Il n’y a pas que les titres de presse qui devront passer à la caisse pour sauver Presstalis, plombée une fois de plus par la CGT et une gestion pour le moins hasardeuse. Près de 18% des 1672 emplois du groupe seront supprimés, soit entre 200 et 300 personnes réparties par moitié sur la messagerie Presstalis et par moitié sur ses dépositaires.
Selon le plan social (PSE) qui a été présenté en comité central d’entreprises, 114 personnes au siège, sur 330 salariés, verront leur emploi supprimé et des départs contraints pourraient être envisagés. Neuf dépôts en région seront aussi cédés selon Michèle Benbunan, la présidente, pour laquelle « Presstalis a vécu au-dessus de ses moyens ». Presstalis renoncera aussi à la diversification numérique – qui coûte très cher, vendra l’application mobile Zeens, une web agency et le siège. Si le PSE devrait apporter de l’air au groupe, ce ne sera pas pour tout de suite. Même à des conditions moins avantageuses que par le passé, il coûtera tout de même 25 millions d’€ alors que Presstalis est au bord de la cessation de paiement.
Le retour à l’équilibre de Presstalis est envisagé fin 2019 – si toutefois Michèle Benbunan trouve 140 millions d’€ pour couvrir les pertes et 50 autres millions pour financer la restructuration. Le financement est loin d’être acquis, même si l’Etat – et donc le contribuable – pourrait passer (une fois de plus) à la caisse en apportant la moitié de la somme, sous forme d’un prêt pour passer sous les fourches caudines de Bruxelles. Qu’importe si Presstalis n’a toujours pas remboursé les précédents…
Sur la blogosphère de Mediapart, le journaliste Schwartzenberg se montre en tout cas très pessimiste vis à vis de cet énième plan de relance de Presstalis : « l’État sait. Lorsque l’échec du nouveau plan d’urgence de Presstalis sera patent, les pouvoirs publics ne pourront plus dire qu’ils ne savaient pas. Madame Nyssen, ministre de la Culture, ne pourra pas déclarer qu’elle ignorait l’ampleur du désastre alors qu’elle a délibérément occulté le rapport de Gérard Rameix consacré à ces messageries. L’ancien président de l’Autorité des Marchés Financiers avait, en effet, conclu à la nécessité du dépôt le bilan ».
Quant au coût du PSE, il ne sera pas pour lui de 25 millions d’euros, à cause du poids prépondérant du syndicat du Livre. Or celui-ci « s’oppose aux licenciements des ouvriers de moins de 55 ans et veut que les salariés licenciés soient payés jusqu’au jour de leur prise de retraite à temps plein, sans que celle-ci soit minorée. Et il exige — et ce point n’est pas négociable- qu’un fonds spécial soit créé et abondé dans l’année ». Résultat, les coûts vont déraper, très vite et très fort : « les spécialistes de ce droit social particulier qu’est celui de la presse savent qu’un PSE portant sur 300 personnes, négocié avec le Livre, coûte dans les 90 millions d’euros ».
Bras de fer avec les MLP et les petits éditeurs sur la contribution de 2,25%
Cependant la contribution de 2,25% sur le chiffre d’affaire des éditeurs desservis par Presstalis est maintenue, et si elle est versée avec quatre ans d’avance, c’est une opération blanche pour l’éditeur car la contribution ne lui sera plus demandée – une mesure demandée par les grands éditeurs qui disposent de la trésorerie nécessaire pour faire ce qui se transforme pour eux en avance de compte courant. La preuve s’il en est que les fortes aides à la presse qu’ils touchent ne sont peut-être pas aussi nécessaires que cela…
MLP et ses éditeurs, dont de nombreuses petites revues, ont refusé une fois de plus le principe de cette contribution, « même si en interne, des commerciaux considèrent comme politiquement acceptable et techniquement justifiable un taux de 0,4% », lâche Schwartzenberg sur la blogosphère de Mediapart. MLP pourrait finalement ne rien payer, mais « conscients du fait que les éditeurs bénéficient de meilleures rémunérations aux MLP que chez Presstalis, le CSMP veut geler pendant une période de deux à quatre ans tout transfert d’éditeur », poursuit Schwartzenberg, ce qui ne pourra pas ne pas poser d’intenses problèmes juridiques, notamment au niveau de la liberté d’entreprendre et de contracter.
Vers une réforme de la Loi Bichet plutôt que des aides à la presse ?
Mais le retour à l’équilibre, si ce n’est à la normale est loin d’être acquis. D’autant que la ministre de la Culture Françoise Nyssen entend réformer la loi Bichet de 1947 qui régit le secteur : « Elle n’est pas faite pour un marché comme celui d’aujourd’hui : le nombre d’exemplaires a baissé de moitié en dix ans », explique au Monde une source au ministère.
Marc Schwartz, ancien directeur de cabinet de Mme Nyssen, pourrait se voir confier une négociation qui permettrait d’entendre tous les acteurs de la filière – Presstalis et son concurrent les MLP, les éditeurs de presse, les kiosquiers et marchands de presse, les dépôts sur le territoire… avec l’objectif d’une loi avant l’été. Un collectif d’éditeurs qui regroupe les titres So Foot, Le 1, Alternatives économiques, Philosophie magazine, Ebdo ou Politis réclame d’ores et déjà plus de transparence, avec l’arrivée d’autres acteurs que MLP et Presstalis.
Tandis qu’une vieille revendication des distributeurs – pouvoir choisir eux-mêmes les titres qu’ils vendent en fonction de leur clientèle et ne plus être obligés de proposer tous les titres, ce qui limite leur marge et rend la gestion du point de vente très lourde – pourrait être enfin acceptée. De quoi faire hurler tous ceux qui dénoncent déjà la rupture avec l’égalité dans la diffusion… et faire espérer ceux qui constatent que le lancement de tel ou autre titre en kiosque n’est qu’un prétexte pour un déferlement publicitaire toujours plus important.
Il y a cependant un réel risque que des titres relativement peu vendus disparaissent en fonction des opinions du tenancier du point de vente… ou du prêt-à-penser médiatique, ou que telle ou autre grande entreprise locale ou enseigne de grande distribution essaie d’escamoter de ses rayons un titre qui vient de faire un dossier sur ses pratiques. Bref, c’est la porte ouverte à toutes les dérives possibles.
En attendant, tandis que les milliardaires de la presse continuent d’être gavés d’aides à la presse, à raison de 1,8 milliards d’euros selon la définition la plus large dont 89,5% dédiés à la presse écrite – au détriment de la très grande majorité des médias en ligne et de quelques médias papier désignés comme ennemis idéologiques du régime, réformer la loi Bichet et la distribution permettra aussi de ne pas parler des vraies question qui fâchent. Notamment du scandale d’Etat que constituent les aides à la presse, payées par le contribuable en pure perte, la situation générale de la presse écrite n’ayant cessé de s’aggraver depuis des décennies.