Souvent décrit comme indispensable et principal collaborateur de Marine Le Pen, Florian Philippot a démissionné de ses fonctions le jeudi 21 septembre 2017. La veille, Marine Le Pen avait annoncé lui conserver sa vice-présidence tout en lui retirant ses délégations. À commencer par celle relative à la communication.
Du pain béni pour une presse peu pluraliste
Rien de surprenant : lors de la campagne pour les présidentielles, la communication de la candidate — entre rose bleue, double monnaie et prestation télévisée unanimement considérée comme catastrophique — n’a pas semblé être son meilleur atout. Ce retrait de délégation ne pouvait donc étonner. Pas plus que le départ de Philippot : la « cri-crise » du 21 septembre 2017 apparaissant plutôt, dans les médias, comme le dénouement de divergences irréconciliables. La démission de Philippot est en général analysée comme une clarification entre une ligne plutôt « à gauche » et une ligne plutôt « à droite ». La majorité des médias s’étant cependant interrogée sur la position personnelle de Marine Le Pen, perçue comme idéologiquement proche de celle de son ancien collaborateur. Le 27 septembre, une semaine après la crise, l’hebdomadaire Minute relève encore ce fait, reprenant des propos où Marine Le Pen affirme ne pas vouloir « changer de ligne ». Reste que pour la majeure partie des médias, le départ de Philippot, présenté comme un « divorce », procède bien d’une clarification politique au sein du FN. En gros entre « patriotes » (qui seraient philippotistes) et « nationalistes » ou « identitaires », qui seraient « marinistes » ou « vieux FN » — ou encore « marionistes ».
2017 : sur les médias, tu démissionneras ou tu vireras
La simplification et la machine à « re-diaboliser » le FN a ainsi repris son rythme de croisière. Dans la foulée d’une démission annoncée sur le plateau matinal des « 4 Vérités », sur France 2. Philippot dénonce « un retour du FN à ses vieux démons ». Marine Le Pen répond lors de Questions d’Info — émission politique de LCP, Franceinfo, Le Monde et l’AFP —, contestant « l’habillage » donné à la crise par le démissionnaire. La « montée des tensions », selon elle, s’était accentuée depuis le 18 septembre et se développait par médias interposés. Ce premier fait est en soi intéressant : en 2017, la vie interne du 2e parti politique de France se règle sur les plateaux de télévision. Les conditions du divorce s’étalent sur RMC, France Inter, RTL, France 2, CNews ou LCP. Et sans doute n’est-ce qu’une prémisse des évolutions à venir de la vie politique française, dans sa relation à la sphère médiatique. Cette dernière ne lésinant pas sur la dramatisation, Franceinfo évoquant ainsi une ambiance de « longs couteaux » afin de maintenir la reductio ad hitlerum usuellement pratiquée dans les médias français au sujet de la droite française non libérale, patriote et/ou souverainiste.
Une démission en forme de clarification ?
Le 21 et le 22 septembre, la majorité des médias insiste sur trois axes. La crise au sein du FN serait en premier lieu liée au résultat « désastreux » des présidentielles, pour Le Figaro par exemple. Mais aussi à la ligne « antieuropéenne » de Philippot et à la volonté du FN de se recentrer sur ses fondamentaux (anti-islamisme, lutte contre l’immigration). Nicolas Bay a beau faire le tour de l’ensemble des plateaux de télévision pour expliquer que les fondamentaux en question n’ont jamais quitté le programme de son parti, cette vision de la crise s’impose partout. Bay n’est guère aidé par des médias ne tentant à aucun moment de comprendre pourquoi ce parti est non pas anti mais « alter » européen, ni en quoi immigration massive et islamisation de la société posent problème pour les Français. Au quotidien. Ces médias sont pourtant informés qu’environ 30 % des Français votent régulièrement pour des candidats du FN. Le Figaro insiste sur la volonté de Florian Philippot de menacer le leadership de Marine Le Pen et sur son désir de diriger un mouvement politique. Dans son édition datée du 22 septembre 2017, Le Monde insiste quant à lui sur l’échec de la « dédiabolisation du FN », parti qui n’aurait sur le fond pas évolué. Autrement dit, serait xénophobe et raciste. Ce mantra s’impose immédiatement. Tout comme cet autre, mis lui aussi en Une par Le Monde : la démission de Philippot analysée comme victoire en interne des « identitaires » ouvrirait la porte à un retour de Marion Maréchal-Le Pen — ce qu’une source proche de cette dernière nous dit être « profondément ridicule ». Le chiffon « identitaire » se met ainsi en place, ainsi que l’annonce d’un nouveau grand danger en la personne de Marion Maréchal-Le Pen. Ainsi, la « clarification » serait celle du départ des « modérés » du FN, poussés à la porte par les « vieux démons d’extrême droite ». En gros : on vous l’avait bien dit, le FN c’est toujours le diable. La preuve par les malheurs de Philippot. Le Monde évoque même un « retour à la case départ ». Pour Le Parisien du 22 septembre, le FN traverserait une « crise d’identité loin d’être terminée » depuis le départ de Mégret à la fin du siècle passé. « Mégret » ou le mot qui dans la presse réfère à une droite identitaire racialiste, etc. Les mêmes arguments se retrouvent dans La Croix, Libération ou L’Opinion. À se demander si des éléments de langage n’ont pas circulé entre les rédactions. Mais est-il besoin que de tel éléments circulent quand les journalistes se prétendant spécialistes de « l’extrême-droite » sont tous formatés de la même manière ?
