Il n’y a pas lieu ici de formuler un jugement sur la conduite d’interview des deux journalistes, Jean-Jacques Bourdin et Edwy Plenel interrogeant le Président de la République le 15 avril 2018 au soir, nous aurons l’occasion d’y revenir. Quelle que soit la performance d’Edwy Plenel, le simple fait d’avoir été choisi par Emmanuel Macron représente une forme de consécration, l’émission étant retransmise à la fois sur BFMTV (groupe Drahi) et sur Mediapart. Une consécration qui couronne le réel succès du média et de son fondateur. Faute de place et en raison d’une actualité chargée, nous n’avions pu détailler la conférence de presse de Mediapart du 6 mars dernier, célébrant les dix ans du média. Nous le faisons ici.
Un peu d’histoire
Facebook naît en 2004, Twitter en 2006, Mediapart est lancé en 2008. Sur une idée à contre-courant : faire payer de l’information sur internet alors que les augures ne jurent que par un seul mantra, sur la toile la gratuité est de mise. Après avoir participé activement à la campagne de Ségolène Royal en 2007 alors que Mediapart était en préparation (Ségolène Royal renverra l’ascenseur) le site est mis en ligne le 16 mars 2008.
L’idée est révolutionnaire : pas de publicité qui influence, pas de subventions publiques qui emprisonnent, pas de subventions style Google qui accroissent la dépendance aux GAFAM. Les abonnés (de 5 à 9 euros par mois, des réductions pour ceux qui prennent un abonnement annuel) paieront pour une information qu’ils ne trouveront pas ailleurs. Même si le média a recueilli quelques aides la première année, ce n’est pas là la source de son financement. Elle se trouve dans les poches profondes de quelques amis plutôt à l’aise dans la société capitaliste. Thierry Wilhem Président de Doxa, Jean-Louis Bouchart d’Ecofinance, Gérard Cicurel d’Ella Factory se retrouveront avec Xavier Niel (Free), Maurice Levy (Publicis) et bien d’autres qui apporteront 60% des capitaux. Le site sera réalisé par la Netscouade qui avait déjà œuvré pour Désirs d’avenir. Le site sera équilibré au bout de trente mois ce qui constitue une performance. Et l’entreprise sera bénéficiaire en 2011.
Dix ans plus tard
140.000 abonnés (avec une pointe à 150.000 lors de la campagne présidentielle du printemps 2017), 83 collaborateurs, près de 14 M€ de chiffre d’affaires, plus de 2 M€ de résultat net, le modèle s’est révélé robuste.
L’Observatoire du journalisme n’a pas ménagé Edwy Plenel dont nos lecteurs trouveront un portrait vidéo et un portrait “papier”. Le personnage s’est souvent trompé et il apparaît autant comme un prophète d’un antiracisme obsessionnel que comme un journaliste. Redresseur de torts, son évolution idéologique semble le faire revenir à ses jeunes amours trotskistes, un réseau d’influence qu’il a toujours entretenu. Mais son intuition était la bonne : des fonds propres suffisants, une équipe professionnelle resserrée au départ mais suffisante (24 journalistes en 2008, 45 en 2017 et une vingtaine de pigistes), du culot et de la volonté, peuvent entraîner la réussite… plus quelques scoops retentissants.
De l’affaire Karachi (2009) à la fortune Bettencourt (2010), le compte en banque de Cahuzac et la même année (2012) le financement possible de la campagne Sarkozy par Khadafi, jusqu’à la mini affaire Baupin (2016) et les Football Leaks (2016), les scoops ou enquêtes exclusives ont attiré le chaland. D’où viennent les informations ? Du travail des journalistes bien sûr mais aussi et surtout d’un très bon réseau policier et judiciaire. Il y a belle lurette que le secret de l’instruction est une aimable plaisanterie et les juges rouges font passer sans vergogne dossiers et procès verbaux. À partir de cette matière première gratuite, avec du temps et de l’astuce on peut sortir des dossiers appétissants et structurés.
Les partenariats
Un des succès du site réside aussi dans le très grand nombre de ses partenariats, plus de cinquante, dont le CLEMI qui œuvre dans la déformation de conscience à l’éducation nationale, la Ligue de l’enseignement, Amnesty, ATTAC, Emmaüs, La Découverte, RSF et toute la clique immigrationiste, Cimade, ATD Quart Monde, Mediacités, Migreurop, SOS Méditerranée etc.
Les diversifications
La vidéo est devenue part intégrante du média. Mediapartlive était devenu hebdomadaire lors de la longue campagne électorale de fin 2016 à juin 2017. Depuis début mars 2018, le site propose chaque mercredi soir un rendez vous hebdomadaire L’Hebdo, suivi d’un débat, mais de nombreuses émissions sont disponibles en clair ou en crypté. Un studio intégré réalise les émissions.
Les chercheurs ne sont pas oubliés et nos lecteurs ne seront pas étonnés d’y retrouver Nonna Mayer de Sciences-Po et Valérie Igounet du CNRS auxquelles nous avons consacré un article en mai 2016.
La Revue du Crieur en association avec La Découverte en est à sa huitième parution et compterait un millier d’abonnés. Un projet de télévision est à l’étude, payante, à la fois sur la toile et via les opérateurs téléphoniques. Des participations de soutien ont été prises pour aider d’autres médias, Marsactu, Médiacités ou Infolibre (espagnol).
La transmission
François Bonnet un des cofondateurs s’est retiré de ses responsabilités de directeur éditorial tout en restant journaliste. Deux journalistes Stéphane Alliés et Carine Fouteau, présents depuis le début, deviennent co-directeurs. La direction souhaite transmettre le contrôle économique de l’entreprise à l’équipe via une structure à but non lucratif à définir.
Un riche mécène, Olivier Legrain (ancien directeur de Materis, maintenant Président de Mersen, matériel électrique) va investir dans une Maison des Médias Libres. L’immeuble est déjà choisi avec le concours de la mairie de Paris, au 67 boulevard de Charonne, dans le XIème arrondissement. Olivier Legrain est déjà actionnaire du tout en ligne gauchiste Bastamag et des Jours fondés par des anciens de Libération. Selon La Lettre A du 18 juillet 2017, il mettrait plusieurs millions d’euros sur la table pour accueillir un certain nombre de rédactions « conformes » soit entre 300 et 500 personnes. @rrêtsurimages de Daniel Schneidermann aurait décliné l’invitation. Par contre Alternatives économiques, Reporterre d’Hervé Kempf (ancien du Monde), Les Jours, Bastamag, Politis, Mediapart suivraient le mouvement. Mediapart est chef de file et fait partie des quatre candidats à l’appel d’offres Legrain/Mairie. Le projet pourrait voir le jour à un horizon 2020/21.