Les 10 et 11 décembre 2018, les pays membres de l’Organisation des Nations Unies ont été invités à signer à Marrakech un « Pacte mondial pour les migrations ». Il s’agit selon l’ONU du « premier accord négocié entre gouvernements, destiné à couvrir toutes les dimensions des migrations internationales à travers une approche globale et exhaustive ». Globalement, l’objectif de l’accord est de mieux organiser les migrations, légales et clandestines, qui seraient un phénomène naturel et inéluctable. Le sujet a mis en émoi certains gilets jaunes, au grand dam de nombreux journalistes. Nous en avons relevé les verbatim.
Un enjeu en Belgique, un épiphénomène en France
Dans les jours précédant la signature de cet accord, les médias français se sont fait assez discrets sur le sujet. Pourtant, chez nos voisins belges, les médias locaux font état de débats enflammés qui menacent la stabilité du gouvernement. La Libre Belgique nous explique le 4 décembre que « le gouvernement est plus divisé que jamais sur le Pacte de l’ONU sur les migrations ». Le quotidien belge indique qu’un parti de la coalition au pouvoir, le N‑VA a présenté le texte onusien comme une « ligne rouge », ce qui fait réagir les autres partis de la coalition. A tel point que la chute du gouvernement est évoquée par le site Sudinfo.be.
Pendant ce temps, en France, la principale préoccupation de nombreux médias au sujet de l’accord est de tordre le cou aux rumeurs que propageraient les « populistes » et autres gilets jaunes. Les médias qui relaient des positions opposées à la signature de l’accord sont par contre en nombre limité. Ceci bien qu’un récent sondage montre l’opposition de la majorité des français à de nouvelles vagues d’immigration. Une nouvelle traduction du décalage existant entre une certaine médiacratie et le reste de la population.
En France, une obsession : la chasse aux « idées fausses »
BFMTV a une préoccupation : rétablir la vérité au sujet de cet accord. Un article sur le site de la chaine titre : « Migrants: qu’est-ce que le pacte de Marrakech qui agite une partie des gilets jaunes ? ». Dès le sous-titre, nous sommes rassurés : « Ce texte sur les migrations que doit ratifier Emmanuel Macron le 10 décembre prochain entend pourtant respecter la souveraineté de chaque signataire ».
Sur France Inter également, l’heure est à la « ré-information » : le 4 décembre, un reportage est consacré à ces « folles rumeurs » au sujet de l’accord. Lors du journal de 19 heures le 5 décembre, le rôle des réseaux sociaux au sein des gilets jaunes est évoqué, qui contribueraient à faire courir des rumeurs infondées.
Le Parisien, comme souvent, veut corriger les « idées reçues » : « Immigration massive» et «pleins pouvoirs» : que dit vraiment le pacte de l’ONU sur les migrations ? ». « La copie du projet du document final publié en juillet dernier, ne comporte aucune mention d’une quelconque transmission de pouvoirs ou de compétences. Pour corriger les « idées reçues », le quotidien apporte l’éclairage de Gaëtan Gorce, chercheur à l’Iris. Et accessoirement ancien collaborateur du Président F. Mitterrand, comme indiqué sur sa bio sur le site de l’Iris.
France Info ne déroge pas à la tendance, dans un mimétisme digne d’un banc de poissons : « “Chaos total”, “remplacement des peuples” : trois questions sur le pacte de Marrakech, qui affole certains “gilets jaunes” ». Heureusement, « France info fait le point ». C’est donc en toute objectivité que l’on apprend que « le document est non contraignant ». Pour nous éclairer, la chaine publique de radio fait appel à Matthieu Tardis. Un chercheur au Centre migrations et citoyennetés de l’Institut français des relations internationales (Ifri) qui s’inquiétait dès le mois de juin dans Ouest-France des « “mesures d’exception” envisagées par l’Europe pour gérer les flux de migrants » et qui estimait que l’Europe ne vivait pas de crise migratoire.
La Voix du Nord veut également combattre les idées fausses : « Contrairement à certaines idées et rumeurs relayées sur la toile, ce texte ne mettra pas à mal la souveraineté des états. Et pour cause, le pacte a une valeur non-contraignante ».
L’Express se veut rassurant : il donne la parole à un ambassadeur mexicain : « Le Pacte mondial n’imposera rien à personne, mais il propose des solutions ».
