Second volet de notre série de décryptage du documentaire « Histoires d’une nation ». Une analyse en cinq parties. Partie 2 : Histoires d’une nation, décryptage de l’épisode 1, Le pays où l’on arrive (1870–1927).
En une série de 5 articles, l’OJIM s’intéresse aux « Histoires (avec un « s ») d’une nation », série documentaire, en quatre épisodes, diffusée par France 2. Le lecteur pourra retrouver le décryptage consacré à la raison d’être et aux dessous de la série documentaire ici. L’épisode 1 a d’ailleurs pour fonction de confirmer les objectifs annoncés du documentaire, et en particulier de montrer que la France commence en 1870, après la défaite de Sedan et avec l’arrivée des premiers migrants italiens, belges et polonais.
Le ton est dramatique
L’épisode commence par un défilé d’images en accéléré de la construction de la tour Eiffel, fleuron de la révolution industrielle et, dit-on, de l’image de la France après la dramatique période de la guerre de 1870 et de la défaite. Le son choisi et le ton du commentaire sont dramatiques à souhait. Pourquoi ? La tour Eiffel est notre fierté et pourtant… un homme est tombé. Et pas n’importe quel homme : un de ceux qui ont fait la tour Eiffel, et par cela, de ceux qui ont fait la France, cette nouvelle France née en 1870, si l’on en croit le début du documentaire. Une France devenue nation par ses immigrés, et particulièrement par ses ouvriers, dont cet Italien mort en tombant de la tour Eiffel, immigré qui symbolise ce qu’est la nation France : une construction par l’immigration. Une construction dans la douleur, comme le symboliserait la chute et la mort de cet ouvrier italien.
1870 ? Naissance de la France ! (paraît-il)
La France, en tant que nation, n’aurait pas existé avant la révolution industrielle. Avant, il n’y aurait eu qu’un agrégat de populations diversifiées, de communautés avec chacune sa langue, le français n’étant qu’une sorte de sabir officiel et lointain, une France composée d’une multitude de « pays » et dont les « paysans » ne furent que des migrants de l’intérieur, conduits vers les villes, les centres industriels et singulièrement Paris par la grâce des usines et des chemins de fer se développant. Pas de Français, donc, en 1870 mais des peuplades aux mœurs variées, un multiculturalisme généralisé auquel l’exode rural mettrait un terme quand Auvergnats, Bretons, Morvandiaux etc… rejoignent les centres et les usines, rejoignent les autres migrants, Italiens, Belges ou Polonais, immigrés de l’extérieur, qui n’ont comme différence que d’avoir dû traverser une frontière, et encore ; ce serait la même chose, un ensemble de migrants appelés à construire la nation France, une nouvelle nation formée justement de l’agrégation de ces diverses communautés et de leurs communautarismes, de leurs langues. Langues italiennes, polonaises, auvergnates et bretonnes, c’est du pareil au même, la preuve que la France n’existait pas, qu’elle allait naître, et même être enfantée par les immigrations du temps. C’est pourquoi les craintes de notre présent ne seraient que fariboles, selon ce documentaire et par ricochet selon France 2, télévision d’État. En 1870, c’est dit, pas de France mais des régions. L’histoire d’avant 1870 ? Rien. L’histoire de France d’avant les migrations des révolutions industrielles ? Rien.
La sémantique du documentaire
« Pas de frontières, pas encore de patrie »
« Dans un village sur quatre, personne ne parle Français » (25 %, chiffre magique devenu aussi d’usage au sujet des personnes issues de l’immigration en France aujourd’hui).
C’est après 1870 que « la France d’avant » aurait été « inventée », par l’école, un peu comme dans les colonies ensuite, la France « des gaulois », une France qui ne serait « qu’un mythe ».
Après 1870, aurait été décidé de « faire une nation et de faire des Français » (car ils n’existaient pas). Bien sûr, dans cette volonté de construire une France, de la fabriquer, il y avait des méchants qui ne voulaient pas : « catholiques, bourgeois, royalistes ». Le salut est venu de l’instauration du 14 juillet comme Fête nationale. C’est que « la République se bat pour fabriquer des Français ». Or, comme la France a besoin de bras, c’est la révolution industrielle, il faut des ouvriers, alors « de nouveaux acteurs entrent en scène : les immigrés ». On croise d’ailleurs des panneaux indiquant « interdit aux chiens et aux racailles », car certains Français qui ne sont pas Français pourtant et vivent dans une France qui n’est pas une nation, auraient tendance à rejeter les migrants. Le documentaire diffuse nombre d’exemples de violences, rixes et autres agressions, toutes contre des immigrés italiens, polonais ou belges. À aucun moment, jamais semble-t-il, selon ces Histoires d’une nation, aucun, vraiment aucun, pas un immigré ne semble avoir été coupable d’un acte délictueux, violent, ni même d’un délit. En tout cas, le documentaire n’en donne aucun exemple, dans une profusion de cas contraires (qui ne sont en fait que couvertures de presse à sensation de l’époque) où l’immigré est une victime et un bouc émissaire de tous les jours. C’est que le Français, qui pourtant n’existe pas encore, est déjà « xénophobe ».
C’est pour lutter contre cette xénophobie que « les républicains pensent alors qu’il faut obliger les étrangers à devenir Français »: le droit du sol s’impose en 1889. Pourtant, « les xénophobes ne désarment pas », et « personne n’échappe à la fureur nationaliste ». Et s’opposer « au droit du sol, c’est être contre la République »: qui n’est pas avec moi, totalement, en somme, est contre moi.
