[Rediffusion – article publié initialement le 25/09/2017]
La carrière fulgurante de David Petraeus, tour à tour commandant en chef des forces internationales en Irak et Afghanistan, directeur de la CIA, dirigeant du géant financier KKR et magnat des médias, incarne une nouvelle forme de pouvoir militaire-sécuritaire-financier-médiatique. Première partie
Une carrière qui semblait pourtant prendre une fin abrupte quand un scandale sexuel avait contraint Petraeus à démissionner de la CIA en 2012. Adultère aggravé par le fait que le général quatre étoiles avait menti pendant l’enquête, et surtout, qu’il avait fait fuiter des secrets d’État à sa maîtresse. Il sera condamné à deux ans de prison avec sursis et à 100.000 dollars d’amende — une bagatelle en comparaison avec des cas similaires, dont celui d’Edward Snowden, qui affirme avoir divulgué des informations beaucoup moins confidentielles.
Petraeus s’en remettra. Six mois après le scandale, il sera recruté par le fonds d’investissement mastodonte Kohlberg, Kravis, Roberts & Co. L. P. (KKR) pour diriger son Global Institute nouvellement fondé.
Les Barbares de Wall Street
Dans les années 70 et 80, le KKR était le pionnier du LBO, ou “opération d’acquisition par effet de levier” — c’est-à-dire par dette massive. L’inventeur du concept, Jerome Kohlberg, bientôt inquiété par “une avidité écrasante qui imprègne la vie des affaires”, quittera le fonds qu’il avait créé, en ne laissant que son K à la tête du sigle. Après son départ, c’est le deuxième K, Henry Kravis, qui fera exploser les LBO en méritant au KKR le surnom peu flatteur des Barbares de Wall Street (le livre et le film “Barbarians at the Gate” sont dédiés à leur LBO historique sur RJR Nabisco). Ils resteront les champions de cette méthode, bien qu’elle aboutisse souvent aux dépècements, voire aux faillites des entreprises rachetées, comme ce fut le cas de leur autre LBO historique : Energy Future Holdings. La même méthode est aujourd’hui pratiquée par Patrick Drahi qui a bâti son empire médiatique sur une dette colossale.
Fin 2016, Petraeus a été envisagé par le président désigné Donald Trump entant que chef de la diplomatie américaine, mais restera chez KKR, désormais comme partenaire. Kravis et Petraeus sont aussi membres du Council on Foreign Relations et participants réguliers aux réunions de Bilderberg. Kravis était classé 38e sur la liste des Juifs les plus riches du Jerusalem Post.
L’invasion commence
Dès son passage dans le monde d’affaires, l’ex-fonctionnaire fait ses preuves en étendant le portefeuille déjà impressionnant de KKR. En 2013, le fonds fait son premier investissement direct dans la région de l’Europe centrale et de l’Europe de l’Est en rachetant United Group (SBB/Telemach) pour une somme jamais divulguée mais estimée supérieure à un milliard d’euros. United Group réunissait les principaux opérateurs du câble, du satellite et d’internet dans l’ex-Yougoslavie avec presque deux millions abonnés :
- SBB (Serbia Broadband) — le plus grand câblo-opérateur et fournisseur d’accès à internet en Serbie avec 700.000 abonnées ;
- Telemach — le principal câblo-opérateur et fournisseur d’accès à internet en Slovénie et Bosnie-Herzégovine ;
- Total TV — le premier réseau de télévision par satellite en Serbie, présent dans tous les six pays de l’ex Yougoslavie ;
- NetTV Plus — le principal fournisseur de services de télécommunications sur Internet ;
- United Media — les chaines de télévision Sport klub, Cinemania, Ultra, Mini ultra, Lov i ribolov ;
- CAS Media — la plus grande agence d’achat d’espaces publicitaires à la télévision du câble et du satellite dans la région.
L’année suivante, le KKR affermit son emprise. Via United Group, il achète le géant du divertissement turbo-folk Grand Production et acquiert la participation de contrôle du câblo-opérateur monténégrin BBM. Il devient copropriétaire du 1er site d’information en Serbie Blic.rs en rachetant 49% de Ringier Digital SA, la filiale numérique du groupe de presse suisse.
Finalement, il lance sa propre chaine de télévision régionale, N1 TV, partenaire exclusif de la CNN, avec studios à Belgrade, Zagreb et Sarajevo. En été 2017, il achète TV Nova, la chaine la plus regardée de Croatie, dont le journal du soir réalise les meilleures audiences du pays ; ainsi que POP TV dont le journal 24ur est le principal programme d’information en Slovénie. United Group élargit aussi ses activités à la téléphonie fixe et mobile.
À suivre.
Crédit photo : Aaron Vowels via Flickr (cc)