[Rediffusion – article publié initialement le 23/10/2017]
Gros grain sur l’Europe de Bruxelles et ses institutions aux compétences et prérogatives méconnues des peuples ? Il y avait déjà la Hongrie, la Slovaquie et la Pologne. La France au printemps, l’Allemagne cet automne. Et maintenant l’Autriche. Dans tous ces pays, les peuples votent de manière significative pour des partis populistes ou les portent au pouvoir. Des partis un peu vite qualifiés d’extrême-droite sous prétexte qu’ils sont souverainistes, opposés à l’immigration de masse et doutent des bienfaits du développement de l’islam sur le continent européen. Dernier cas en date, l’Autriche. Qu’en pensent les médias français ? Peu de choses, à vrai dire.
Dimanche 15 octobre 2017, six millions d’électeurs autrichiens sont appelés aux urnes afin d’élire leurs députés. Des médias s’en font vite l’écho puisque l’extrême-droite risque de revenir au pouvoir dans ce pays, dans le sillage de Sébastian Kurz, jeune et brillant conservateur membre du parti chrétien démocrate (OVP), âgé de seulement 31 ans et largement donné favori. L’émission de France 3 animée par Francis Letellier, Dimanche en Politique, s’en fait l’écho dès le midi. En ce dimanche, chacun sait que les jeux sont faits d’avance : Sébastian Kurz virera le soir en tête. La question est alors celle-ci : « va-t-il choisir de s’allier avec l’extrême-droite pour gouverner ? ». Une question qui devient vite un fait d’actualité une fois les résultats connus. D’autant que Kurz, amené à devenir le plus jeune chef de gouvernement du monde, a repris à son compte des thèmes majeurs de l’extrême-droite (FPO), comme le refus de voir l’Autriche perdre son identité. France 3 insiste d’ailleurs sur le fait que l’Europe est touchée par « la montée des partis anti-migrants ». Une expression surprenante.
Un dimanche soir électoral en Europe ?
C’est généralement un dimanche soir de rejet massif des politiques européennes sociales-libérales libertaires mises en œuvre depuis plus de 30 ans. Les raisons en sont nombreuses. Elles sont rarement analysées en profondeur dans les médias français (de crainte que de telles analyses ne travaillent à contester les politiques en question ?). Le JT de France 3 du soir prolonge l’analyse de l’émission politique du midi sur le thème : « L’Autriche va-t-elle être dirigée par une coalition incluant l’extrême-droite ? ». En effet, le parti conservateur chrétien démocrate de Sébastien Kurz arrive en tête comme prévu (presque 32 % des voix) tandis que le FPO est de peu en troisième position (26 % des voix). C’est ce parti qui est caractérisé comme étant un parti « d’extrême-droite » sans qu’ici, comme partout en Europe, aucun média ne prenne réellement la peine de réfléchir à la signification de ce qualificatif, l’utilisant plutôt comme épouvantail. Ce même 15 octobre au soir, l’information passe en boucle sur Franceinfo : un jeune conservateur est en passe de diriger l’Autriche sur la base d’une alliance avec une extrême-droite dont il reprend les principales thématiques.
Lendemains et gueule de bois ?
Les Unes des journaux du lendemain parlent parfois de la victoire des conservateurs et de la percée du FPO en Autriche. Le pays « risquant » d’être gouverné par une coalition entre ces deux partis ayant réuni 6 électeurs sur 10, et les sociaux-démocrates étant discrédités bien qu’ayant évité le désastre électoral (27 % des voix). Cependant, une actualité plus brûlante occupe la majeure partie des pages : le président Macron s’est exprimé à la télévision. Le supposé risque des populismes est bien présent mais comme d’autres actualités paraissent plus importantes, cela passe en seconde position. En 5e page pour Le Figaro de ce lundi 16 octobre 2017. Le quotidien insiste sur la personnalité de Kurz et sur le fait qu’une majorité des électeurs ont avant tout voté pour l’homme. Le Figaro considère aussi que « rien n’est joué » puisque toutes les combinaisons sont possibles en termes de coalition : « les négociations s’annoncent rudes et pourraient durer ». Cependant, le quotidien tend à penser que l’Autriche se dirige vers une alliance OVP/FPO, au vu des positions prises par Kurz sur la politique migratoire européenne, le terrorisme et l’Islam. Avec le « massacre ethnique des musulmans Rohingyas », l’entretien télévisé de Macron et l’hashtag « #balancetonporc », Libération n’a pas de place en Une pour évoquer ce « péril » qu’il entrevoit habituellement plus aisément. Les Unes sont affaire de priorité. En page 7, le quotidien de Laurent Joffrin indique que « droite et extrême droite sont au plus haut ». Pour Libération aussi, OVP et FPO semblent devoir gouverner ensemble mais rien n’est joué. Quant au Monde daté du mardi 17 octobre, il indique qu’en Autriche « l’extrême droite est en embuscade ». Le quotidien du soir insiste sur la « position très dure » du futur jeune chancelier au sujet des migrants, et minimise la percée du FPO, auteur d’un bon score mais « qui n’est pas historique ». Le Monde doute que Kurz se tourne vers un FPO « ami de Marine Le Pen » et dont la presse a ressorti de supposées accointances avec « le néo-nazisme ». Rien que de très habituel dans ce quotidien. Une conclusion optimiste : « Le pays a voté mais les jeux ne sont pas encore faits ». Il est étonnant que la rédaction du quotidien dit de référence ne s’aperçoive pas du caractère peu démocratique d’une telle conclusion.
