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Les médias dominants : vous reprendrez bien un peu de djihadistes ?

18 février 2019

Temps de lecture : 7 minutes
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Les médias dominants : vous reprendrez bien un peu de djihadistes ?

Temps de lecture : 7 minutes

Le 8 février, l’OJIM a consacré un article à la couverture médiatique du changement de doctrine du gouvernement concernant le retour de Syrie de djihadistes français. Il nous a paru utile d’y revenir plus en détail, en mettant à jour la couverture médiatique du plan de communication du gouvernement et en rappelant certains enjeux de ce retour de djihadistes passés sous silence par les médias de grand chemin.

Le plan communication du gouvernement

Le retrait des troupes améri­caines de Syrie et la volon­té des kur­des de con­sacr­er plus de moyens à leur défense, plutôt qu’à la garde de pris­on­niers, amè­nent des gou­verne­ments de pays occi­den­taux à s’interroger sur le sort de leurs ressor­tis­sants par­tis rejoin­dre l’Etat islamique.

La France sem­ble en pointe dans la déf­i­ni­tion d’une nou­velle stratégie, qui con­sis­terait dans le rap­a­triement de français – hommes, femmes et enfants – ayant « séjourné » et/ou com­bat­tu dans les rangs de l’Etat islamique en Syrie.

Compte tenu de l’inquiétude que peut créer ce rap­a­triement et des exac­tions com­mis­es en France par les frères d’armes de ces dji­hadistes (Char­lie heb­do, Bat­a­clan, Nice, etc.), le gou­verne­ment a déployé un plan de com­mu­ni­ca­tion visant à ras­sur­er les français. Il est vrai qu’il opère un change­ment à 90° de sa doc­trine, le retour « admin­istré » de dji­hadistes étant jusqu’à main­tenant totale­ment exclu.

Ce plan de com­mu­ni­ca­tion com­porte 3 argu­men­taires com­plé­men­taires ample­ment repris et explic­ités par les médias de grand chemin :

  • Le rap­a­triement des dji­hadistes français est la meilleure solu­tion pour garan­tir la sécu­rité des français.
  • Par­mi les français qui doivent être rap­a­triés de Syrie, la grande majorité sont des femmes et des enfants.
  • Le gou­verne­ment a mis en place un plan pour éviter que les dji­hadistes rap­a­triés com­met­tent des exac­tions en France.

« Le rapatriement des djihadistes français est la meilleure solution »

Plusieurs titres de presse repren­nent la posi­tion du Prési­dent de la République, présen­tée par France Info : « il vaut mieux ramen­er tout le monde afin d’éviter qu’ils ne ren­trent en France clan­des­tine­ment ». La min­istre de la jus­tice est en pointe dans la péd­a­gogie de cette posi­tion et l’expose dans la presse :

Dans une inter­view à La Dépêche, elle déclare : « notre pri­or­ité, c’est d’éviter la dis­per­sion des dji­hadistes ». La min­istre assure que le sys­tème car­céral français peut pren­dre en charge les indi­vidus par­ti­c­ulière­ment dangereux.

Chal­lenges nous informe factuelle­ment que « Paris con­firme sa préférence pour le rap­a­triement des dji­hadistes français » et repro­duit les pro­pos ras­sur­ants de la min­istre.

L’option du retour des dji­hadistes ren­con­tre un écho favor­able dans plusieurs titres de presse :

Un jour­nal­iste du Monde estime le 14 févri­er qu’avec le rap­a­triement des dji­hadistes français, le gou­verne­ment sera « tenu mal­gré lui d’appliquer le droit en matière de lutte con­tre le ter­ror­isme ». « Le gou­verne­ment trou­ve là, par le traite­ment judi­ci­aire de ces dji­hadistes, le moyen de mieux pro­téger notre démoc­ra­tie et de met­tre fin à sa poli­tique de l’autruche ».

Le Figaro vox donne la parole au prési­dent du Cen­tre d’analyse du ter­ror­isme qui assène un argu­ment d’autorité: « il s’ag­it de la seule manière de s’as­sur­er que ces com­bat­tants islamistes soient réelle­ment neu­tral­isés et répon­dent de leurs actes ».

Le JDD est caté­gorique et nous explique « pourquoi laiss­er les dji­hadistes français en Syrie serait une mau­vaise idée ».

« En grande majorité, les futurs rapatriés sont des femmes et des enfants »

Par­mi les 130 français qui pour­raient être rap­a­triés de Syrie, il y a des femmes et des enfants. Cette infor­ma­tion est ample­ment dévelop­pée par de nom­breux médias. Elle aboutit à min­imiser la dan­gerosité des ressor­tis­sants français qui seraient rapatriés :

« Ce sont prin­ci­pale­ment des femmes et des enfants » ras­sure Bel­lou­bet » (la min­istre de la jus­tice), nous apprend RT France. L’information est large­ment reprise, par 20 Min­utes, Le Point, France Info, RTL, etc.

Comme pour mieux appuy­er le car­ac­tère inof­fen­sif de cer­tains futurs rap­a­triés, la parole est don­née aux proches de français par­tis rejoin­dre l’Etat islamique. Ce sont avant tout les liens famil­i­aux qui sont mis en avant. La moti­va­tion du départ en Syrie, le rad­i­cal­isme religieux, la volon­té de com­bat­tre les « mécréants » passent en arrière-plan, voire sont car­ré­ment passés sous silence :

Le quo­ti­di­en gra­tu­it 20 Min­utes donne la parole à un grand-père d’un enfant d’un dji­hadiste français par­ti en Syrie : « Est-ce qu’on pour­ra voir notre petit fils ?

