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Histoires d’une nation ou France 2 au pays des Soviets. Quatrième partie

29 octobre 2018

Temps de lecture : 11 minutes
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Histoires d’une nation ou France 2 au pays des Soviets. Quatrième partie

Temps de lecture : 11 minutes

Qua­trième volet de notre série de décryptage du doc­u­men­taire « His­toires d’une nation ». Par­tie 4 : His­toires d’une nation, analyse de l’épisode 3/4, La gloire de nos pères (1954–1974).

Le quatrième volet de la série documentaire de France 2, « Histoires d’une nation » est consacré à « la gloire de nos pères », autrement dit les immigrés qui ont travaillé « sans cesse », sauf à dormir « vingt minutes » entre trois métiers affirme un témoin, durant les Trente Glorieuses, « pour faire la France » (décidément une rengaine de cette série) et permettre à leurs enfants de gravir les marches de l’ascenseur social du pays, à l’image de Zinedine Zidane, figure en filigrane permanent de cet épisode.

Après avoir analysé le pourquoi de ce doc­u­men­taire, puis décryp­té les deux pre­miers épisodes, l’OJIM se penche sur l’épisode trois sur qua­tre, épisode qui évoque plus sou­vent l’immigration maghrébine, tout en insis­tant sur l’assimilation pro­gres­sive des immi­grés polon­ais, por­tu­gais ou ital­iens. Notons que la série doc­u­men­taire (copro­duite par France Inter/L’Obs, et dif­fusée mas­sive­ment dans l’Éducation Nationale par l’intermédiaire de Francetvé­d­u­ca­tion), n’interroge tou­jours pas le pourquoi d’une assim­i­la­tion plus aisée en France d’un Européen que d’un Africain, sinon en exposant une sorte d’atavisme raciste du Français (Français qui pour­tant n’existe pas, puisque d’après les épisodes précé­dents il serait un immi­gré comme les autres). La machine à penser cor­recte­ment est en marche. Une série dont on se demande si elle ne mérit­erait pas un Bobard d’or ? Voire de platine.

Et si on larmoyait un peu pour commencer ?

Images col­orisées, musique dra­ma­tique, le téléspec­ta­teur peut avoir le sen­ti­ment de regarder un épisode de cette autre série doc­u­men­taire qu’est Apoc­a­lypse, sur les guer­res mon­di­ales ; ce n’est pas le cas, ce sont les his­toires pro­pa­gan­distes d’une nation, cette France qui serait née du ven­tre fécond de l’immigration. La ficelle est à ce point grosse que, une fois n’est pas cou­tume, dans le con­cert de louanges venu de tous les côtés de la presse, même Le Monde s’est inter­rogé sur la per­ti­nence de la vision du monde propagée par la série, indi­quant que cette dernière offre « un regard incom­plet, sinon éloigné du réel » (déf­i­ni­tion pos­si­ble d’un doc­u­men­taire de propagande).

Dès l’entame, le troisième épisode ne fait pas dans la den­telle : « Il fait froid, nous avons chaud », cha­cun aura recon­nu les pre­miers mots de l’appel de l’abbé Pierre de 1954. Pourquoi repren­dre le fil de ces his­toires « plurielles » d’une France « sans cesse réin­ven­tée par ses immi­grés » en 1954 ? Sim­ple comme une obses­sion : sur les 1677 sans logis de Paris, en 1954, les deux tiers sont, d’après les auteurs, des algériens. Et par­mi eux ? Le papa de Zine­dine Zidane. On pleure dans les chau­mières, par­don dans les cités. « Ils dor­ment dehors, dont le père de Zine­dine Zidane, quar­ante-qua­tre ans avant que son fils gagne la coupe du monde de foot­ball ». Pour un peu, le foot­ball n’aurait pas eu son Mozart. Et la France n’aurait pas con­nu son énième renaissance.

La France des Trente Glorieuses ?

