Le 8 février, l’OJIM a consacré un article à la couverture médiatique du changement de doctrine du gouvernement concernant le retour de Syrie de djihadistes français. Il nous a paru utile d’y revenir plus en détail, en mettant à jour la couverture médiatique du plan de communication du gouvernement et en rappelant certains enjeux de ce retour de djihadistes passés sous silence par les médias de grand chemin.
Le plan communication du gouvernement
Le retrait des troupes américaines de Syrie et la volonté des kurdes de consacrer plus de moyens à leur défense, plutôt qu’à la garde de prisonniers, amènent des gouvernements de pays occidentaux à s’interroger sur le sort de leurs ressortissants partis rejoindre l’Etat islamique.
La France semble en pointe dans la définition d’une nouvelle stratégie, qui consisterait dans le rapatriement de français – hommes, femmes et enfants – ayant « séjourné » et/ou combattu dans les rangs de l’Etat islamique en Syrie.
Compte tenu de l’inquiétude que peut créer ce rapatriement et des exactions commises en France par les frères d’armes de ces djihadistes (Charlie hebdo, Bataclan, Nice, etc.), le gouvernement a déployé un plan de communication visant à rassurer les français. Il est vrai qu’il opère un changement à 90° de sa doctrine, le retour « administré » de djihadistes étant jusqu’à maintenant totalement exclu.
Ce plan de communication comporte 3 argumentaires complémentaires amplement repris et explicités par les médias de grand chemin :
- Le rapatriement des djihadistes français est la meilleure solution pour garantir la sécurité des français.
- Parmi les français qui doivent être rapatriés de Syrie, la grande majorité sont des femmes et des enfants.
- Le gouvernement a mis en place un plan pour éviter que les djihadistes rapatriés commettent des exactions en France.
« Le rapatriement des djihadistes français est la meilleure solution »
Plusieurs titres de presse reprennent la position du Président de la République, présentée par France Info : « il vaut mieux ramener tout le monde afin d’éviter qu’ils ne rentrent en France clandestinement ». La ministre de la justice est en pointe dans la pédagogie de cette position et l’expose dans la presse :
Dans une interview à La Dépêche, elle déclare : « notre priorité, c’est d’éviter la dispersion des djihadistes ». La ministre assure que le système carcéral français peut prendre en charge les individus particulièrement dangereux.
Challenges nous informe factuellement que « Paris confirme sa préférence pour le rapatriement des djihadistes français » et reproduit les propos rassurants de la ministre.
L’option du retour des djihadistes rencontre un écho favorable dans plusieurs titres de presse :
Un journaliste du Monde estime le 14 février qu’avec le rapatriement des djihadistes français, le gouvernement sera « tenu malgré lui d’appliquer le droit en matière de lutte contre le terrorisme ». « Le gouvernement trouve là, par le traitement judiciaire de ces djihadistes, le moyen de mieux protéger notre démocratie et de mettre fin à sa politique de l’autruche ».
Le Figaro vox donne la parole au président du Centre d’analyse du terrorisme qui assène un argument d’autorité: « il s’agit de la seule manière de s’assurer que ces combattants islamistes soient réellement neutralisés et répondent de leurs actes ».
Le JDD est catégorique et nous explique « pourquoi laisser les djihadistes français en Syrie serait une mauvaise idée ».
« En grande majorité, les futurs rapatriés sont des femmes et des enfants »
Parmi les 130 français qui pourraient être rapatriés de Syrie, il y a des femmes et des enfants. Cette information est amplement développée par de nombreux médias. Elle aboutit à minimiser la dangerosité des ressortissants français qui seraient rapatriés :
« Ce sont principalement des femmes et des enfants » rassure Belloubet » (la ministre de la justice), nous apprend RT France. L’information est largement reprise, par 20 Minutes, Le Point, France Info, RTL, etc.
Comme pour mieux appuyer le caractère inoffensif de certains futurs rapatriés, la parole est donnée aux proches de français partis rejoindre l’Etat islamique. Ce sont avant tout les liens familiaux qui sont mis en avant. La motivation du départ en Syrie, le radicalisme religieux, la volonté de combattre les « mécréants » passent en arrière-plan, voire sont carrément passés sous silence :
Le quotidien gratuit 20 Minutes donne la parole à un grand-père d’un enfant d’un djihadiste français parti en Syrie : « Est-ce qu’on pourra voir notre petit fils ?