Et dans la semaine ?
Ainsi, la majeure partie des médias étaient dans l’attente des négociations pour former la coalition. Il en était ainsi dès le lundi 17 octobre sur les chaînes d’information en continue et dans les studios de France Inter, Europe 1, RMC ou RTL. Peu de paroles différentes. L’Humanité du lundi 17 octobre qui annonce clairement sa couleur : « Entre populisme xénophobe et racisme assumé, c’est le repli sur soi qui l’a emporté hier soir en Autriche lors de législatives anticipées ». L’analyse est là aussi classique : le quotidien communiste a un besoin vital d’une présence forte de l’extrême droite s’il veut continuer à survivre. Pourtant, le quotidien fortement subventionné n’analyse pas plus les causes des résultats de ces élections que ses confrères : il ne viendrait à l’idée de presque personne en France de dire que les électeurs autrichiens, pas plus racistes que le commun des mortels européens, ont simplement exprimé le souhait de voir leur identité poursuivre son chemin. Le quotidien Présent du mardi 17 octobre est plus explicite, rappelant qu’en 2015 « près de 900 000 migrants ont traversé l’Autriche, pays de 8,6 millions d’habitants ». Cette information qui aide à comprendre la situation n’est reprise dans aucun média officiel. Comme la plupart des autres médias, les hebdomadaires évoquent rapidement ou pas les résultats des élections en Autriche. Pas un mot dans Valeurs Actuelles papier mais l’hebdomadaire a évoqué la situation à deux reprises sur son site web, dans l’attente de l’alliance « avec le FPO » que Sébastian Kurz s’apprête à sortir de son jeune chapeau. Concentré sur le « harcèlement sexuel », L’Obs ne sait plus guère où se situe l’Autriche tandis que L’Express et Le Point mettent en Une des sujets autrement préoccupants. « New York la rebelle », pour le premier ; « La vérité sur le sucre », pour le second. Il est vrai que L’Express avait dès le 15 octobre publié une analyse sur son site : « Autriche : comment l’extrême droite est revenue aux portes du pouvoir ? ». Un retour qui serait dû « à une dédiabolisation à marche forcée ». Par contre, Minute et L’Action Française proposent des analyses fouillées des résultats. Le premier donne deux pleines pages de son correspondant à Vienne, lequel analyse au cordeau la situation. En clair : « La majorité silencieuse s’est enfin exprimée ». L’Action Française datée du jeudi 19 octobre estime quant à elle que « L’Autriche va infléchir l’Europe » en favorisant une modification des équilibres internes à l’Union Européenne. Là aussi, une analyse sachant de quoi elle parle, analyse qui montre par ailleurs combien les médias officiels français sont incapables de saisir ce qui se passe en Autriche, mais aussi en Pologne, Hongrie ou Slovaquie par simple inculture parisiano-centrée. Causeur s’interroge de la même manière sur une réorientation de l’Europe, dans l’hypothèse où l’Autriche se tournerait vers le groupe de Visegrad.
Que conclure ?
À l’évidence, la majorité des médias français avaient d’autres loups dangereux à traiter que la droitisation de l’Autriche en cette semaine du 16 au 20 octobre 2017, en la personne d’Harvey Weinstein et d’Emmanuel Macron. Mais ce n’est sans doute pas la seule raison de la superficialité de la majeure partie des analyses proposées. Une raison réside dans la méconnaissance de cette pourtant proche région du monde qui caractérise nos médias, et ce dès les écoles de journalisme. Une autre vient du schéma parisien de pensée de nos médias, dans l’incompréhension devant la non apparition d’un « front républicain autrichien » ou de quelque chose de cette sorte à Vienne. Une incompréhension transformée en un silence et une attente gênés. Ainsi le 19 octobre 2017, seule RFI rend compte de la « très faible mobilisation contre une coalition d’extrême droite » : appelés à se rassembler à Vienne par nombre d’associations, les autrichiens motivés pour lutter contre la droitisation de leur pays étaient… « une soixantaine ». Ce n’est pas une information du Gorafi mais de RFI, et l’on comprend alors le silence embarrassé des « élites médiatiques parisiennes ». Une seule note positive dans cette déconfiture des médias français quant à l’Autriche : l’intérêt et le sérieux de la chronique de Brice Couturier sur le sujet, sur France Culture le 18 octobre 2017 : « Autriche, la victoire d’un populisme à visage humain ». À écouter.