D’un côté, des Français « bour­geois » habi­tant beaux quartiers et beaux immeubles (nulle trace d’un ouvri­er blanc Français ni d’un paysan dans cet épisode), employ­ant une « bonne espag­nole et une concierge por­tu­gaise » (c’est l’ascenseur social), tan­dis que les immi­grés d’Afrique du Nord vivent dans la boue des bidonvilles. Un sim­ple regard des auteurs portés sur le qua­torz­ième arrondisse­ment du Paris de l’époque aurait mon­tré que les con­di­tions de vie n’étaient guère meilleures dans les vieux immeubles délabrés, sou­vent insalu­bres, où logeaient les ouvri­ers de souche.

Qu’à cela ne tienne, ce qui importe c’est que dans les bidonvilles, « la moitié de ceux qui vivent là sont des Français pas comme les autres, ils sont appelés les Français musul­mans d’Algérie ». L’époque est à la recon­struc­tion et « les immi­grés arrivent pour redress­er le pays ». Après l’avoir inven­tée, puis sauvée, les immi­grés redressent main­tenant la France. Ce redresse­ment nation­al, du coup accept­able quand il serait l’œuvre d’étrangers, se fait dans un con­texte ter­ri­ble pour les immi­grés, vic­times d’être en France tan­dis que leurs peu­ples com­bat­tent cette même (méchante) France pour leur indépen­dance. Cela tombe mal : on tra­vaille en France, mais au « bled » on ne veut plus dépen­dre de la France. Pire, cer­tains immi­grés algériens (au moins un en tout cas, cela s’appelle la « micro his­toire »), se sont engagés pour com­bat­tre en Indo­chine, avant d’ensuite rejoin­dre le FLN, tuer des sol­dats Français, puis revenir tra­vailler dans ce même pays dont ils ne voulaient plus. On ne com­prend goutte, et le doc­u­men­taire ne nous éclaire guère sur la logique à l’œuvre ; l’objectif n’est pas là, il est sim­ple­ment de nous rap­pel­er l’injustice de la décoloni­sa­tion. Une décoloni­sa­tion ou « L’État est en guerre avec ses immi­grés sur le sol Français ». C’est cela, la Guerre d’Algérie : une guerre menée par la France con­tre les immi­grés algériens vivant sur le ter­ri­toire nation­al. Ce qui évidem­ment ne saurait rap­pel­er que les « heures som­bres de notre his­toire », puisque « le Vel d’Hiv’ sert de nou­veau pour les intern­er » (les Algériens, le Vel d’Hiv’ ?). La parole est don­née à un témoin dont le père a com­bat­tu la France et a été interné : c’était « un résis­tant, comme Jean Moulin » (sic). Autre témoignage, au sujet de la Guerre d’Algérie, celui de Ramzy Bédia : « J’en sais plus sur Clo­vis et le vase de Sois­sons [il doit être âgé, du coup] que sur la Guerre d’Algérie ». Per­son­ne n’a une adresse de librairie à indi­quer à ce quidam ?

L’indépendance, une bonne nouvelle ? Plus ou moins.

L’indépendance et la défaite de la France dans la Guerre d’Algérie, c’est évidem­ment bien, d’après cet épisode. Enfin… sauf pour les immi­grés vivant en France, lesquels per­dent la nation­al­ité française. Ce qui serait un scan­dale : il est vrai que des indi­vidus accueil­lis en France, aidés sociale­ment (les aides représen­taient le dou­ble du salaire de son père, indique un témoin), par­tic­i­pant de l’intérieur à la guerre con­tre ce pays qui les a accueil­lis (les fameux « résis­tants »), fêtant l’indépendance de l’Algérie, obtenant donc le statut de nation entre les nations, et qui n’ont plus la nation­al­ité du pays qu’ils ont voulu quit­ter, mais gag­nent celle du pays qu’ils ont voulu ren­dre indépen­dant, il y a de quoi être choqué. Du moins, pour les auteurs de ce doc­u­men­taire. Pour­tant, ils avaient bien mérité, comme cet immi­gré dont l’histoire nous est con­tée qui, après avoir com­bat­tu en Algérie dans les rangs du FLN, se pré­cip­ite en France car la RATP embauche. Le pire ? Comme il est Algérien et que la guerre se ter­mine juste, bien que ne se déclarant évidem­ment pas en tant que tueur de sol­dats Français, il est vic­time d’une « injus­tice » : lui et ses com­pa­tri­otes (300 000 algériens arrivent en France juste après la guerre pour tra­vailler) « sont con­sid­érés comme des enne­mis de l’intérieur ». On se demande bien pourquoi ? Les auteurs de la série ne se deman­dent rien.

