Souvenons-nous. Il y a quelques mois, le retour des djihadistes français incarcérés en Syrie et en Irak était exclu. Le Ministre des affaires étrangères parlait d’ennemis de la nation qui devaient affronter la justice dans ces pays. E. Macron évoquait tout au plus le retour au cas par cas de femmes et d’enfants. La doctrine du gouvernement français a radicalement changé ces derniers jours. Ce revirement suscite étonnamment peu de controverses dans plusieurs médias, comme le démontre la revue de presse d’articles du 30 janvier 2019.
Éléments de contexte
Plusieurs journaux donnent des éléments de contexte à la nouvelle doctrine du gouvernement français.
Le site d’information Kurdistan 24 indique que « le risque existe que les djihadistes s’enfuient, soient échangés contre des officiers des forces kurdes par l’Etat islamique ou donnés à Assad ». L’article souligne que si l’annonce du gouvernement français se confirmait, la France serait le premier pays européens à rapatrier des citoyens de cette zone.
Le Parisien évoque factuellement — et sans en présenter les enjeux — le plan français pour rapatrier les djihadistes français. C’est l’annonce du retrait des troupes américaines des zones défendues par les Forces démocratiques syriennes qui remettrait en cause le « status quo ». La France « doit se résoudre à un changement de doctrine ». L’article présente le plan envisagé par la France, qui comporterait quatre étapes : l’expulsion de 110 personnes de Syrie, l’arrivée en France, les interrogatoires, la prison.
L’Express évoque le rapatriement des djihadistes français en insistant sur le fait que parmi eux, il y a « une majorité d’enfants » (séquence lacrymale).
L’Obs donne la parole au ministre de l’Intérieur Christophe Castaner, qui « a affiché sa fermeté indiquant que “tous ceux qui rentreront en France seront judiciarisés et confiés aux juges” : “Lorsque le juge estimera qu’il faudra les mettre en prison – et ce sera l’essentiel des cas – ils seront mis en prison.” ».
Le New York Times évoque la préparation par la France du retour des djihadistes. Parmi les craintes du gouvernement français, le journal évoque la possibilité que les djihadistes français tombent entre les mains du gouvernement syrien en cas d’accord de paix entre les forces kurdes et le gouvernement de Damas.
Le compte à rebours est lancé
Le retrait des troupes américaines de Syrie et le risque d’une instabilité dans la région sont évoqués pour parler de l’urgence de rapatrier les djihadistes français.
Le Monde estime ainsi que « le temps est compté. Alors que l’organisation État islamique est en déroute, la Turquie menace les territoires sous contrôle kurde et la poussée des forces du régime syrien vers le nord et l’est du pays n’est plus qu’une question de mois, si ce n’est de semaines ».
Sur TF1, Georges Bernier évoque une « course contre la montre pour incarcérer au plus vite ces djihadistes, car leur évasion de Syrie serait une catastrophe ».
Les différents articles présentent le sujet dans une démonstration qui se veut imparable :
- La Syrie est déstabilisée en raison du départ progressif des américains.
- L’avancée de l’armée syrienne et l’armée turque menacent la détention par les autorités kurdes d’une centaine de djihadistes français.
- Les djihadistes pourraient à cette occasion être libérés, échangés ou s’enfuir et venir en France commettre de nouvelles exactions.
- Le rapatriement des djihadistes français est le meilleur moyen d’assurer la sécurité de la France. CQFD.
Plusieurs éléments sont absents des articles étayant cette démonstration :
- La possibilité pour les autorités kurdes de continuer à garder les djihadistes français. La France serait le premier pays européen à rapatrier des djihadistes. Pourquoi les autres pays européens ne le font-ils pas ? On ne trouve pas de réponse à cette question.
- La possibilité de confier les djihadistes au pays où ils ont commis leurs exactions, la Syrie. C’est ce que préconise Xavier Moreau, un expert en relations internationales, dans Sputnik International le 30 janvier. « Pour protéger la France, il faut laisser Damas juger les djihadistes, car ils ont commis les crimes en Syrie. La question est que la France ne veut pas reconnaitre avoir perdu la guerre contre la Syrie ». Au prix de la sécurité des Français ?
- La difficulté à réunir en France des preuves des exactions commises par les djihadistes en Syrie pour les juger et les condamner. Une difficulté que soulève Xavier Moreau dans son interview.
- La possibilité conséquente que certains djihadistes ne puissent être condamnés en France, faute de preuves suffisantes, et doivent être relâchés dans la nature.
- La possibilité de déchoir les djihadistes de leur nationalité, comme le préconisait C. Castaner en 2016 avant de considérer en 2019 que les djihadistes sont « Français avant d’être djihadistes ».
Sur le sujet du retour des djihadistes français, plusieurs titres du « quatrième pouvoir » semblent reprendre à leur compte sans beaucoup de recul l’argumentaire des autorités françaises. Alors que celui-ci comporte de nombreux aléas, comme on peut le voir…