Officiellement, les médias officiels, ceux qui appartiennent à une poignée de milliardaires ou promeuvent l’idéologie dominante, ne produisent pas de fake news. Au contraire, ils les combattraient. Du coup, le buzz avorté provoqué dans ces médias par une « information » publiée par Buzzfeed le 16 janvier 2017 pourrait prêter à rire si cela ne ridiculisait pas toute la profession.
Sauf Libération, étrangement. Les faits : le 16 janvier 2016, un journaliste de Buzzfeed publie un article intitulé « Le staff de Marine Le Pen a fabriqué une fake news de A à Z : le Ernottegate ». Un ton affirmatif, plein de certitudes. Le chapeau de l’article poursuit : « Au cœur de la présidentielle, des proches de Marine Le Pen ont diffusé le témoignage anonyme d’un homme censé être journaliste à France télévisions dans le but de déstabiliser Macron. Ce journaliste n’est autre que Christophe Boucher, un prestataire du Front national, familier de Marine Le Pen ». Diantre, le journaliste de Buzzfeed, Jules Darmanin, semble avoir soulevé un énième lièvre au sujet de ce parti politique.
De l’art du scoop foireux
Débutant par la vidéo postée le 16 mars 2017 par David Rachline sur son compte Twitter, l’article poursuit : « Dans cette vidéo, on voit un témoin anonyme, censé avoir “fait partie de l’équipe de Delphine Ernotte”, présidente de France télévision, parler avec une voix masquée. Ce faux employé de France télévision affirme dans la vidéo que Delphine Ernotte a été nommée à ce poste pour faire gagner François Hollande à la présidentielle puis, après le retrait de ce dernier, Emmanuel Macron. ” Il a fallu soutenir coûte que coûte Macron avec l’objectif clair de faire battre Marine Le Pen”, dit avec une voix masquée celui qui est censé être un ex-collaborateur de Delphine Ernotte. Cette vidéo sert de réplique à un sujet d’Envoyé Spécial, diffusé sur France 2 et consacré aux hommes de l’ombre du Front national (FN). Cette enquête avait irrité l’équipe de Marine Le Pen. Nicolas Bay, vice-président du FN, avait dénoncé des méthodes de voyou ».
Il est vrai que l’émission en question, prolongeant un essai fraîchement paru de journalistes de Médiapart et de Libération était une émission à charge tombant à pic dans la campagne présidentielle. Un plan com’ militant au nom de la « démocratie », reprenant un sempiternel serpent de mer au sujet de deux « proches » de Marine Le Pen. Une histoire qui sous une forme ou une autre ressort à chaque échéance électorale. Ce moment devenu habituel des élections où 99% du milieu médiatique se mobilise contre le « retour de la bête immonde ». Où est le scoop ? Buzzfeed le dit : « Notre enquête montre que le staff de Marine Le Pen n’a pas seulement diffusé cette fake news mais qu’il l’a aussi fabriqué de toutes pièces ». Un coup digne de Poutine en somme. Buzzfeed semble tenir son watergate.
Suit une enquête aux prétentions de sérieux, avec sources, photos, captures d’écran, en particulier pour montrer les liens entre le « journaliste » de la vidéo diffusée par Rachline et la présidente du FN. L’article se termine ainsi : « Enfin, si c’était une “parodie”, pourquoi le FN et Christophe Boucher refusent-ils de répondre à BuzzFeed sur ce point depuis des semaines ? »
Et Libération vint tirer la chasse d’eau
Durant 48 heures, nombre de médias reprennent cette « information ». À commencer par les médias de service public, financés par les contribuables. Franceinfo dégaine même en premier. Suivent la majeure partie des médias officiels, dont Europe 1 ou L’Obs. Le genre de choses qui allait envahir l’espace médiatique de longues journées durant. Sauf que dans ce cas précis, tout s’arrête net après 48 heures. C’est Libération qui tire la Buzzfeed chasse d’eau en publiant un article signé Cédric Mathiot intitulé Buzzfeed et la parodie du FN : il existe aussi des fausses fake news.
Bien sûr, le titre est un peu alambiqué, il était aussi simple d’appeler un chat un chat et de dire que des médias ni russes ni alternatifs produisent des fake news, Buzzfeed devenant en cette affaire un bel exemple. Mais enfin, rendons à Libération ce qui est à Libération : le quotidien a épinglé son confrère, expliquant longuement comment ce dernier s’est fourvoyé en confondant parodie (ce qu’était de toute évidence la vidéo de Rachline, et ce qui ne peut plus être contesté) une vidéo sérieuse. Évidemment, la surprenante préoccupation de Libération n’est pas anodine, ainsi que le montre la conclusion de l’article : « Qui veut tuer son adversaire l’accuse de fake news, protestent par avance l’extrême droite et ses relais numériques. Autant dire que cette affaire tombe assez mal. Elle déverse des litres d’eau pour alimenter un moulin qui turbine déjà comme une centrale nucléaire. Et au passage, on sert sur un plateau les médias dits de réinformation (sic), qui se plairont à mettre en avant qu’ils avaient pointé dix mois avant la dimension parodique de la vidéo que les médias dominants (re-sic) s’échinent à ne plus voir dix mois après pour mieux taper le FN ».
Voilà donc les médias dominants, si, si, obligés de se surveiller entre eux, et de se demander mutuellement de manipuler avec un tantinet plus de discrétion. Il faut dire qu’ils le savent bien, eux, ce qu’est une fake news. Chacun sachant aussi qu’une omission n’étant pas une fake news, il n’y aura donc aucune « fausse nouvelle » dans le fait qu’aucun des médias qui s’était précipité à la suite de Buzzfeed n’a indiqué à ses lecteurs ou auditeurs que l’information n’en était pas une… de ce point de vue, les voici diffuseurs de ladite fake news ? Qu’en diraient des juges ? Et le public s’il en était informé ?