Alors survient le méchant Barrès, qui « emploie le mot race », « le mot est lâché » et la critique du droit du sol est devenu xénophobie qui est devenue nationalisme, lequel devient synonyme de « racisme ». La France devient une sorte de Janus, le dieu aux deux visages : la France des droits de l’Homme (le bien) contre la France de l’identité (le mal). Le moment est alors venu d’une petite digression au sujet du premier député noir élu à l’Assemblée Nationale, le « premier du monde ». Quiproquo ? Comment un pays raciste pourrait-il être le seul au monde à avoir élu un député noir ? Il en va de même au sujet de la France d’aujourd’hui, accusée de racisme d’Etat et de néo-colonialisme quand elle est très certainement le pays le plus accueillant de la planète. C’est pourtant l’occasion d’une première pique contre le colonialisme, pique dont on imagine sans peine qu’elle aura des petites sœurs dans les épisodes à suivre : « les peuples colonisés ne sont ni citoyens ni étrangers, ils sont sujets » (de l’Empire colonial). Difficile de saisir ce que les coloniaux viennent faire dans ce premier épisode d’un documentaire consacré à l’immigration de la fin du 19e siècle, sauf à vouloir faire un amalgame et à préparer les discours des épisodes suivants. Pour l’heure, la xénophobie est vaincue par les faits « pas de métro sans les immigrés et pas de baguettes sans les italiens ! » (On imagine si quelqu’un disait : en Algérie et au Maroc, pas de routes ni d’écoles sans la colonisation ?).
La question fuse alors : « Qui est Français ? ». Sous-entendu sinon ceux qui ont construit le métro. D’ailleurs, la Grande Guerre le montrerait bien, « la IIIe République a gagné son pari » et « la patrie existe maintenant bel et bien ». Elle existe, avec « une armée peuplée d’immigrés et de coloniaux ». Les premiers sont Français, ne sont pas Français, on s’y perd un peu. Une précision : les soldats coloniaux n’auraient pas été traumatisés par les tranchées mais par le fait de se voir couper cheveux et nattes en arrivant dans l’armée, laquelle en sa grande discrimination portait ainsi atteinte à « leur identité ». Pire, la France aurait alors osé « une immigration choisie » et le « tri entre les migrants ».
Après la guerre ? « Plus que jamais la France a besoin de travailleurs étrangers », et les méchants « patrons » « recrutent en masse et trient les travailleurs ». C’est à ce moment-là que « la France devient le premier pays d’immigration devant les États-Unis », avec « notre centre de tri » (Toul). L’information est néanmoins intéressante : la France, dans laquelle chaque écolier apprend depuis 40 ans que l’immigration n’aurait pas augmentée d’un iota depuis 1974, serait donc bel et bien un pays d’immigration massive, plus encore que les États-Unis, et ce depuis l’entre-deux guerres ? Il va falloir réviser les manuels scolaires et admettre le réel des rues. Pourquoi insister sur la quantité ? C’est que « Partout, même dans les endroits les plus inattendus, les immigrés repeuplent et reconstruisent, ils redonnent vie aux territoires, apportent des techniques nouvelles qui doublent les récoltes » (à l’évidence, il s’agit plutôt d’un vœu pour l’avenir, le nôtre, qu’un regard sur le passé). Finalement ? « En 1924, le nombre d’étrangers est passé de un à trois millions, et la France s’est relevée », dans les rues de Paris « la nouvelle France se dessine »: « Paris, la ville cosmopolite ».
Parfois, des choses surprenantes échappent aux auteurs, en particulier à l’occasion des témoignages, tous élogieux quant à l’immigration :
« Je suis romantique, je suis une femme quand même » (Marlène Schiappa, un commentaire ?)
« Ma mère voit un grand noir, hein, balèze comme cela » (Emmanuel Macron, un commentaire ?)
La diffusion d’une intervention de l’écrivain Henri Troyat, issu de l’immigration, est étonnante : il parle un français extraordinaire, se prénomme Henri… Un exemple d’intégration en effet, très loin, à l’évidence, de l’actuelle situation.
Histoires d’une nation, au fond, c’est un documentaire à charge contre la France des Français, une plongée dans la mythologie issue de la déconstruction des libéraux culturels, la manière dont ils se racontent l’histoire de France dont ils ont besoin pour fabriquer le pays qu’ils veulent maintenant et demain. De tout temps, cela a porté un nom : propagande. La suite ne peut que promettre… Le téléspectateur ne peut que comprendre ce que les immigrés auraient apporté à la France (puisqu’ils l’auraient faite), sans que jamais rien ne soit dit de ce que la France a apporté aux immigrés.
Un élément capital : jamais n’est signalé le fait que les immigrés belges, italiens ou polonais avaient un point commun essentiel avec les habitants d’une France (qui n’était pas la France paraît-il) : ils étaient européens et catholiques. Ce facteur n’est à aucun moment considéré comme un facteur fondamental. De même un autre aspect de la France : la ruralité. La France d’alors, pourtant massivement paysanne, est ignorée, comme si elle n’avait pas existé. La campagne, les paysans, les sillons creusés dans la terre, rien de cela n’a fait la France, à en croire le documentaire. Les paysans sont effacés de la photographie de la famille. Reste que le premier épisode se termine sur une inquiétude : l’assimilation semblait en marche mais « que se passera-t-il si la prospérité cède la place à la crise ? » Décryptage du prochain épisode sous peu.