Le CSA n’a aucun humour – en ne retenant pas les candidatures des « humoristes » de France Inter Charline Vanhoenacker, trop belge pour être vraie, Guillaume Meurice et Alex Vizorek, le CSA a privé les auditeurs et contributeurs de la taxe audiovisuelle d’une partie de rigolade (autorisée). Quitte à payer, autant en rire. Mais six candidats ont tout de même été retenus pour prendre en charge la délicate succession de Matthieu Gallet et réformer la maison tout en résistant aux multiples grèves, dissensions, blocages – psychologiques et physiques – et autres inerties d’un paquebot que Gallet aurait voulu faire évoluer comme une goélette.
Matthieu Gallet, un bilan positif sur le plan de l’audience, négatif pour le pluralisme des opinions
Révoqué de Radio France après sa condamnation pour des marchés publics passés alors qu’il dirigeait l’INA, Matthieu Gallet aura réussi à fâcher Jupiter, alias Macron, survivre à la plus longue grève de l’histoire de la radio – un mois – et défriser la chronique avec l’histoire de la rénovation de son bureau (100 000 €) qui a fait polémique. Pourtant, cette polémique a été bien pratique pour nombre de cadres de l’audiovisuel public dérangés par les innovations insufflées par Matthieu Gallet et qui se sont ingéniés à souffler sur les braises – pendant que l’on parlait du bureau et de la com’ à prix d’or de Matthieu Gallet, leurs salaires mirobolants restaient hors des radars médiatiques. Rien qu’à France Télévisions, 191 salariés touchent plus de 120 000 € par an – et ils ne sont pas les seuls privilégiés de l’audiovisuel public.
Malgré la forte concurrence des autres chaînes, Matthieu Gallet quitte Radio France sur un bon bilan d’audience, que seuls quelques médias comme Le Parisien ont l’honnêteté de rappeler : 650 000 auditeurs en plus en quatre ans pour France Inter, qui atteint son meilleur niveau depuis 15 ans, 350 000 de plus pour France Info, 300 000 de plus pour France Culture et 250 000 pour France Musique, stabilité pour France Bleu, et augmentation de 0,3 à 0,7% d’audience pour Le Mouv’ – soit un doublement pour cette radio moribonde. En tout, 800 000 auditeurs de moins de 35 ans ont été gagnés depuis quatre ans.
Du côté financier, après avoir enregistré un déficit de 21 millions d’€ en 2015 à cause du dérapage des coûts de rénovation de la Maison de la Radio, un plan de 170 suppressions de postes en trois ans ponctué par un mois de grève et d’innombrables polémiques sur Matthieu Gallet et son entourage, le budget est à l’équilibre malgré 16 millions d’euros de nouvelles coupes budgétaires décidées depuis l’arrivée de Macron. Si bien que Matthieu Gallet laisse une maison en ordre et a fait preuve de sa solidité face aux conflits sociaux et aux campagnes de presse – ce qui devrait lui assurer une reconversion sans problème dans le privé.
Un point très négatif pourtant – et qui reste étrangement peu souligné – c’est le manque total de pluralisme idéologique de Radio France, englué dans la pensée conforme. Le remplacement de Patrick Cohen, parti à Europe 1, n’a pas changé le ton de la matinale de France Inter. L’arrivée de Guillaume Erner au 7/9 de France Culture a coïncidé avec toujours plus d’esprit d’entre soi et de connivence conformiste.
Sybile Veil : « révolution numérique » et pour « sortir de la culture de la gratuité »
Six candidats ont été retenus. Sybile Veil, directrice déléguée en charge des finances de Radio France depuis 2015, issue de la même promotion ENA que Macron (Senghor) et dite proche de lui, a formé un ticket avec Laurent Guimier, actuel directeur des antennes, très respecté en interne car il a réussi la relance de France Info pendant que Matthieu Gallet était PDG. Sybile Veil a aussi été ancienne conseillère de Nicolas Sarkozy au travail, à la santé, au logement et aux solidarités entre 2007 et 2010 et dirigeante de l’AP-HP.