« Un père attend le retour de son fils dji­hadiste » pour qu’il soit jugé en France nous informe L’Express. On apprend qu’il a peut-être été un pro­pa­gan­diste de l’État Islamique.

France 3 con­sacre un reportage à « l’appel à l’aide » de familles de dji­hadistes et donne l’exemple d’une jeune femme qui serait par­tie con­tre son gré en Syrie. Sont-ils tous dans ce cas ? Le doute con­tin­ue de planer…

« La France a un plan pour rapatrier les djihadistes et éviter qu’ils commettent des exactions en France »

Ce plan cen­sé sécuris­er le retour des dji­hadistes est présen­té en deux temps dans les médias : c’est d’abord la prise en charge en France qui est dévoilée, puis l’aide que pour­raient apporter les Etats Unis à leur rap­a­triement. Dans les arti­cles qui présen­tent ces deux étapes, on ne trou­ve aucune réserve ni opin­ion : le mes­sage du gou­verne­ment est relayé in extenso.

Dans Le Parisien, on apprend « com­ment Paris pré­pare le retour des dji­hadistes », tout comme sur BFMTV. Un retour qui serait sous con­trôle, des pour­suites judi­ci­aires seraient engagées dès leur arrivée en France.

Puis on apprend par France Info, LCI, Actu orange, etc. que les améri­cains « ont une expéri­ence dans le domaine » et pour­raient aider la France au rap­a­triement par avion des dji­hadistes. Presque ras­sur­ant, non ?

Les enjeux du retour de dji­hadistes passés sous silence

Il faut con­sul­ter des arti­cles de presse déjà anciens pour trou­ver des élé­ments de con­texte impor­tants, passés sous silence dans la présen­ta­tion actuelle par nom­bre de médias du plan de rap­a­triement des ressor­tis­sants français en Syrie. Pour­tant, ces infor­ma­tions pour­raient être utile­ment pris­es en compte pour sus­citer un débat sur l’option retenue :

  • L’impossibilité matérielle de la sur­veil­lance effec­tive de tous les rad­i­caux fichés S. Le Midi libre nous infor­mait le 29 juil­let 2016 que « face à la mul­ti­pli­ca­tion du nom­bre de fich­es S, la tâche s’avère com­pliquée pour les ser­vices de ren­seigne­ment. Manque de moyens humains, dif­fi­culté de détecter une action immi­nente, invo­quent les experts ». C’était en 2016…
  • Des femmes et des enfants ont égale­ment été des com­bat­tants de l’Etat islamique. Le jour­nal Marie Claire con­sacrait en 2016 un reportage aux enfants sol­dats de Daech tan­dis que Le Monde enquê­tait en mai 2018 sur « les femmes dji­hadistes ».
  • L’échec de la dérad­i­cal­i­sa­tion. Mar­i­anne nous infor­mait en juil­let 2017 que le seul et unique cen­tre de dérad­i­cal­i­sa­tion, en Indre et Loire, a été un échec et a fer­mé. Dans Le Figaro, une séna­trice ayant réal­isé un rap­port sur le sujet affir­mait en févri­er 2017 : « Nous savons que nos pro­grammes sont inutiles pour les dji­hadistes rad­i­caux de con­vic­tion».
  • La sat­u­ra­tion des pris­ons. La chaine TV Lib­ertés évo­quait en décem­bre 2018 qu’il y a « plus de 71 000 détenus répar­tis sur 60 000 places » dans les pris­ons françaises.
  • Alors que le gou­verne­ment ne donne aucune assur­ance que les dji­hadistes pour­ront tous être con­damnés, Le Dauphiné Libéré nous appre­nait en juin 2018 que la min­istre de la jus­tice affir­mait qu’ « env­i­ron 450 détenus rad­i­cal­isés sor­tiront de prison d’ici fin 2019 ». Ain­si, de nom­breux « rad­i­cal­isés » déjà présents sur le ter­ri­toire (lire « islamistes pré­sumés dan­gereux») seront prochaine­ment remis en liberté.

Toutes ces infor­ma­tions ne sont pas rap­pelées par la grande majorité des médias dans la présen­ta­tion actuelle du plan de rap­a­triement. Alors que les exac­tions com­mis­es par les dji­hadistes d’origine française en Syrie auraient pu être utile­ment rap­pelés, c’est un véri­ta­ble plan de com­mu­ni­ca­tion qu’ils relaient. Ce plan s’appuie sur :

  1. des ressorts rationnels. Le rap­a­triement est présen­té comme étant organ­isé par les améri­cains, des « pros » en la matière, il y aura une prise en charge rigoureuse des dji­hadistes à leur arrivée en France et le défer­re­ment le cas échéant devant les autorités judiciaires,
  2. la fibre affec­tive. Le fait que par­mi les 130 ressor­tis­sants prévus au rap­a­triement, il y a des mineurs et des femmes, est ample­ment médi­atisé, peu importe leur degré d’endoctrinement.

Au final, une infor­ma­tion biaisée, lacu­naire, par­tiale par ses omis­sions. Ren­dez-vous dans quelques années, ou plus tôt, pour savoir si ce choix est fondé ou s’il est incon­science et mise en dan­ger des Français.

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