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En Pologne, les médias de gauche lancent une nouvelle campagne contre la pédophilie dans l’Église

21 octobre 2018

Temps de lecture : 7 minutes
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En Pologne, les médias de gauche lancent une nouvelle campagne contre la pédophilie dans l’Église

Temps de lecture : 7 minutes

Pho­to : « Kler » (Le Clergé), film de fic­tion sor­ti en sep­tem­bre 2018 met­tant en scène trois prêtres et un évêque, tous cor­rom­pus jusqu’à la moelle…

L’Église polonaise n’a jamais connu de scandales pédophiles à l’échelle de ceux qui ont éclaté aux États-Unis et en Irlande, et plus récemment au Chili. S’il y a bien eu des prêtres pédophiles de condamnés, il s’agissait jusqu’ici de cas isolés et, finalement, peu nombreux au regard de l’ensemble des cas de pédophilie. Mais l’opposition polonaise a relancé le sujet et par tous moyens.

Quelques statistiques

En 2013, le site natemat.pl créé par le très libéral-lib­er­taire rédac­teur en chef de l’édition polon­aise de l’hebdomadaire Newsweek, Tomasz Lis, était même bien for­cé de le recon­naître, après avoir pris des con­nais­sances des sta­tis­tiques : « Qui sont les pédophiles polon­ais ? Jusqu’ici, beau­coup pen­saient [y com­pris grâce à Newsweek, NDLR] que c’est par­mi les prêtres catholiques, les enseignants et même les psy­cho­logues pour enfants que l’on en trou­ve le plus. Il s’avère cepen­dant que les sta­tis­tiques du min­istère de la Jus­tice dis­ent tout autre chose. Ce sont le plus sou­vent des gens sans qual­i­fi­ca­tion [ain­si que] des maçons, des ser­ruri­ers et des agricul­teurs. » Plus loin, l’article pré­ci­sait les chiffres con­cer­nant les pédophiles se trou­vant en prison en 2013 pour des faits de pédophilie : « Sur 1468 détenus, pas moins de 900 n’ont aucune qual­i­fi­ca­tion, près de 70 sont des maçons, 40 exerçaient des petits métiers, 30 exerçaient la pro­fes­sion de ser­ruri­er, 30 sont des agricul­teurs et 25 sont des mécani­ciens auto­mo­biles. Seuls quelques-uns exerçaient des métiers comme ingénieur, médecin, enseignant, péd­a­gogue, édu­ca­teur ou mem­bres du clergé catholique ».

Ces sta­tis­tiques avaient été divul­guées par le min­istre de la Jus­tice en réponse à une ques­tion de députés du par­ti Droit et Jus­tice (PiS), alors dans l’opposition puisque le pre­mier min­istre était Don­ald Tusk. C’était après une cam­pagne médi­a­tique accu­sant l’Église de cacher de nom­breux prêtres pédophiles, et notam­ment après une cou­ver­ture de l’hebdomadaire Newsweek qui avait choqué. Présen­tant un jeune garçon vu de dos, debout devant un prêtre le ten­ant par la tête d’une main autour de laque­lle était enroulé un chapelet, le tout avec une dis­po­si­tion sug­gérant une fel­la­tion, la pho­to de Une arbo­rait le titre « L’Église cache la pédophilie ». Les pages intérieures con­te­naient le témoignage invéri­fi­able d’une vic­time anonyme d’un prêtre pédophile, si bien que les doutes sub­sis­tent à ce jour sur l’authenticité du reportage.

Newsweek et Gazeta Wyborcza relancent la question

Mais cette année 2018, c’est le quo­ti­di­en Gaze­ta Wybor­cza qui a le pre­mier relancé la cam­pagne d’accusations à car­ac­tère pédophile con­tre l’Église catholique polon­aise. Comme Newsweek, le jour­nal Gaze­ta Wybor­cza, qui compte un fonds de George Soros par­mi ses action­naires, a fait de la pédophilie dans l’Église un de ses sujets de prédilec­tion depuis le début des années 2000. L’accusation lancée le 7 sep­tem­bre 2017 était toute­fois mal­adroite, elle s’est avérée être basée sur une infox (fake news) : « Les prêtres retirés du reg­istre des pédophiles » (gros titre de la Une du 7 sep­tem­bre). L’accusation fai­sait ressur­gir l’idée de prêtres pédophiles, et elle visait aus­si le gou­verne­ment du PiS, accusé de con­nivence avec l’Église. L’auteur de l’article assur­ait que le gou­verne­ment du PiS, et notam­ment le min­istre de la Jus­tice et son secré­taire d’État Patryk Jaki, can­di­dat à la mairie de Varso­vie pour les élec­tions munic­i­pales du 21 octo­bre 2018, avaient créé un reg­istre pub­lic des pédophiles (qui existe depuis le début de l’année) pour ensuite ne pas y met­tre les prêtres con­damnés de peur de dévoil­er « la véri­ta­ble ampleur de la pédophilie dans l’Église » et « d’exposer le PiS à la colère des hiérar­ques ». Ce que le jour­nal ne pré­ci­sait pas, c’est qu’il existe deux reg­istres : l’un pub­lic, où fig­urent les auteurs des crimes pédophiles les plus graves, et l’autre réservé à la police où fig­urent les pédophiles ayant com­mis des faits de moin­dre grav­ité, la déci­sion de l’inscription au reg­istre pub­lic ou non pub­lic étant prise par les tri­bunaux (et non par le gou­verne­ment) en fonc­tion de chaque cas. Le prêtre don­né en exem­ple par Gaze­ta Wybor­cza à titre de preuve de ses allé­ga­tions se trou­ve être inscrit sur la liste non publique.