C’est le boom économique

Les images mon­trent d’autres immi­grés, pas­sant les fron­tières, fuyant les « dic­tatures du sud de l’Europe », le Por­tu­gal et l’Espagne ; ce seraient des « réfugiés » devant d’ailleurs pay­er des « passeurs », une sit­u­a­tion somme toute nor­male sem­ble-t-il. Ils rejoignent les bidonvilles mon­trés aupar­a­vant, dans une France qui mal­traite plus qu’elle n’accueille, et c’est ce qui est le plus éton­nant dans cette série : la France n’y est jamais généreuse. On peut se deman­der à bon droit ce qui attire, du coup, tant les pop­u­la­tions exogènes ?

Par con­tre, cer­tains Français se sont mon­trés accueil­lants, ain­si Miche­lin et sa poli­tique de regroupe­ment famil­ial avant la let­tre, pas­sage qui donne à voir un étrange éloge du pater­nal­isme patronal, jusque-là plutôt cri­tiqué dans les officines cul­turelles de gauche. La con­fu­sion règne ain­si à tous les étages d’His­toires d’une nation, mal­gré l’adoubement de France Inter et de France 2.

Dans la mémoire de leurs enfants, les Trente Glo­rieuses des immi­grés, c’est « la gloire de nos pères ». Les his­toires famil­iales se suc­cè­dent, valant his­toire générale de la France, dans une con­cep­tion ultra indi­vid­u­al­iste des sociétés. Ain­si, ce témoin qui racon­te : « À par­tir du moment où je suis allé au lycée, j’étais vénéré dans la famille. J’avais une sœur qui m’enlevait les chaus­sures et les chaus­settes en ren­trant, une autre sœur m’apportait une bas­sine avec de l’eau chaude et du gros sel, et ma mère qui me lavait les pieds ». Comme dans les épisodes précé­dents, pas une remar­que quant au sex­isme tran­quille de ces pro­pos. Ce n’est cer­taine­ment pas un hasard : lais­sons le temps au temps, comme autre­fois, sem­blent dire les auteurs, l’œil rivé sur le sex­isme des immi­grés musul­mans vivant actuelle­ment en France, et faisant autant d’enfants que ceux d’hier, à en croire les images. Peut-être moins que les « 25 enfants » de la même famille que le prési­dent Gis­card d’Estaing voulut voir lors d’une vis­ite ren­due à un bidonville. Reste qu’alors « La France change de vis­age. Qu’ils soient immi­grés ou Français, les jeunes ont les mêmes loisirs, écoutent la même musique », et « les enfants d’immigrés mon­tent en haut de l’affiche [images d’Aznavour, Mon­tand, Lino Ven­tu­ra, Gains­bourg, Kopa, sans que soit remar­qué qu’aucun n’est africain et que la majorité sont de reli­gion chré­ti­enne], la France ray­onne et ils en assurent le pres­tige nation­al » (c’est la ren­gaine, le refrain de la série).

Il n’est pas plus remar­qué, le Français impec­ca­ble par­lé par ces enfants d’immigrés, éduqués par leurs familles et l’école, poussés à s’intégrer dans la nation plutôt qu’à occu­per leur temps à la dés­in­té­gr­er, sous cou­vert de la pro­tec­tion des « valeurs répub­li­caines » (cet aspect a été sig­nalé à l’OJIM par un lecteur, indi­quant que der­rière la néga­tion de la nation se pro­file, dans ce doc­u­men­taire, un éloge de ces « valeurs », lesquelles sont il est vrai un dogme dont les immi­grés sont le Graal). La preuve que l’immigration est le Graal de la France ? Astérix, œuvre de Goscin­ny et Uder­zo, fils d’immigrés, por­teurs avec le vil­lage irré­ductible des Gaulois de la mytholo­gie de la nation, laque­lle du coup n’est rien de plus qu’une bande dess­inée, un imaginaire.

