Première diffusion le 15/03/2019
Autant le préciser d’emblée, le politiquement correct, qui distingue ce qu’il convient de dire et de ne pas dire, n’est pas une nouveauté dans la vie intellectuelle française. Depuis longtemps, les convictions de certains faiseurs d’opinion ont été le support d’un climat d’intimidation. Loin de disparaitre, un nouveau « discours intimidant » a fait son apparition dans certaines universités, dont les médias sont à la fois le témoin plus ou moins engagé et l’amplificateur. Nous en avons fait une revue de presse commentée.
Qu’est-ce que le politiquement correct ?
Dans une tribune parue en août 2017 dans Slate, Florian Bardou estimait que « le politiquement correct permet d’interroger constamment le sens et le bien fondé du vocabulaire employé pour désigner les minorités ou de leur représentation ». Le sociologue Mathieu Bock-Coté en donnait en juin 2018 dans Le Figaro une définition sévère et plus large : « le politiquement correct est un dispositif inhibiteur installé au cœur de l’espace public qui a pour objectif de refouler dans ses marges ceux qui affichent leur dissidence ».
Initialement destiné à n’offenser ni dénigrer aucune minorité, le « politiquement correct » est devenu une expression utilisée pour qualifier ce qu’il est possible de dire et d’écrire au regard de normes « morales ». Une façon de penser et de s’exprimer souvent si chère aux médias de grand chemin.
Quand le politiquement correct utilise un discours intimidant
Pris dans son sens large, le politiquement correct vise à écarter du cercle de la normalité ceux qui s’en éloignent. Il sévit à l’université comme dans le reste de la société. Les médias sont parfois utilisés pour condamner et disqualifier plutôt que débattre. Les différentes controverses que nous présentons en témoignent.
L’écrivain Kamel Daoud en a fait les frais, à l’occasion de son interprétation des violences sexuelles commises fin 2015 par des migrants à Cologne. Rompant avec le consensus ambiant, celui-ci a dans une tribune parue dans le quotidien italien La Repubblica, puis en février 2016 dans le journal Le Monde pointé les causes culturelles des violences sexuelles commises par des migrants lors du passage au nouvel an à Cologne. Il s’interrogeait également sur l’absence de valeurs communes des migrants ayant commis ces actes avec celles des européens. La réaction de plusieurs universitaires ne s’est pas fait attendre : dans l’édition du 11 février 2016 du Monde, un collectif d’universitaires et d’intellectuels s’en prend aux « fantasmes de Kamel Daoud » et le qualifie d’islamophobe.
Commentant cette tribune, l’écrivain soulignait dans Marianne que « le verdict d’islamophobie sert aujourd’hui d’inquisition ». « Nous vivons désormais une époque de sommations. Si on n’est pas d’un côté, on est de l’autre ».
Le 9 octobre 2018, c’est l’auteur du livre « la ruée vers l’Europe », Stephen Smith, qui est sous les feux de la critique. Alors que celui-ci souhaitait débattre avec le démographe François Héran sur les périls migratoires et démographiques auxquels l’Europe est confrontée, la tribune publiée par celui-ci dans Libération le disqualifie dès son titre : « La « ruée » d’Africains vers l’Europe, une thèse sans valeur scientifique ».
Ce qui lui est reproché : ne pas avoir présenté à une revue scientifique dont le comité de rédaction est composé d’universitaires « une contre-analyse fondée sur de meilleures données ou une meilleure méthode. C’est la règle dans nos disciplines ». Crime de lèse-majesté, Stephen Smith a préféré « s’exprimer dans les colonnes du Figaro ». Le plus grave serait selon François Héran, le démographe préféré de France culture, que « ces prédictions (nourrissent) le fantasme de l’envahissement du Nord par le Sud ». On le voit, ne pas souscrire au mythe de l’ouverture heureuse des frontières, c’est s’exposer à une disqualification médiatique expresse.
Le 14 octobre 2018, trois universitaires s’interrogent gravement dans une tribune parue dans Libération : « Peut-on débattre avec Christophe Guilluy ? ». S’il est tout à fait légitime d’être en désaccord avec les thèses du géographe, les reproches qui sont fait à S. Guilluy ne concernent pas exclusivement les thèmes de ses livres. Ses détracteurs affirment : « Il invite à ne pas écouter «les médias » et « le monde académique ». Il n’aurait également pas une démarche scientifique rigoureuse. Les universitaires reprennent à leur compte l’accusation d’un autre géographe, Pierre Levy, qui a affirmé lors d’une émission sur France culture : « «Je ne veux pas dire qu’il (S. Guilluy NDLR) serait mandaté par le RN. Mais sa vision de la France et de la société correspond à celle de l’électorat du parti ». Pour paraphraser Mathieu Bock-Côté, en associant Christophe Guilluy à l’électorat du Rassemblement national, celui-ci est selon ces censeurs disqualifié et refoulé dans les marges du débat universitaire. Nous avions analysé cet article le 22 octobre 2018.
