Durant l’été 2018, les médias nous ont tenu en haleine lorsque des bateaux d’ONG avec à leur bord des migrants africains étaient à la recherche d’un port européen pour accoster. Le gouvernement italien a en effet mis un terme au pont maritime organisé par ces associations entre la Libye et l’Italie. Heureusement, pour de nombreux médias, « l’Espagne a sauvé l’honneur de l’Europe » en accueillant des bateaux des ONG. Depuis que ces louanges ont été déclamées, quelques événements viennent en tempérer l’enthousiasme. Des événements curieusement passés sous silence dans les médias français.
Côté pile : l’honneur sauvé de l’Europe
Le 11 juin, selon L’Humanité, « seule l’Espagne a sauvé l’honneur : en annonçant sa volonté d’offrir un point de chute aux 629 migrants (de l’Aquarius NDLR) condamnés à l’errance ».
Le 12 juin, Libération est à l’unisson : « c’est finalement le nouveau gouvernement socialiste espagnol qui a sauvé l’honneur ».
Le 19 juin, dans L’Express, le journaliste qui interviewe Bernard Kouchner affirme : « Les Espagnols ont finalement accueilli les passagers de l’Aquarius. Ils ont, in extremis, sauvé l’honneur de l’Europe ! »
Des éléments de langage qui sont aussi repris dans Le Figaro par Anne Hidalgo le 29 juin : « La maire socialiste de Paris Anne Hidalgo, qui recevait aujourd’hui le Premier ministre espagnol Pedro Sanchez à l’Hôtel de Ville, a estimé qu’il avait “sauvé l’honneur de l’Europe” en recevant l’Aquarius, le bateau humanitaire chargé de migrants ».
Le 14 août, Le Progrès et Le Dauphiné donnent la parole à l’ancien ministre communiste, Claude Gayssot, qui rappelle que « la dernière fois, il a fallu attendre des jours pour que l’Espagne sauve l’honneur de l’Europe ».
Médiapart estime le 7 septembre 2018 que « le chef du gouvernement espagnol Pedro Sánchez avait en quelque sorte sauvé l’honneur de l’Europe en accueillant dans le port de Valence l’Aquarius et les 629 migrants à son bord ».
Côté face : l’Espagne pays de transit et non de destination des migrants
Face à un tel concert de louanges, l’affaire semblerait entendue. Néanmoins, en recoupant certaines informations, « l’honneur sauvé » de l’Europe par l’Espagne n’est pas aussi idyllique qu’il n’y parait. Après l’accostage des bateaux des ONG, l’Espagne se montre-t-elle clémente vis-à-vis des demandeurs d’asile ?
L’Express nous informe le 31 octobre que « tous n’ont qu’un objectif, rejoindre la France ». « Parce qu’il est plus difficile de travailler dans la péninsule ibérique, où le taux de chômage reste de 15 %. Parce qu’enfin ceux qui envisagent de demander l’asile ont intérêt à effectuer les démarches en France, où 40 575 protections ont été accordées en 2017, plutôt qu’en Espagne (4 700 statuts délivrés) ». Le quotidien El Diario nous apporte quelques informations supplémentaires à ce sujet : en Espagne, les délais de traitement sont longs, les crédits insuffisants et les obstacles à l’accès à l’asile nombreux, selon la Commission espagnole d’aide aux réfugiés.
Les navettes semblent aller bon train entre l’Espagne et le France :
Le 22 octobre, Le Figaro nous apprend que selon un policier français, les personnes que son équipe vient d’interpeller à la frontière franco-espagnole sont maliennes, guinéennes et marocaines. « Les associatifs côté espagnol font miroiter aux migrants que la France va les accueillir. Ils leur donnent 70 euros, et un billet de train ».
Le 26 août, le quotidien anglais The Daily Telgraph consacre un article sur « l’Espagne (qui est) accusée de pousser les migrants vers le nord ».
Le 13 janvier 2019, le quotidien allemand Die Welt développe ces informations : « le gouvernement (espagnol NDLR) s’affranchit des règles sur lesquelles l’Europe s’est mise d’accord. Car, dans les bus (affrétés pour transporter les migrants du sud vers le nord de l’Espagne, NDLR), se trouvent des douzaines de personnes qui ont atteint peu de jours auparavant le continent européen. C’est l’Espagne qui serait compétente pour les procédures d’asile. Mais, en cette soirée du 5 janvier, l’un des deux bus fait le trajet de l’Andalousie à Barcelone, l’autre va à Bilbao. Ces deux villes sont situées au nord du pays, la France est toute proche. L’Allemagne n’est qu’un peu plus loin. (…). L’État encourage les migrants à quitter la péninsule ibérique pour aller vers le nord. (…). D’où les bus, payés par le gouvernement, comme Madrid l’a confirmé en réponse à notre demande ». (Traduction Fdesouche).
Quelques jours plus tard, le journal allemand fait état du débat politique suscité en Allemagne par ces pratiques controversées.
A ce jour, pas un mot dans les médias français sur ce sujet. On attend avec impatience que les nombreuses rubriques de vérification de faits (Checknews de Libération, Factuel de l’AFP, Decodex (financé par Google) du Monde, etc.) s’en emparent et tempèrent la théorie de « l’honneur sauvé de l’Europe » par l’Espagne. On risque d’attendre longtemps.