Il n’y a pas que la politique étrangère, le droit ou le budget qui échappent à la souveraineté nationale. La taxe Gafa, où le ministre français de l’Économie et des Finances alterne entre volontarisme esseulé et reculade piteuse, en est un bon exemple. La France est à la remorque de l’Allemagne, et c’est du bon vouloir de Merkel que la future taxe va dépendre.
Les GAFAM sous-imposés
Volontariste fin octobre dernier devant le Parlement Européen pour taxer des GAFA – Google, Apple, Facebook, Amazon – « sous-imposés », ils paient en effet 9% en moyenne d’impôts en UE contre 23% pour le reste de l’économie, le ministre a réussi à rallier l’Autriche, les Pays-Bas et le Luxembourg, mais pas l’Irlande, le Danemark et la Suède, ni surtout l’Allemagne.
Reculade à fin 2020
Début novembre 2018 il a donc été contraint de reculer en annonçant un report à « fin 2020 » à cause de la position allemande. La France défend l’idée d’une taxe européenne temporaire – à 3% du chiffre d’affaires pour les entreprises dont le chiffre d’affaires annuel mondial serait supérieur à 750 millions d’euros et dans l’UE de plus de 50 millions d’euros. L’Allemagne, elle, veut d’abord un accord des pays de l’OCDE avant l’été 2019.
L’Irlande – où se trouvent les sièges européens des GAFA – et la Suède ainsi que le Danemark et l’Estonie restent des opposants résolus à une taxation européenne qui menace leurs intérêts propres ; ils craignent aussi qu’une taxe européenne donne l’avantage au Japon et aux Etats-Unis pour les sièges des GAFA.
Législations nationales potentiellement contre productives
Or, sans accord européen, les pays légiféreront eux-mêmes, chacun dans son coin : des projets de taxe nationale sont en cours en Italie et en Espagne ou ont été adoptés au Royaume-Uni. Or, ce patchwork de taxes risque de faire du mal en priorité aux entreprises numériques européennes elles-mêmes.
Un compromis franco-allemand a commencé à être ébauché mi-novembre : le ministre des Finances allemand Olaf Scholz a annoncé qu’il soutenait le « modèle français » de taxe sur le numérique. Mais la taxe serait repoussée à 2021 et conditionnée à l’échec des négociations au sein de l’OCDE. L’Allemagne espère ainsi éviter des représailles américaines contre ses propres géants du web.
Pressions américaines
Le 13 octobre les sénateurs américains Orrin Hatch et Ron Wyden, membres de la commission des Finances du Sénat des États-Unis, se sont fendus d’une lettre lapidaire où ils précisent les « inquiétudes significatives et croissantes » des entreprises américaines face à une taxe GAFA qui semble « orientée contre les entreprises américaines » et qui « créerait une nouvelle barrière significative au commerce transatlantique ».
Les deux sénateurs indiquent aussi que le projet de taxe « viole le principe ancien selon lequel les taxes sur les multinationales doivent être basées sur le bénéfice et non le chiffre d’affaires », indiquent que les entreprises concernées vont se retrouver donc doublement taxées et que les entreprises chinoises vont, elles, échapper à l’application de la taxe.
Le 4 décembre 2018 et à l’initiative de l’Allemagne, un projet de taxe GAFA sera présenté lors d’une réunion des ministres des Finances de l’UE. La position allemande sera sans doute de repousser la taxe à plus tard, le plus tard possible et si possible aux fameuses Calendes grecques, dont chacun sait qu’elles n’existent que dans le calendrier romain, autant dire jamais. A suivre