Leur projet stratégique prévoit d’amplifier le renouvellement des auditeurs pour « s’imposer comme la référence du public ». Selon le projet, « France Inter peut et doit encore progresser », alors qu’elle atteint 11,3% d’audience cumulée. Il impose la continuité autour des fondamentaux pour France Culture et France Info, ainsi que la nécessité de « revivifier l’idée de proximité » pour France Bleu – particulièrement en crise pour France Bleu Occitanie, de l’avis général. FIP doit quant à elle « développer sa fonction de label » pour « devenir un média puissant en terme d’affinité », quant à Mouv’, elle doit miser sur la vidéo, l’événementiel et « une offre numérique performante » notamment sur Snapchat et Instagram pour continuer son rebond.
Le projet prévoit aussi d’embrasser la double révolution liée à la diffusion de contenus radiophoniques par des assistants vocaux et la « révolution connectée » qui passe par la radio personnalisée pour « donner à chaque auditeur la possibilité de construire lui-même sa radio à partir des émissions préférées d’une antenne voire de toutes les antennes de Radio France ». Moins évident, « le label FranceInfo doit être la garantie pour le public d’une information 100% vérifiée » avec Radio France comme « pivot de la vérification de l’information ». Une mission confiée à « l’humoriste » Frédéric Fromet, celui qui voit la vie en rose, rose socialiste nuance Macron ? Tout comme l’objectif de « sortir de la culture de la gratuité ancrée dans les usages de Radio France ».
Jérôme Batout : « cœur radio » et levier de diversification
Suit Jérôme Batout, directeur général de Publicis Media et conseiller de la revue Le Débat, philosophe et économiste de formation et ancien conseiller spécial et chef de la stratégie et de la communication de Jean-Marc Ayrault lorsqu’il fut premier-ministre. Débutant comme expert en fusions-acquisitions du Crédit Suisse à Londres en 2003, il a enseigné l’économie à la London School of Economics (2004–2009), qui l’a détaché à Bangkok et Pékin – et il fut directeur financier du PS de 2006 à 2009. Après la soutenance d’une thèse de doctorat en 2010, administrateur de mission pour MSF (2010) dans les zones tribales entre Afghanistan et Pakistan, puis entre chez Publicis Groupe en 2011 où il travaille auprès de Maurice Lévy (2011–2013) puis, après son retour de Matignon, est directeur de la communication de crise chez Publicis Consultants.
Son projet est centré sur la « disruption du média radio » avec la 5G : « ce qui ne primera ne sera pas la station, mais le contenu » prédit-il, et la « radio sera un média de demande » tandis que l’avantage concurrentiel des antennes radio disposant de fréquences hertziennes va s’effacer. Problème : « la radio publique doit s’efforcer de demeurer coûte que coûte un vrai média d’offre, un vrai média de destination, un vrai média de masse et non d’atomisation des usages ». Mission impossible ?
Pas si on définit, selon lui, un « cœur radio », c’est à dire « un média qui fait sens pour les publics et aide à faire société ». Or, il se trouve que « le son n’est pas invasif : on peut continuer à vivre, à agir lorsqu’on écoute la radio ». Il veut éviter de courir vers les webradios, les podcasts, de « céder aux sirènes de la consommation de contenus ». Sur le web, les sites des stations seront regroupés « vers un seul et unique site en forme de vaisseau amiral » et idem pour les applications mobiles.
Autour de ce vaisseau, il veut configurer un « levier de diversification capable de générer 50 millions d’euros en rythme annuel », centré sur le son, mais où « tout reste gratuit pour le citoyen ». Objectif : « imaginer un monde où une marque a besoin d’un flux audio direct pour se connecter à ses clients dans un univers où l’attention est toujours plus recherchée et disputée », plutôt que de monétiser le service public.
Bruno Delport : l’enjeu de la capture du temps et l’anticipation de la ville connectée
Bruno Delport, actuel directeur de TSF Jazz depuis 1999 et ancien patron de Ouï FM (1991–1997) et Radio Nova 1998–2016), gérant depuis 2000 des Molambakais, la société de production de Kad Merad et Olivier Barroux. Ancien militant PS, il s’est fait une place dans l’élite dirigeante d’EELV, d’abord directeur de l’association de financement d’Eva Joly en 2012, puis directeur de campagne des européennes de 2014.
Son projet s’interroge sur « l’enjeu de la capture du temps » : les supports, les sollicitations, les interactions augmentent, mais la journée ne fait toujours que 24 heures. Et pour lui, cela passe par les assistants vocaux, « plate-formes de consommation du futur ». Il faut aussi « anticiper la place de la radio dans la ville connectée, en proposant des services micro-locaux, apportant un mieux-être », dit-il sans apporter d’exemples précis. Puisque « transmettre est une mission essentielle de Radio France », il propose la création d’une « Ecole Radio France, ouverte à tous, où les formateurs seraient issus des équipes de Radio France ». Et pose les JO de Paris en projet mobilisateur et fédérateur des années à venir.