L’Agence France Presse, qui sur son site indique être « une agence d’information mondiale fournissant une couverture rapide, vérifiée et complète », consacre deux « fastchecks » (vérification des faits) afin de montrer l’accord sous un jour favorable : le 28 novembre, pour préciser que « le pacte migratoire de l’ONU ne retire pas sa souveraineté au Canada », et le 5 décembre pour dire la même chose pour la France.
Une posture qui est également celle du Ministère des Affaires étrangères qui nous explique laborieusement sur son site comment démêler « le vrai du faux ». Une vraie boite à outil qui n’a pas été inutile. Quand l’information officielle et celle des médias se rejoignent…
Certains titres de la presse économique étrangère se joignent à l’unanimisme ambiant. Le journal des milliardaires Forbes estime que « l’opposition à l’accord sur les migrations est juste du bruit et de la fureur ». Tandis que l’agence de services aux marchés financiers Bloomberg affirme que « la controverse à propos de l’accord montre des politiciens plus préoccupés du buzz que de la vraie politique ».
Les opposants : le dernier bastion d’irréductibles
Peu de médias font état de points de vue opposés à l’accord sur les migrations ou donnent la parole à des opposants à celui-ci. Parmi ceux-ci, on peut citer le site Polemia, Breizh Info, RT France, Gatestone Institute, Boulevard Voltaire.
La chaine TV Libertés évoque le 21 novembre « l’hostilité grandissante » à cet accord. « L’objectif est de faire en sorte que les migrations se déroulent le mieux possible en garantissant une plus grande sécurité aux clandestins et un meilleur accueil, comprendre favoriser l’immigration ».
Le Figaro donne la parole à des opposants à l’accord : l’historien du droit Jean-Louis Harouel estime que « cet accord, sous couvert de bons sentiments, est un moyen de pression sur les pays occidentaux ». Selon Eric Ciotti, on s’oriente vers « vers un droit à l’immigration opposable ». Yves Mamou affirme que « le Pacte de l’ONU sur les migrants va encourager l’immigration au lieu de l’encadrer ».
Sur le site de Valeurs actuelles, l’essayiste Alexandre Del Valle estime qu’avec cet texte, « le « migrant » cesse d’être un individu responsable capable d’être honnête ou malhonnête, éligible ou pas, mais un « créditeur » par essence dont les droits seraient inversement proportionnels aux devoirs du débiteur occidental ».
La liberté d’expression en question
L’article 17 de l’accord prévoit que les signataires s’engagent à « encourager un débat fondé sur l’analyse des faits afin de faire évoluer la manière dont les migrations sont perçues ». On peut voir dans cette seule phrase le parti pris des promoteurs de l’accord : « l’analyse des faits » ne pourrait que conduire à un bilan positif de l’immigration. La liberté d’expression des médias n’étant pas suffisante pour faire accepter ce postulat, il y a lieu de « faire évoluer la manière dont les migrations sont perçues ». L’article 10 va plus loin : il faut « démonter les discours trompeurs qui donnent une image négative des migrants ». L’alinéa C de l’article 17 prévoit « l’institution de normes déontologiques » pour les journalistes et des mesures de rétorsion (fin des aides publiques). Gare aux journalistes qui s’écarteront du prêt à penser immigrationniste. Au-delà des subventions déjà versées par l’Union Européenne pour récompenser les « bonnes pratiques », c’est maintenant le bâton qui est brandi par l’ONU pour les récalcitrants.
Le point commun aux titres de presse et commentaires de radios publiques d’information favorables à l’accord est leur position défensive. Il s’agit de démonter les arguments des opposants à l’accord. Celui-ci ne présenterait que des avantages et ne serait pas « contraignant ». En quoi consiste alors l’enjeu pour les représentants des pays d’apposer leur signature sur un accord comportant pas moins de 54 engagements ? Les résolutions de l’accord n’ont-elles pas vocation à être transcrites en droit national et mesures prises par les gouvernements ? Sinon, à quoi bon demander une signature des Etats ? Un paradoxe évident qui laisse de marbre de nombreux médias.
Nous laisserons la conclusion à Sylvain Tesson qui écrivait récemment « l’exilé a été érigé dans l’inconscient européen en archétype de la détresse suprême. Une mystique du « déplacement » s’est instituée en nous. Elle est davantage célébrée que l’éthique de la résistance ou l’esthétique ulyssienne du retour ». Comme on l’a vu, dans leur majorité, de nombreux médias entretiennent largement cette « mystique » et ce prisme déformant. La promotion de l’accord sur le pacte sur les migrations en est un nouvel exemple.