Le 17 sep­tem­bre, Gaze­ta Wybor­cza avait du con­cret à se met­tre sous la dent : dans une affaire qui a fait grand bruit en Pologne, qui con­cer­nait une femme kid­nap­pée à l’âge de 13 ans et vio­lée à de nom­breuses repris­es par un prêtre, un tri­bunal de Poz­nań a con­damné en pre­mière instance la Société du Christ, l’ordre religieux du prêtre pédophile, à vers­er à la vic­time un mil­lion de zlo­tys (env­i­ron 230.000 €) ain­si qu’une pen­sion à vie. Pour le juge, c’est son état de prêtre et sa fonc­tion de catéchiste qui a per­mis au pédophile d’enlever sa vic­time, ce qui rend son ordre religieux core­spon­s­able. L’affaire est aujourd’hui en appel.

Un film entre la réalité et la fiction

Mais ce qui a don­né une véri­ta­ble impul­sion à la nou­velle cam­pagne d’accusations de pédophilie con­tre l’Église de Pologne, c’est la sor­tie d’un film de fic­tion, « Kler » (Le Clergé), met­tant en scène trois prêtres et un évêque, tous cor­rom­pus jusqu’à la moelle. La manière dont la presse de gauche, et notam­ment Gaze­ta Wybor­cza et Newsweek, abor­dent ce film est reflétée dans un arti­cle du Monde, parte­naire de Gaze­ta Wybor­cza, inti­t­ulé « Un film dénonçant les péchés de l’Eglise crée un élec­tro­choc en Pologne » avec, en sous-titre, la pré­ci­sion « ‘Kler’, de Woj­cieh Smar­zows­ki, abor­de notam­ment la ques­tion de la pédophilie des prêtres. » Béné­fi­ciant d’un impor­tant rabattage médi­a­tique (n’en déplaise aux cri­tiques du PiS, la Pologne d’aujourd’hui est car­ac­térisée par un grand plu­ral­isme des médias et ce sont les médias de gauche, plutôt hos­tiles à l’Église et aux con­ser­va­teurs, qui y domi­nent), le film bat des records, avec 2,5 mil­lions d’entrées en moins de deux semaines. Voir aus­si à ce pro­pos, sur le site Réin­for­ma­tion TV : « ‘Kler’, film engagé : en Pologne, la gauche inten­si­fie sa cam­pagne con­tre l’Église catholique accusée de pédophilie endémique ».

Pré­cisons, il s’agit d’un film de fic­tion tourné par un réal­isa­teur athée qui se dit lui-même hos­tile à la reli­gion et à l’enseignement du catéchisme à l’école. Mais pour Gaze­ta Wybor­cza et l’hebdomadaire Newsweek, qui ont con­sacré à la pédophilie dans l’Église et au film « Kler » pas moins de trois Unes entre le 3 sep­tem­bre et le 1er octo­bre, ce film doit per­me­t­tre de chang­er l’Église catholique en Pologne et aus­si de « décléri­calis­er l’État », pour repren­dre l’expression util­isée par Tomasz Lis dans son édi­to­r­i­al du numéro du 1er octo­bre, avec en Une : « Kler, et main­tenant quoi ? » Et « Le réal­isa­teur Woj­ciech Smar­zows­ki et des prêtres ordi­naires sur ce que le film ‘Kler’ va chang­er dans l’Église catholique et en Pologne ».

Mais aussi quelques anciens communistes à la manœuvre

Jerzy Urban, attaché de presse du gou­verne­ment com­mu­niste à l’époque de la dic­tature du général Jaruzel­s­ki, et donc chargé à l’époque de coor­don­ner les cam­pagnes de dén­i­gre­ment con­tre l’Église catholique, est aujourd’hui à la tête d’un heb­do­madaire satirique anti­cléri­cal, Nie (Non). Présent à la pre­mière du film « Kler », il voit quant à lui dans ce film l’occasion d’inciter les catholiques à renon­cer à leur foi : « Tous font sem­blant de cri­ti­quer l’Église pour son bien et de rêver que cela aille mieux dans l’Église catholique. Moi, c’est le con­traire, je veux que cela aille le plus mal pos­si­ble. Qu’il n’y ait que des pédophiles, que des tricheurs et que l’Église soit encore plus dégoû­tante ». Mais il voit aus­si dans ce film et dans l’utilisation qui en est faite par les médias de gauche une con­cur­rence dan­gereuse : « Il éveille en moi des sen­ti­ments mit­igés, car je rédi­ge un mag­a­zine forte­ment anti­cléri­cal et un tel film, avec sa pop­u­lar­ité, banalise le sujet et me prive du mono­pole sur les attaques con­tre le clergé. De cette manière, je perds le moteur de mon busi­ness. », a ain­si expliqué l’ancien chef de la pro­pa­gande du général Jaruzel­s­ki. Un busi­ness économique mais aus­si politique.

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