[Rediffusion – article publié initialement le 25/11/2017]
Financée par l’argent facile – moyennant près de 50 milliards de dettes – l’expansion d’Altice se heurte à un mur au moment où les taux d’intérêts repartent à la hausse et la valeur boursière d’Altice s’effondre. Malgré la reprise en main par Patrick Drahi lui-même, et l’accord signé récemment avec TF1, l’avenir du groupe – mais aussi de ses titres de presse – s’assombrit.
Début novembre TF1 et Altice ont annoncé qu’ils mettaient fin à leurs poursuites judiciaires respectives et qu’ils avaient trouvé un accord de distribution. Le contrat prévoit la diffusion de TF1, TMC, HD1, NT1, LCI et des matchs de la Coupe du Monde de Football 2018 en Russie aux abonnés SFR ainsi que la création et la mise à disposition d’une nouvelle chaîne reprenant les programmes du groupe TF1 ; Altice en aura l’exclusivité pendant six mois. Les contrats de distribution des chaînes thématiques Histoire, TV Breizh et Ushuaia TV ont été renouvelés. SFR a dû renoncer (le montant n’a pas été divulgué) à une partie des revenus qu’elle tirait de la diffusion sur internet des chaînes du groupe TF1, avec des compensations somme toute minimes.
L’action s’effondre
Le 9 juin 2017 l’action d’Altice coûtait 23,26€. Le 22 novembre, elle venait d’atteindre un nouveau creux à 7,56 €, soit un effondrement des deux tiers en moins de six mois. C’est un simple communiqué d’avertissement sur le résultat brut d’exploitation – qui ne devrait augmenter plus que de 6% au lieu de 10% pour des recettes plus faibles que prévu en France qui a provoqué début novembre l’effondrement de l’action ; le 25 octobre elle valait encore 17,23€, le 2 novembre 16,16 €, le 9 novembre 10,66 €.
La valorisation boursière est tombée à 10 milliards d’euros contre 22 milliards début novembre. Quinze jours avant le groupe annonçait la suspension de son programme de rachat d’action initié pour 1 milliard d’euros en août 2017. Les investisseurs continuent de se défier et les indicateurs au rouge s’accumulent bien que la direction ait été remaniée.
Un budget et des dettes intenables
Le 9 novembre, Michel Combes, directeur général d’Altice et PDG de SFR – la filiale à la fois la plus grosse et celle qui cumule le plus de problèmes – est écarté et remplacé par Dexter Goei, responsable des activités américaines. Patrick Drahi revient comme président du groupe Altice tandis que le confondateur, Armando Pereira, revient comme directeur opérationnel de l’activité télécoms pour redresser SFR, aux côtés d’Alain Weill qui dirigeait jusque là l’activité médias. Tandis que Michel Paulin, directeur général de SFR Télécom et de Jean-Pascal Van Overbeke, responsable de l’activité grand public, ont été virés.
La valse des têtes – qui tendait à faire accréditer que l’équipe de rêve qui avait construit et étendu le groupe était de retour aux manettes et que la croissance allait revenir avec elle – n’a pas convaincu. En effet, le problème, ce ne sont pas les dirigeants, mais comme l’assène Bloomberg, la dette. Plus de 54,1 milliards d’euros (dont 1,3 milliard à court terme) fin 2016.
Comme nous l’écrivions en novembre 2015, en moins de deux ans, Drahi a bâti à coups d’emprunts un empire télécoms, câbles et médias (Libération, l’Express, l’Expansion, BFMTV, RMC, Numéro 23…) présent en France, aux Etats-Unis, aux Caraïbes, en Suisse, au Portugal et en Israël. Il a bénéficié à la fois d’une époque de crédit bon marché et du mécanisme d’acquisition par la dette (LBO) dans laquelle seuls s’y retrouvent banquiers, cadres dirigeants et managers. Tandis que synergies imposées, coupes salariales et impayés ne cessaient d’augmenter.
Frais financiers en hausse
En 2016 déjà, la holding néerlandaise Altice NV voyait ses frais financier triplés (de 1,2 à 3,7 milliards d’euros), soit le double du résultat opérationnel (1,6 milliards d’euros). Résultat, la perte a sextuplé (300 millions d’euros en 2015, 1,8 milliards en 2016). « Au premier semestre [2017], la holding néerlandaise du groupe affichait un résultat opérationnel en chute à 253 millions d’euros, contre 900 millions pour la même période de 2016 », relevait Mediapart. Pour 1,8 milliards d’euros de frais financiers et 1,4 milliards d’euros de déficit.
Du côté des filiales américaines Suddenlink et Cablevision, pas mieux : elles réalisent sur les neuf premiers mois de 2017 6,9 milliards de dollars de chiffre d’affaires pour un déficit total de 700 millions de dollars après paiement des très lourds frais financiers liés à leur endettement. Il n’y avait pas besoin d’être devin pour constater que tôt ou tard, les investisseurs seraient inquiets pour leurs picaillons.
Deux millions de clients perdus pour SFR
Pendant ce temps, SFR continue de perdre des clients. Deux millions en deux ans, dont 500 000 fixes et le reste sur mobiles. Et comme Altice y est adossé– SFR, c’est la moitié des résultats du groupe – rien ne marche plus. « La course à la réduction des coûts, l’arrêt des investissements, la modification incessante des contrats, un service clientèle aux abonnés absents ont nourri un mécontentement grandissant de la clientèle », liste encore Mediapart.