Les vieilles biques des médias parlent d’une même voix
Ce même 22 septembre, Libération exulte : « Philippot s’en va, Le Pen aux abois ». Finesse intellectuelle et journalistique habituelle de ce quotidien. Le journal reprend les principaux axes et mantras de ses confrères mais insiste sur d’éventuels reproches faits à Philippot, comme son « homosexualité ». Libé ne peut évidemment pas manquer l’invective d’homophobie, sans pour autant remarquer que d’autres cadres du FN ont fait leur coming out sans pour autant sembler en rupture avec leur parti. Remarquer cela, au sujet de Chenu par exemple, serait honnête — une marque de fabrique éthique qui n’est pas celle du quotidien dirigé par Joffrin. Ici, l’argument d’une re-diabolisation du FN est exemplaire du story-telling des médias officiels à l’égard du FN, parti pourtant homologué par la République. Le mantra est aussi à la Une de C dans l’air, au soir du 21 septembre, lors d’une émission réunissant des intervenants qui pensent tous la même chose, sans qu’aucune parole contradictoire ne paraisse à l’écran. C’est pourtant, selon France Télévisions, une émission de « débats ». On y « débat » donc entre Christophe Barbier de L’Express, Pascal Perrineau, politologue, Françoise Fressoz, du Monde et Brice Teinturier, directeur d’Ipsos. Le tout sous la houlette de Caroline Roux et Bruce Toussaint. Autrement dit, entre analystes pensant la même chose, à un iota près, et qui pour la plupart étaient déjà là sous Mitterrand. Journalistes préhistoriques en somme, ayant longuement contribué à diaboliser le FN, tout en sachant pertinemment que l’idéologie de ce parti ne réfère à rien de plus qu’à la droite au sens conservateur du terme. .
Qui décroche le pompon de la diabolisation ?
Incontestablement BFMTV, dont le rôle dans l’ascension de Macron n’est plus à démontrer. Dans le contexte de la « cri-crise du FN », le pompon de la diabolisation à outrance revient à Apolline de Malherbe et à son émission dominicale BFM Politique, dont Philippot était l’invité. Après lui avoir donné la possibilité d’exposer son point de vue, Apolline de Malherbe ne peut s’empêcher d’interroger le démissionnaire sur les propos de Mélenchon quant à la prétendue rue qui aurait abattu le nazisme. Nous sommes à 20 minutes de la fin de l’émission. La volonté de la journaliste d’emmener Philippot sur le terrain des « Années 30 » est alors manifeste. Elle dit avoir trouvé un « homme qui vous est proche, qui est l’assistant parlementaire de Sophie Montel et dont des captures d’écran circulent, captures qui parlent d’Elkabbach ». Elle cite « Quand j’écoute Elkabbach, il m’arrive de devenir plus antisémite que Soral. Préchauffez le four à 260 degrés pour une cuisson à point ». Question d’Apolline de Malherbe, dont le minois se fait grave : « Cet homme est-il proche ou membre des Patriotes, et de Sophie Montel ? ». Philippot rectifie la fake news de la journaliste en lui indiquant que cet homme n’est plus assistant parlementaire de Sophie Montel. La journaliste insiste, Philippot explique : « Il n’a aucune responsabilité dans mon association, posez-lui la question ». Insistance vraiment gênante d’une journaliste interrogeant Philippot sur les propos supposés d’un homme qui n’est ni membre ni adhérent des Patriotes. Volonté de ramener Philippot aux vieux démons de l’extrême-droite et de le diaboliser sur la base de rumeurs et de prétendues informations non vérifiées. Ce qu’elle essaie de faire dire à son invité : « Si c’est du second degré, c’est acceptable ». Ubuesque tentative de re-diabolisation de l’ex FN Philippot.
La crise ? La semaine d’après
Pourtant, de re-diabolisation, il ne peut en réalité y avoir. Pourquoi ? Le FN n’a jamais été dédiabolisé dans des médias. L’entre-deux tours des récentes présidentielles l’a montré. Les exemples sont nombreux, le plus fameux étant L’Entretien politique mené le mardi 28 mars 2017 par David Pujadas sur France 2. Au cours de ces 30 minutes, Pujadas a tenté de transformer la candidate en antisémite masquée. Peut être n’est-il pas allé assez loin puisqu’il a été récompensé par une éviction au cours de l’été. Il est vrai que la patronne de France 2 explique souvent avoir des difficultés avec les « mâles blancs européens ».
Huit jours après, l’émission Grand Angle de BFMTV revient sur la démission de Philippot. Le reportage conduit le téléspectateur à Moissac, Montceau, Dijon et dans le Gard. Il en ressort exactement la même chose que l’ensemble de ce que la presse raconte depuis le 21 septembre : la démission de Philippot serait le signe d’une radicalisation de l’entourage de Marine Le Pen. Philippot est considéré comme une victime, et bien sûr la perspective du retour d’une personnalité supposée très radicale, Marion Maréchal-Le Pen, est évoquée. Un point est extraordinaire : la jeune journaliste présentant cette émission d’apparence sérieuse expose le sommaire et dit « nous irons aussi dans le nord où un jeune militant proche de Philippot a décidé de déchirer sa carte du FN ». Elle parle d’un responsable de Saône-et-Loire, autrement dit plutôt du sud, par rapport au studio parisien où elle officie… mais semble ignorer que Montceau-les-Mines, car c’est de cette ville qu’il s’agit, ne se situe pas dans les Hauts-de-France. De quoi s’inquiéter de l’état de la formation des journalistes ? BFMTV ? Encore un effort pour que l’écran ressemble à du journalisme !
Finalement, que retenir de tous ces articles et ces plateaux tv ou studios radio durant plusieurs jours ? Pour… quoi ? Au sujet de la crise au sein du FN, les médias n’ont fait que brasser du vide et répéter des mantras « antifas » usés jusqu’à la corde. Quand elle parle du FN, la presse française ne sort jamais grandie.