Le 13 novembre 2018, un professeur d’université devait intervenir à l’université Jean-Jaurès de Toulouse dans le cadre de la préparation à l’agrégation. Sous la pression d’un collectif LGBT, son intervention a été annulée. La raison ? La Dépêche nous informe que sa « venue (est) perçue comme un affront par les étudiants LGBT de l’université », « Ils reprochent en effet à ce spécialiste de la pensée de Hegel d’avoir participé en tant que conférencier à la troisième université d’été de la Manif pour tous en 2015 ».
Le point commun entre ces quatre « affaires » : les médias servent de tribune à une disqualification en règle. Les motifs sont variés : islamophobie, vision catastrophiste, proximité à un parti jugé non fréquentable, proximité à la manif pour tous.
Le politiquement correct à l’assaut du mâle blanc hétérosexuel
Le politiquement correct concerne aussi la « défense » des minorités raciales et sexuelles. Il y a quelques mois, l’OJIM consacrait un article au « mâle blanc », qui n’a pas bonne presse ces derniers temps. Le « décolonialisme », en lutte contre le « racisme systémique », et les mouvements « intersectionnels », destinés à défendre ceux qui subissent « plusieurs dominations » sont en plein essor à l’université. C’est encore et toujours le mâle blanc qui est coupable de tous les maux. On ne compte plus les articles de presse relatant sans s’offusquer les réunions et camps d’été « non mixtes » (traduire : interdits aux blancs), dans Slate, le Monde, Libération etc.
Dernier avatar de ces théories victimaires, Le Figaro nous informe le 1er février 2019 qu’un professeur de l’université de Toulouse a été écarté de son laboratoire fin novembre, « après avoir dénoncé l’influence des théories décoloniales dans son université ». Il s’agit une nouvelle fois de culpabiliser ceux qui bénéficieraient de privilèges indus et font preuve – souvent sans le savoir — d’oppression et ont un discours « de domination » à l’égard des minorités.
Un début de résistance au politiquement correct
Cette progression des idées « décoloniales » et « intersectionnelles » à l’université et dans la société provoque un début de réactions dans certains médias dominants. Parmi celles-ci :
Le 28 novembre 2018, 80 intellectuels dénoncent dans un appel paru dans Le Point « le « décolonialisme », une stratégie hégémonique ». L’appel énumère les nombreuses tentatives de mises à l’écart d’historiens, de philosophes, de politistes, de sociologues, d’économistes, de géographes, de démographes, d’écrivains, d’essayistes et de spécialistes de littérature et de théâtre ! La liste est impressionnante.
Le 13 décembre 2018 dans Le Figaro, Alexandre Devecchio interviewe l’universitaire Laurent Bouvet, que l’on ne peut pas qualifier d’intellectuel conservateur. Il estime qu’avec la montée en puissance des théories décoloniales, on peut parler « d’une forme de maccarthysme intellectuel » au sein de certains milieux universitaires.
Le 21 décembre 2018, Eugénie Bastié consacre dans le Figaro un article à « ces intellectuels victimes du politiquement correct ». La journaliste identifie le point commun de ces « disgrâces », « avoir touché à la thématique identitaire — dans un sens n’allant pas vers celui d’un multiculturalisme heureux ». Elle démonte également le travail de déconstruction qui est à l’œuvre.
Dans l’édition du 1er février 2019 de Marianne, un universitaire, Manuel Moucher, dénonce « cette gauche devenue malade la race ». « Au nom d’un réflexe mémoriel culpabilisateur, les minorités (raciales ou sexuelles) sont devenues les damnés de la terre. Ce courant de pensée se répand comme une trainée de poudre dans le milieu universitaire et dans l’intelligentsia de gauche ».
Le 1er mars, c’est le philosophe Matthew Crawford qui développe dans Le Figaro la thèse selon laquelle « la lutte contre le mâle blanc hétérosexuel (est devenue) le ciment du progressisme ». On constate à la lecture de son interview qu’aux Etats Unis également, le mâle blanc hétérosexuel est responsable de tous les maux et qu’il y a à gauche une concurrence effrénée dans la victimisation.
Le point commun à toutes ces controverses qui ont dépassé les portes de l’université pour s’exposer dans les médias ? Elles révèlent le conformisme d’une partie du monde universitaire, entretenu par le système de cooptation des enseignants et le rôle pivot des « mandarins ». Elles mettent aussi en lumière le fait que le débat d’idée laisse souvent place à l’anathème. Une illustration s’il en fallait, du discours intimidant décrit par Laurent Fidés dans un récent livre : « un discours culpabilisant, qui diabolise, criminalise, anathémise, déshonore toute pensée non-conforme en la désignant comme fasciste, négationniste, monstrueuse et pathologique ». Ce qui amène à s’interroger sur qui sont ceux qui font effectivement preuve de l’intolérance tant reprochée. Pendant ce temps, dans les médias, on compte les points.