C’est bien connu : les médias officiels ne censurent pas, jamais, rien. Tout au contraire, ils sont les garants de la liberté de la presse et d’expression. Les sauveurs permanents de la démocratie. Rembobinez ! Derrière ce décor de carton-pâte, ces médias pratiquent une forme de censure dont ils sont les spécialistes : on passe sous silence, comme ailleurs on passe à tabac. La preuve par le traitement du massacre de la place Maïdan, plus de 80 morts en février 2014.
Entre eux, ils s’appellent « les grands médias » ou bien les « principaux » médias. Dénominations amusantes, tant au vu de la baisse de leur audience réelle que de celle de leur véritable influence. Ils demeurent cependant grands en termes de coûts annuels pour chacun des contribuables français. Les prétendus « grands médias » osent même parfois se dénommer « vrais » (sic !) médias. Médiatisent-ils toujours quelque chose, à part entre eux ? Dans ce milieu consanguin, se poser cette simple question c’est déjà sombrer dans l’hérésie. Les médias officiels ont leur storytelling. Et outre le fait de se penser encore « grands », ce storytelling repose sur la croyance par exemple en un lectorat véritable pour les journaux papier, lequel se serait déplacé du papier justement vers le web. Les journaux officiels du régime qui vivent largement des subventions de l’État comptent maintenant plus les clics que les lecteurs, confondant du coup les derniers avec les premiers. Le contexte est déjà pathétique en soi. Ce n’est pourtant pas le plus grave.
Les médias officiels ? Silence assourdissant
Le plus fâcheux est que ces médias revendiquant leur sérieux et leur légitimité sont souvent pris la main dans le sac de ce que le site Les Crises, au sous-titre évocateur d’« espace d’autodéfense intellectuelle », créé par Olivier Berruyer, appelle des « No News ». De quoi s‘agit-il ? Dans un univers médiatique officiel qui prétend traquer les « Fake News » au sein des médias pensant autrement, on croise souvent des informations tronquées ou bien des informations partielles qui ne sont jamais complétées mais plutôt vite retirées des écrans. Surtout si l’information devenue complète devait contredire telle ou telle conception officiellement admise comme étant le vrai. D’autres fois, c’est pire : certaines informations sont passées sous silence. Cette pratique concernait hier les événements des guerres de l’ex-Yougoslavie, elle se développe maintenant au sujet de la Russie (chacun aura remarqué que le pouvoir politique russe tirerait nombre des ficelles du monde, sinon toutes) et de conflits tels que ceux d’Ukraine, de Crimée et du Donbass. Nos médias officiels ne pratiquent pas la Fake News, affirment-ils souvent sans rire. Ils choisissent en effet plus fréquemment de ne pas informer du tout quand une information va à l’encontre des thèses destinées à éduquer le public. L’occurrence la plus récente de ce genre de pratiques ? Des informations au sujet du massacre de Maïdan occultées dans un silence assourdissant par l’ensemble de la communauté médiatique consanguine .
Maïdan ? Des témoignages qui devraient faire l’ouverture et la Une des principaux médias
Et dont aucun pourtant ne parle. Le 20 novembre 2017, le site Les Crises publie la vidéo d’un reportage diffusé cinq jours plus tôt sur la chaîne de télévision italienne Canale 5, dans une émission qui est l’équivalent d’Envoyé Spécial en France. L’émission revient sur le massacre du Maïdan et donne la parole à des témoins pour le moins importants : des snipers faisant partie de ceux qui ont tiré sur les gens à Maïdan. Des hommes qui ont perpétré le massacre. Officiellement, du 18 au 20 février 2014 une centaine de personnes avaient été tuées à Kiev, en Ukraine, place Maïdan, dans ce qui a été appelé « la révolution de la dignité », sur ordre du gouvernement pro-russe. Des événements ayant conduits à la destitution du président Viktor Ianoukovitch, la plupart du temps qualifié d’« autoritaire » par les « démocraties » occidentales. C’est du reste pourquoi en 2015 l’anniversaire de cette destitution et la commémoration du massacre ont été célébrés par la représentation d’une pièce de théâtre de l’incontournable Bernard-Henri Lévy, célèbre combattant de tous les fronts de la liberté (de ses amis) de l’Ukraine à la Libye. Les événements de Maïdan sont loin d’être anodins : ils ont entraîné la crise de la Crimée et la guerre du Donbass (ici la thèse officielle), en plus de provoquer un changement politique instable en Ukraine. « Autoritaire », le président Ianoukovitch est considéré comme responsable de l’ouverture du feu sur les civils manifestant contre lui en février 2014. C’est la thèse officielle, retenue par les médias tout aussi officiels jusqu’à aujourd’hui. Sauf que le reportage de Canale 5 donne la parole à des tireurs qui ont tué des manifestants ce jour-là et qui affirment avoir ouvert le feu « à la demande de l’opposition et pour semer le chaos ». Autrement dit, pour provoquer la destitution de Ianoukovitch, à la faveur d’un drame provoquant une émotion sinon mondiale du moins européenne, et permettant à toutes les bonnes consciences occidentales d’en appeler à la lutte contre la barbarie etc. Dans ces cas-là, le nom de BHL surgit toujours à un moment ou un autre. Selon leur propre témoignage, les snipers seraient géorgiens et auraient été entraînés par des spécialistes américains. Notons que l’auteur du reportage, Gian Micalessin, est un journaliste et reporter de guerre expérimenté et réputé pour son indépendance.
Des fake news aux no news
Un reportage sérieux diffusé sur une chaîne de télévision tout aussi sérieuse et dans une émission parfaitement légitime et officielle, reportage remettant en cause la thèse officielle concernant l’un des événements les plus dramatiques s’étant déroulé en Europe depuis le début du siècle, laissant peut-être supposer l’existence d’une manipulation et d’un coup d’État, si tout cela est avéré il y a plus qu’un scoop et a minima nécessité de reportage interrogatif. Et que croyez-vous qu’il advint cependant ? No News comme le dit Les Crises. Aucun grand média français ne s’est fait l’écho de cette information, sans aucun doute par souci de liberté de la presse et de l’information comme de défense de la démocratie. De quoi se sentir médiatiquement en sécurité et bien informé. D’autant que la « lutte » semble continuer sous forme de censure des GAFA. Il est vrai qu’en France seul le média russe Sputnik a évoqué les révélations du reportage au sujet de Maïdan. Fermez le ban, et ouvrez le bal de la démocratie ? Mais laquelle ?
Crédit photo : capture d’écran vidéo Canale 5. DR