Première diffusion le 08/01/2019
L’Instant M est une émission diffusée chaque matin de la semaine sur France Inter et présentée par Sonia Devillers. « 40 minutes d’actu médias » où tout est dans la façon de traiter les sujets. Décryptage d’une émission, première partie.
Le 12 décembre 2018, L’Instant M s’intitule « Fusillade de Strasbourg : accélération des théories conspirationnistes ». Un titre intéressant en lui-même pour trois raisons :
- il n’indique pas le caractère terroriste de la « fusillade »
- il n’en caractérise pas le caractère islamiste musulman.
- il détourne la réalité de l’attentat le transformant en un autre fait : une prétendue actualité liée au «conspirationnisme ».
Avant l’écoute ?
La page internet de l’émission propose un lien vers un dossier de France Inter consacré à « Coup monté, manipulation : des gilets jaunes versent dans les théories du complot après Strasbourg ». La bobosphère, dont L’Instant M est réputé pour être très représentatif, a deux soucis récurrents qui réapparaissent immédiatement :
- éviter d’être soupçonné d’islamophobie et donc « d’amalgames » entre islam et islamisme si jamais était évoqué le caractère musulman du terroriste de Strasbourg.
- ne pas voir le caractère profondément populaire du mouvement des gilets jaunes, et confondre le peuple avec la caricature en usage dans la bobosphère (raciste, blanc, xénophobe, électeur du RN etc).
La présentation de l’émission sur le site
« Ce fut quasi instantané hier soir. À peine un attentat venait-il d’être commis à Strasbourg que se sont multipliés sur les réseaux des messages et vidéos : « voilà qui arrange trop bien Macron », « voilà qui va mettre fin aux gilets jaunes », « voilà qui va empêcher tout le monde de sortir dans la rue », « c’est pas un vrai attentat », « c’est un truc fabriqué par l’État »…
Sachez que ce type de raisonnement qui ne nie pas les faits mais les interprètent à l’aune d’un complot ou d’une conspiration sont devenus le passage obligé en période d’attentat. Sont-ils apparus encore plus rapidement qu’auparavant ? De manière plus massive ? Les groupes de discussion des Gilets Jaunes se sont-ils montrés plus poreux que d’autres à ces délires paranoïaques ? »
Nous avons laissé, et souligné, la faute de conjugaison du verbe interpréter, par respect de la qualité du travail de la radio d’État (laquelle manque sans doute de moyens).
Et à l’écoute ?
Une surprise d’emblée : en quoi les post individuels sur les réseaux sociaux ont-ils à voir avec « l’actu média ». Ces post ne sont pas le fait de journalistes et ne sont pas diffusés sur des médias mais sur les réseaux sociaux. L’Instant M ne voit pas, où mime le fait de ne pas voir la différence entre un réseau social et un média ?
Les invités :
— Guillaume Daudin, responsable d’AFP factuel, site de l’AFP qui traque les fakenews. Ce qui venant de l’AFP ne manque pas de sel. D’autant plus que Guillaume Daudin s’est souvent illustré de par sa pratique militante du journalisme, comme notre lien le montre… Sonia Devillers insiste très fortement sur « l’importance de la vérification de l’information », de « la traque des fausses rumeurs » et de « la gratuité de ce service » de l’AFP.
— Tristan Mendès France, maître de conférences associé à Paris Diderot, à la Sorbonne et enseignant au CELSA. C’est le petit-fils de Mendès France, il a été assistant parlementaire d’un sénateur socialiste. Ouvertement militant pro-avortement depuis 1998, il est membre de la revue Prochoix, fondée par Caroline Fourest. Les futurs communicants issus des universités et écoles supérieures françaises pensent dans les bons rails.
Passe moi la rhubarbe, je te passe le séné
Dans L’Instant M, on est ainsi tranquillement entre soi, entre bobos détenteurs de la vraie vérité. On est entre potes. Cette même semaine l’hebdo Le 1 présente « Le fact-checking, nouvelle priorité de l’AFP ». Petites publicités entre amis. Une fine équipe qui ne manque pas de casseroles et à laquelle il semble que les auditeurs doivent faire confiance concernant le sérieux de l’information, tout comme les étudiants… La preuve ? À peine les deux invités présentés, Sonia Devillers lance un appel : « Une précision, on a beaucoup de messages conspirationnistes qui se terminent par « si vous ne nous croyez pas, renseignez-vous sur internet ». Elle ajoute « surtout pas, sachez qu’il y a une cellule d’investigation de la préfecture » de Strasbourg, puis elle donne le numéro de téléphone.
- L’émission décrypte les informations données le soir de l’attentat, notamment sur les chaînes de télévision en continu, et sur la manière dont les réseaux sociaux répercutent ce qui est vu à la télévision. Il s’agit de chasser toute forme de fausse rumeur pour « endiguer », indique Sonia Devillers.
- Est diffusé un extrait de live Facebook de « fly rider, alias Maxime Nicolle » où l’un des porte-paroles des gilets jaunes tiendrait des propos complotistes. Autre thème : « Macron n’a pas convaincu les merdias ». On est embêté sur le plateau car Fly Rider est suivi par 140 000 personnes et a été souvent invité sur les plateaux de télévision.
- Tristan Mendès France explique que dans la plupart des groupes de gilets jaunes, la tonalité serait massivement complotiste.
Un complot russe ?
Retour de Sonia Devillers sur les attentats de 2015, avec l’exemple du Réseau Voltaire plus un extrait de France 2 où des adolescents parlent d’un complot. Idée : tous les attentats déclenchent des théories complotistes et « l’écosystème des gilets jaunes est entré en fusion avec ces délires conspirationnistes ». Est « venue s’agréger la fachosphère ». L’heure est grave décidément, d’autant que, dixit Sonia Devillers, « je le rappelle, Guillaume Daudin, longtemps vous avez été en charge de l’extrême-droite pour l’AFP ». CQFD : gilets jaunes, c’est l’extrême-droite, tout comme le complotisme… C’est d’autant plus embêtant que les vrais complots « ça existe, cette semaine une enquête du New York Times montrait qu’on pouvait soupçonner les russes de jouer sur les comptes Twitter des gilets jaunes pour mettre de l’huile sur le feu en France ». Le complot, ce sont les Russes : « Allez expliquer à quelqu’un sur un rond-point qu’il est sans doute manipulé par les Russes mais que les attentats ne sont en aucun cas fomentés par les services de renseignements français, vous vous rendez compte ? ». Et de rappeler : « enquête de l’IFOP en janvier 2018, 75 % des Français croient au moins en une thèse conspirationniste ». Une enquête dont les critères ont pourtant été très sérieusement contestés, par exemple par Marianne.
Résumons : une émission qui prétend mettre en avant des contre arguments pour lutter contre des informations douteuses et qui prend comme contre argument un sondage bidon… et soutient la thèse fantasmatique d’un « complot russe » dans une émission « anti-complotiste ». Décidément, L’Instant M mérite d’être suivi, l’OJIM va s’y attacher dans les semaines qui viennent.