tour. L’heure est à la mobilisation générale. Renaud Dély : «Aujourd’hui, le discrédit qui frappe le candidat de la droite et le rejet qu’il suscite désormais à gauche, et jusqu’aux tréfonds de la société française, font sans nul doute de François Fillon le meilleur agent d’une victoire de Marine Le Pen. Le pire n’est jamais sûr. Il est devenu possible ». L’ensemble du dossier vise à mobiliser les troupes électorales en vue du 2e tour. Le monde médiatico-politique se prépare à faire Front républicain pro-Macron.
Marianne, lendemain de 1er tour
Ce qui devait arriver arriva. Par la grâce des médias officiels, des images trafiquées, et de soutiens fort peu populaires, Emmanuel Macron s’est retrouvé au 2e tour des élections présidentielles. Un face à face avec la candidate voulue. Chacun le sentait, ce serait moins facile qu’en 2002 mais la perspective d’un affrontement avec la candidate du Mal était par nature assurance de victoire pour le camp du Bien. Même sans foules dans les rues mais avec les médias. Dont Marianne. La couverture du numéro 1048 daté du 24 au 27 avril 2017, dans la foulée du 1er tour, est un modèle du genre : Macron, le visage déterminé, occupe les deux tiers de la couverture tandis qu’une petite photo de Marine Le Pen est en bas de page. Entre les deux : « Le rempart ». Le magazine est devenu un organe de presse soutenant le candidat officiel des élites mondialisées. Le FN est utilisé pour maintenir la même vision du monde au pouvoir. Marianne y contribue donc avec ce numéro. Le message est clair : Pour sauver la démocratie il faut voter Macron. De crainte que les électeurs oublient de se rendre aux urnes, Renaud Dély et son équipe insistent sur le risque d’une victoire de Marine Le Pen. Personne n’y croit réellement mais la démocratie, pour être délivrée du Mal, a besoin de quelques outrances. Dans son éditorial, Dély évoque « l’irruption aussi soudaine qu’inattendue d’Emmanuel Macron ». On se frotte les yeux. Tout observateur, même distrait, s’est aperçu que Macron est le candidat des élites mondialisées et par ricochet des médias officiels. Le dossier joue à se faire peur en évoquant une « issue incertaine » pour le 2e tour. Marianne ne craint aucune exagération. Les pages consacrées à la candidate qualifiée pour le 2e tour commencent ainsi : « Marine Le Pen peut lui dire merci. Daech est entré dans la campagne à quelques jours de l’élection du 1er tour ». Rien d’une fake news, un simple fait relevé par un journaliste. Il faut bien vendre, et sinon à quoi bon « un rempart » ? L’ironie veut que cette expression, Le Rempart, fut le nom d’un journal des années 30, devenu pétainiste en 1940, et qui flirta avec la Collaboration. Gageons que de cela, la rédaction de l’hebdomadaire n’a pas idée.
Marianne, lendemain de 2e tour : la démocratie a triomphé du mal
Renaud Dély dans le texte : « Dix ans de déclinisme pour en arriver là. Dix ans de prophéties apocalyptiques, de sombres pronostics sur l’effondrement de la France et de noires prévisions sur l’inévitable dislocation du pays, dix ans “d’identité malheureuse” et de “suicide français”, bref, dix ans de zemmourisme triomphant et de buissonnisme ardent pour accoucher du triomphe d’un président jeune, optimiste, et europhile. Quelle claque ! L’élection d’Emmanuel Macron, c’est d’abord la défaite du “c’était mieux avant… “, ce refrain pessimiste qui ponctuait le débat public depuis tant d’années. À cette insupportable ritournelle nostalgique, les électeurs ont préféré le “ce sera mieux demain” porté par le candidat d’En Marche. Un message positif aux contours incertains, certes, mais qui tranche avec l’air du temps. Oui, un candidat peut être élu en France en 2017, en agitant à la tribune ce drapeau européen que la candidate d’extrême-droite faisait ôter du décor pendant ses interventions sur les plateaux télévisés ! ». Du « journalisme » qui se passe de commentaires. La lecture suffit.
Voir aussi : Marianne, infographie et Renaud Dély : portrait