« Ce n’est partout qu’accusations de dysfonctionnements, de ventes forcées, de ruptures de contrat voire d’escroquerie ». Comme avec Numericable et pour les mêmes raisons. SFR a licencié 3000 personnes pour réduire les coûts – dont 600 parties le 30 juin 2017 – mais n’a pu se réorganiser. Plus personne ne sait qui s’occupe de quoi ni qui en est responsable. Bref, « quand vous êtes un client insatisfait, ça se sait très très vite. SFR, c’était une marque extraordinaire il y a encore trois, quatre ans. Aujourd’hui, elle est abîmée et c’est ce qui explique la fuite de clients et de chiffre d’affaires », résume Stéphane Dubreuil, consultant spécialiste des télécoms, président de Stallych Consulting sur FranceInfo.
Quant à la convergence des contenus – c’est à dire des articles de « Libération », « L’Express » ou « BFM » soi-disant « offerts » contre une augmentation en douce de l’abonnement, nombre de clients l’ont assimilée à une vente forcée et ont engagé des poursuites. SFR a du reculer et leur offrir le retour au statu quo ante, si bien que les recettes par abonnés stagnent. SFR a bien essayé d’exploiter des failles réglementaires en estimant que la moitié de son abonnement relevait désormais de la TVA sur la presse (2%) mais le dispositif, qui a permis au groupe d’économiser 800 millions d’euros d’impôts et taxes, sera rendu inopérant par la loi de finances 2018.
Les projets de croissance remis aux calendes grecques : tout l’argent ira aux créanciers
Pour réduire sa dette et attendre que la tempête passe en continuant à avoir du crédit, Altice a dû négocier avec ses investisseurs. Le remboursement est reporté à 2022. Mais en attendant, Altice ne peut plus puiser dans une de ses filiales pour secourir une autre – l’argent et les actifs sont bloqués dans chacune des structures emprunteuses.
Des engagements croisés ont aussi été acceptés, si bien que le groupe peut se retrouver obligé de rembourser des emprunts sur plusieurs structures si l’une d’elle défaille. Et cerise sur le gâteau, le cours des actions figure parmi les garanties accordées, ainsi que le ratio de dettes dans l’excédent brut d’exploitation. Résultat : tout l’argent du groupe va aux créanciers tandis que l’investissement et le développement sont gelés.
Pis, les paris financiers du groupe – liés à ce continuel besoin de croissance – sont perdus. Tout comme la volonté de Patrick Drahi de déployer la fibre dans toute la France pour étendre le marché, même si SFR vient de signer quatre nouveaux contrats de déploiement de la fibre à Cognac (7500 prises d’ici 2020), Wittelsheim (5119 prises d’ici 2019), dans 53 communes du Rhône (38.080 prises d’ici fin 2020) et pour 230.000 foyers en Seine-Maritime d’ici 15 ans.
Vers des plaintes multiples ?
Surveillé de près par ses créanciers, SFR a du souci à se faire si les ventes de Noël – qui représentent jusqu’au tiers du résultat d’un opérateur – ne sont pas au rendez-vous. D’autant que les nuages continuent de s’accumuler. Certains actionnaires veulent en effet déposer plainte après avoir affirmé que le groupe aurait minoré sa dette de 2015 à 2017 et affirmé à tort qu’il en avait le contrôle absolu. Effet garanti sur les actionnaires paniqués, même si la dette d’Altice est à 85% à taux fixe, a annoncé la direction.
Celle-ci cherche tout de même du cash – la vente du réseau en République dominicaine (715,7 millions d’€ de chiffres d’affaires en 2016 pour 185,2 millions d’€ de résultat d’exploitation) pourrait rapporter 3 milliards d’euros, sans que cela suffise à redresser la barre. D’ailleurs, 49 fonds spéculatifs ont cédé pour 500 millions de dollars d’actions d’Altice USA ; 37 d’entre eux se sont complètement désengagés. La filiale suisse serait aussi revendue pour 200 millions d’euros – le Crédit Suisse a ramené entre temps son objectif de cours de 17 à 10 €. SFR envisage aussi de vendre ses antennes-relais en France – chacune est valorisée à 250 000 € et SFR en a 20 000 – et sa filiale du Benelux pour 400 millions d’euros, voire sa filiale au Portugal qui pourrait rapporter jusqu’à 7 milliards d’euros. Les investissements sont décalés d’un an et la transformation de la marque SFR en Altice en France est gelée, économisant plusieurs centaines de millions d’euros au passage.
Drahi se retrouve dans la situation d’Aristide Saccard, contraint de continuer à fuir en avant avec sa Banque universelle jusqu’à la débâcle inéluctable. Outre les investisseurs, les (derniers) abonnés de SFR et les employés des médias du groupe ont du souci à se faire. Pour ne rien arranger, Standard & Poor’s a annoncé vouloir abaisser pour l’année prochaine la perspective de « neutre » à « négative » si « la direction ne parvient pas à redresser la barre en France, avec notamment une meilleure fidélisation des clients et une baisse du “turnover” parmi les dirigeants, ou si elle ne parvient pas à réduire sa dette ». La note serait maintenue à B+, déjà jugée spéculative.