François Desnoyers : spécificité locale du réseau Bleu et prise en compte des réseaux sociaux
François Desnoyers, ex-directeur en charge de la stratégie et directeur en charge des antennes de Radio France, dont il avait été cadre dirigeant en 1998–2004 et 2009–2010 ; il est actuellement directeur général de l’agence Publicis.
Intitulé « tranformer et agir », son long projet s’intéresse au rôle de « lien social » de l’audiovisuel public, et notamment aux audiences des locales France Bleu, qui atteignent 30% dans la Creuse, 24% en Périgord, 20% en Mayenne, 18% au Pays Basque et dans le Doubs, 17% en Picardie et dans le Territoire de Belfort, 15% dans le Roussillon, 14% en Corse, Vaucluse et Landes…Problème : « au-delà d’un certain seuil de nivellement national, la station locale perd son identité et sa proximité avec les publics, seule raison d’être du réseau BLEU ». C’est à cette identité locale qu’il souhaite revenir.
Autre axe, reconquérir le jeune public, car « les plus jeunes perdent très vite (ou n’acquièrent pas) l’usage de la radio de flux ». Solution : « les choix éditoriaux des radios doivent évoluer vers une prise en compte essentielle de ce qui retient l’attention sur les réseaux sociaux ». Comme les médias mainstream le font aussi – sauf lorsque cela contrevient au prêt-à-penser médiatique, le vivre-ensemble par exemple, ne va-t-on pas vers une uniformisation de l’information ? Il souhaite aussi « renforcer la puissance et l’identité » de chacune des chaînes, enfin non des « marques-médias ».
Guillaume Klossa : si le public se détourne de Radio France, c’est que ça manque de jeunes de banlieue et de migrants !
Guillaume Klossa est le fondateur du centre de réflexion pro Union Européenne EuropaNova qu’il a présidé de 2003 à 2005. Il est DG de European Broadcasting Union qui gère Eurovision and Euroradio à Genève ; proche d’En Marche, le parti de Macron, il avait été animateur de télévision sur Direct 8 et Itélé de 2004 à 2010.
Son projet, intitulé comme une liste aux municipales « pour tous et chacun, aujourd’hui et demain », a l’ambition de ne décevoir personne en construisant un média « puissant […], créant du désir […], agile qui se construit dans la confiance avec ses publics, transmédia permettant à chacun d’accéder à l’ensemble de ses contenus […] moteur d’une dynamique collective […], média de référence ». On croirait vraiment une présentation de budget dans une communauté de communes !
Il met en avant les défis : social d’abord, pour « rassembler les diverses composantes de notre société qui se fragmente », mais avec une réponse somme toute très classique : si l’écoute s’effondre, c’est qu’il n’y a pas assez de « diversité » : « une part croissante de nos concitoyens, notamment les jeunes, se détourne des médias traditionnels car ils […] ne tiennent pas suffisamment compte de la diversité des origines de la population de notre République ». La France passe à la trappe aussi, tout comme le manque de pluralisme politique prégnant dans les médias, quels que soient leurs supports du reste – et particulièrement dans l’audiovisuel public où même le « médiateur » est en réalité un censeur.
A cela s’ajoutent les défis technologiques – avec « la guerre de l’attention » et les plate formes globales, le défi technologique avec de nécessaires interactions entre les plate formes, le défi de la réforme de l’audiovisuel enfin. Rien de nouveau sous le soleil. Plus novateur, « créer de puissantes dynamiques de conquête pour France Bleu et le Mouv’ », placées au cœur du projet par le « potentiel d’audience largement sous-exploité » de la première et « l’enjeu majeur » du jeune public pour la seconde.
Quant à France Musique, il y a de quoi faire grimper aux rideaux les habitués puisque elle devra « toucher un public plus large, plus jeune et moins élitiste » et « faire place dans ses programmes aux talents “classiques” des rues (jeunes de banlieue, migrants) ». Sans vouloir décevoir Guillaume Klossa, ça existe déjà, ça s’appelle le Mouv’.