« Un père attend le retour de son fils djihadiste » pour qu’il soit jugé en France nous informe L’Express. On apprend qu’il a peut-être été un propagandiste de l’État Islamique.
France 3 consacre un reportage à « l’appel à l’aide » de familles de djihadistes et donne l’exemple d’une jeune femme qui serait partie contre son gré en Syrie. Sont-ils tous dans ce cas ? Le doute continue de planer…
« La France a un plan pour rapatrier les djihadistes et éviter qu’ils commettent des exactions en France »
Ce plan censé sécuriser le retour des djihadistes est présenté en deux temps dans les médias : c’est d’abord la prise en charge en France qui est dévoilée, puis l’aide que pourraient apporter les Etats Unis à leur rapatriement. Dans les articles qui présentent ces deux étapes, on ne trouve aucune réserve ni opinion : le message du gouvernement est relayé in extenso.
Dans Le Parisien, on apprend « comment Paris prépare le retour des djihadistes », tout comme sur BFMTV. Un retour qui serait sous contrôle, des poursuites judiciaires seraient engagées dès leur arrivée en France.
Puis on apprend par France Info, LCI, Actu orange, etc. que les américains « ont une expérience dans le domaine » et pourraient aider la France au rapatriement par avion des djihadistes. Presque rassurant, non ?
Les enjeux du retour de djihadistes passés sous silence
Il faut consulter des articles de presse déjà anciens pour trouver des éléments de contexte importants, passés sous silence dans la présentation actuelle par nombre de médias du plan de rapatriement des ressortissants français en Syrie. Pourtant, ces informations pourraient être utilement prises en compte pour susciter un débat sur l’option retenue :
- L’impossibilité matérielle de la surveillance effective de tous les radicaux fichés S. Le Midi libre nous informait le 29 juillet 2016 que « face à la multiplication du nombre de fiches S, la tâche s’avère compliquée pour les services de renseignement. Manque de moyens humains, difficulté de détecter une action imminente, invoquent les experts ». C’était en 2016…
- Des femmes et des enfants ont également été des combattants de l’Etat islamique. Le journal Marie Claire consacrait en 2016 un reportage aux enfants soldats de Daech tandis que Le Monde enquêtait en mai 2018 sur « les femmes djihadistes ».
- L’échec de la déradicalisation. Marianne nous informait en juillet 2017 que le seul et unique centre de déradicalisation, en Indre et Loire, a été un échec et a fermé. Dans Le Figaro, une sénatrice ayant réalisé un rapport sur le sujet affirmait en février 2017 : « Nous savons que nos programmes sont inutiles pour les djihadistes radicaux de conviction».
- La saturation des prisons. La chaine TV Libertés évoquait en décembre 2018 qu’il y a « plus de 71 000 détenus répartis sur 60 000 places » dans les prisons françaises.
- Alors que le gouvernement ne donne aucune assurance que les djihadistes pourront tous être condamnés, Le Dauphiné Libéré nous apprenait en juin 2018 que la ministre de la justice affirmait qu’ « environ 450 détenus radicalisés sortiront de prison d’ici fin 2019 ». Ainsi, de nombreux « radicalisés » déjà présents sur le territoire (lire « islamistes présumés dangereux») seront prochainement remis en liberté.
Toutes ces informations ne sont pas rappelées par la grande majorité des médias dans la présentation actuelle du plan de rapatriement. Alors que les exactions commises par les djihadistes d’origine française en Syrie auraient pu être utilement rappelés, c’est un véritable plan de communication qu’ils relaient. Ce plan s’appuie sur :
- des ressorts rationnels. Le rapatriement est présenté comme étant organisé par les américains, des « pros » en la matière, il y aura une prise en charge rigoureuse des djihadistes à leur arrivée en France et le déferrement le cas échéant devant les autorités judiciaires,
- la fibre affective. Le fait que parmi les 130 ressortissants prévus au rapatriement, il y a des mineurs et des femmes, est amplement médiatisé, peu importe leur degré d’endoctrinement.
Au final, une information biaisée, lacunaire, partiale par ses omissions. Rendez-vous dans quelques années, ou plus tôt, pour savoir si ce choix est fondé ou s’il est inconscience et mise en danger des Français.