1968, l’année de sortie de l’ombre  

Devin­er en quelle année les immi­grés auraient enfin pu quit­ter l’ombre pour la lumière, et avoir la parole, n’est pas si dif­fi­cile : c’est 1968. For­cé­ment. L’année de la grande libéra­tion. Dans le courant des événe­ments étu­di­ants puis ouvri­ers, orchestré par divers grou­pus­cules sou­tiens de divers total­i­tarismes de l’époque, les immi­grés se tien­nent à l’écart mais, instru­its par les événe­ments et aidés par la gauche, ils pren­nent la parole en 1970, por­tant des reven­di­ca­tions spé­ci­fiques pour leur catégorie.

L’historien mil­i­tant Ben­jamin Sto­ra appa­raît alors à l’écran pour affirmer que cette prise de parole met fin à la « dis­sim­u­la­tion-assim­i­la­tion ». Cette dernière, l’assimilation, c’est le mal car elle con­traig­nait l’immigré, hier, la minorité, aujourd’hui, à cacher son iden­tité, laque­lle serait le bien le plus impor­tant de ce vivre ensem­ble, lui-même le Bien absolu. Ils récla­ment le droit de « vivre nor­male­ment en France », et même « l’Église monte au créneau » ; elle qui pour­tant sem­blait n’être qu’une fic­tion, est appelée à la rescousse quand elle va dans le bon sens de l’Histoire ou plutôt des his­toires d’une nation qu’elle n’aurait, la coquine, en rien con­tribué à créer.

En tout cas, dans la foulée de 1968, l’heure étant à la lib­erté, dit-on, est votée la loi de 1972 con­tre le racisme, mon­trant par là même le racisme dont serait vic­time les immi­grés. Du coup : « La nou­velle extrême droite veut raviv­er en France les iné­gal­ités raciales des colonies ». Le Mal approche sans aucun doute, et cer­taine­ment le dernier épisode nous don­nera-t-il son nom.

Déconstruction tous azimuts

Ce troisième épisode d’histoires d’une nation ne décevra pas les ama­teurs de pro­pa­gande con­tem­po­raine. Il a la qual­ité d’être fidèle à lui-même, autrement dit à l’esprit d’une série dont l’objet est de décon­stru­ire la nation France, au nom effec­tive­ment des « valeurs de la république », mais aus­si au-delà : la véri­ta­ble com­mu­nauté nationale serait celle du « vivre ensem­ble », con­stru­it patiem­ment, et con­tre les autochtones « racistes », par les généra­tions de migrants qui sont venus sur le ter­ri­toire afin, juste­ment, d’inventer et de réin­ven­ter sans cesse une France qui n’existait pas aupar­a­vant. L’immigration, c’est la Parole du nou­veau prophète, Zidane. Après 68 et par la grâce de Dieu, par­don de Zidane, par­don de l’immigration, « une nou­velle vie com­mence pour toute une généra­tion de jeunes Français ». Le nou­veau réc­it nation­al, celui que nos enfants vont main­tenant appren­dre à l’école.

Sans doute vise-t-on ain­si à sup­primer les jeux de revolver en class­es de lycée pro­fes­sion­nels où, on le con­state, la France n’a plus aucune exis­tence eth­nique. Ceci expli­quant peut-être cela ? Mais alors, ce serait une autre his­toire que ces his­toires d’une nation, car jamais un immi­gré n’oserait men­ac­er une enseignante avec une arme, le bien ne pou­vant pas faire le mal, c’est bien con­nu. On frétille d’impatience à l’idée de voir le qua­trième et dernier épisode de ce doc­u­ment de propagande.

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