Christophe Tardieu : pour l’expérience, le développement des ressources propres et les langues régionales
Christophe Tardieu enfin, haut fonctionnaire dans la culture et directeur général du Centre national du cinéma depuis 2014, Officier des Arts et des Lettres. Ce dernier fait figure auprès des observateurs d’une solution alternative face au duo Veil – Guimier qui incarne la continuité. Il est « très soutenu » selon la CGC-Médias. « Inspecteur général des finances, il a fait sa carrière à des postes de direction dans les institutions culturelles comme le château de Versailles, l’Opéra de Paris et le ministère de Culture, époque Nicolas Sarkozy et Christine Albanel (2007–2009). Rue de Valois, il avait supervisé les lois audiovisuelle et Hadopi », précise Libération, qui en profite pour le flinguer en rappelant qu’il avait été suspendu un mois pour avoir transmis aux dirigeants de TF1 le mail d’un de leurs salariés qui contestait le bien-fondé de Hadopi.
Son projet fait état de ses « excellentes relations avec mes présidents, essentiellement des femmes, que ce soit à la Douane, à Versailles, au ministère de la Culture ou au CNC », sa « capacité de gestion d’équipes importantes : plus de 800 agents à Versailles, 1800 à l’Opéra National avec des statuts très divers » et de budgets « très élevés : 100 millions d’€ à Versailles, 200 millions d’€ à l’Opéra de Paris et 650 millions d’€ au CNC » ainsi que ses capacités à développer des ressources propres au milieu de fortes contraintes. Un argumentaire qui peut trouver des oreilles sensibles au plus haut niveau de l’État où l’on aimerait bien que l’audiovisuel public rapporte plus et coûte moins.
Parmi les évolutions qu’il veut mettre en place, une plus grande place à la chanson française, le développement des langues régionales «langue corse, bretonne, alsacienne, basque, langues des outre-mer » et faire des antennes de Radio France « la radio de l’Education artistique et culturelle pour les jeunes ». Favorable au développement des assistants vocaux et de l’accessibilité depuis les voitures connectées, il s’oppose « fermement à l’idée de rendre payant les podcasts ou de mettre en place des abonnements payants », car le tout étant payé par la contribution à l’audiovisuel public, les Français paieraient deux fois. Parmi les augmentations de ressources propres, il propose que « Radio France puisse devenir producteur audiovisuel ».
Nouveau PDG le 14 avril
Le CSA a une nouvelle fois changé de procédure de nomination, la troisième selon la CGC-Médias qui dénonce « un jeu de Lego à géométrie variable donc qui parvienne à créer 3 figures distinctes avec les mêmes blocs d’une loi pourtant précise ». Le 4 avril, il précisera ceux qu’il va auditionner dans la semaine du 9 au 13 avril, et le 14 avril au plus tard, le nouveau PDG sera nommé. L’intérim est assuré jusque là par le doyen des administrateurs de Radio France, Jean-Luc Vergne.
Pendant la procédure de nomination, Sybile Veil a déjà écrit aux salariés : « j’ai souhaité à la fois poursuivre le travail accompli avec l’ensemble des équipes de construction d’un média global et aussi développer, dans le document stratégique remis à l’appui de ma candidature, un projet nouveau d’affirmation du rôle de Radio France au cœur des médias de service public », a‑t-elle expliqué son projet. Elle a annoncé aussi qu’elle se mettrait en retrait « sur certains sujets qui seraient susceptibles d’interférer avec la procédure de sélection en cours ».
Mais la question qui intéresse le microcosme médiatique, c’est l’identité du futur « super-PDG » de l’audiovisuel français, ainsi que son salaire, qu’Emmanuel Macron souhaiterait fortement relever. Pourtant la liste des salaires des PDG de l’audiovisuel peut faire rêver – surtout pour France Télévisions : « le salaire de Delphine Ernotte a été calqué sur celui de son prédécesseur, Rémy Pflimlin (400 000 euros annuels). Quant aux autres dirigeants du secteur, les rémunérations varient : Marie Christine Saragosse de France Médias Monde touche 260 000 euros (annuels), Véronique Cayla d’Arte France 255 000 euros, Mathieu Gallet (le PDG démissionné de Radio-France) 222 000 euros et Yves Bigot de TV5 190 000 euros ».
Titre corrigé le 01/04/2018 suite à coquille. Il fallait bien sûr lire “Radio France” et non “France Inter”. L’Ojim