Première diffusion le 15/04/2019
Un média d’État décide de consacrer une série de reportages à des infox supposées emblématiques de la manipulation de l’information, cela interpelle. Et traduit une évolution dangereuse : nous sommes passés d’une époque où Serge Halimi dénonçait justement les médias comme des chiens de garde à une époque où ces derniers prétendent définir ce qui est le vrai. La série de France 5 ne manque pas d’y contribuer. La « fabrique du mensonge » vue par les fabricants quotidiens d’informations au minimum très orientées, épisode 1, diffusée le 31 mars 2019.
Infox, le nouveau nom de la vieille propagande
Les infox, ce sont toujours celles des autres, bien entendu. Pour l’heure, France 5 ne se préoccupe plus de la manière dont l’annulation du référendum de 2005 a été vendue aux Français par les médias, ne rappelle pas non plus ce que furent des infox comme Timisoara, les exactions serbes au Kosovo, les armes de destruction massives présentées à l’ONU par un secrétaire d’État américain, la propagande pour le tabac, l’affaire Théo ou encore les retombées de l’accident nucléaire de Tchernobyl qui furent stoppées à la frontière de l’est. Aucun effort n’est fait pour revenir aux sources de la notion d’infox.
L’infox, sans cesse présentée comme un phénomène nouveau, en particulier dès le générique de la série de France 5, qui oppose clairement la figure du méchant Poutine à celle du gentil Macron, est en réalité une chose très ancienne, entre propagande et fausses informations. Déjà, en 1914, l’on affirmait que les balles allemandes ne tuaient pas… Non seulement, ces infox ont constamment existé mais elles ont été et sont en premier lieu le fait de cette même presse qui prétend les dénoncer. Un exemple de plus : durant plus de deux ans, les médias français et européistes de l’UE ont sans cesse laissé entendre que Donald Trump était une marionnette russe. Une fois ce soupçon, souvent présenté comme une certitude, retombé comme un soufflé, qu’arriva-t-il ? Une brève dépêche pour le signaler, et puis plus rien. Quel média officiel aurait le courage de mener une enquête approfondie sur la façon dont les dénonciateurs de fake news, dont France 5, ont contribué à la propagation de celle-ci, y compris sur les réseaux sociaux. Aucun, évidemment. Pour ce faire, il faudrait qu’ils cessent d’être des médias à sens unique.
Le Brexit : référendum, mensonges et réseaux sociaux
Choisir le Brexit comme premier exemple d’une manipulation des foules par des infox qui seraient de nature à contrecarrer la démocratie (au sens où l’entendent les médias officiels), est révélateur. Le Brexit reste en travers de la gorge des tenants de l’idéologie au pouvoir : l’UE, si tu y entres c’est pour l’éternité. D’ailleurs, il y a quelque chose de surprenant à justement ne pas pouvoir aisément quitter une structure : quelles sont ces structures qui ne laissent pas partir leurs membres ou bien font vraiment tout pour les retenir et les humilier ? Des sectes ?
Alors, le Brexit version « La fabrique du mensonge » sur France 5 ? En premier lieu, la dramatisation du ton, de la musique. Ensuite, le résultat du référendum sur le Brexit aurait été hallucinant pour les européens, un séisme. Mais pas vraiment un vote. Présentation de France 5 en introduction du reportage : « Le Brexit, histoire d’une manipulation de l’opinion qui s’est construite sur une fausse information ». Outre le fait de prendre les citoyens britanniques pour des imbéciles heureux déculturés et de mépriser le peuple, ce genre de phrase montre le niveau de construction idéologique auquel ont recours les « chiens de garde » (Serge Halimi) du régime officiel. L’information en question : économiser 350 millions de livres par semaine. Vrai, pas vrai ? Les citoyens ne sont plus capables de faire la part du vrai ? Si tel est le cas, quel est la responsabilité de ces mêmes médias officiels dans cet état de fait : pourquoi ne parviennent-ils pas à éclairer nos consciences ? Peut-être n’est-ce tout simplement pas leur objectif ? En tout cas, le Brexit ? « L’un des plus gros séismes politiques du 21e siècle ». Rien que cela. Au fait, les tenants du « oui » utilisaient les mêmes « ficelles » émotionnelles mais France 5 ne s’intéresse pas à celles-là. C’est que le Brexit, c’est mal. A aucun moment France 5 ne s’interroge sur les raisons profondes qui peuvent pousser les peuples européens à ne plus croire en l’UE. Tout serait dû à la masse des tweets dont 75 % seraient alors « aux mains des partisans du leave ». Une chose oubliée des journalistes : l’immense majorité des européens et des britanniques n’a cure de Twitter, qu’ils n’utilisent pas et dont les buzz ne viennent pas jusqu’à eux. Twitter est un outil des « élites », les populations s’en moquent. Par contre, quand Boris Johnson s’en empare, alors les médias officiels « se saisissent de la fausse information ». Notons que le journaliste qui présente le reportage indique que « les partisans du Brexit mentent éhontément », avec « un regard narquois ». Il s’agit sans aucun doute d’un fait journalistique. Le leave aurait changé les règles politiques en misant sur les émotions… rien de nouveau en réalité.
France 5 diffuse une infox en fin de reportage
Le lendemain de la victoire du camp du leave, « le leader de l’extrême droite, Nigel Farage reconnaît que le chiffre des 350 millions données par le Royaume Uni chaque semaine à l’UE est faux ». Regarder le reportage juste après 19’35 montrera à qui le souhaite que ce n’est absolument pas ce que dit Farage. Il dit qu’il ne peut pas garantir que cet argent ira au système de service social britannique, contrairement à ce que la campagne promettait. Il ne contredit pas le chiffre mais se positionne politiquement face aux autres vainqueurs du Brexit, mieux placés que lui en ce jour de victoire. Ainsi, France 5 propage (volontairement ?) l’infox d’un Farage ayant « reconnu que le chiffre était faux ».
France 5 et sa « fabrique du mensonge », dès cet épisode 1, prétend montrer que des hommes politiques ayant des convictions et visant à gagner un référendum utilisent tous les outils à leur disposition, tant les médias que la technologie ou bien les bus et les tracts. Et… donc ? Les hommes politiques défendus quotidiennement par nos médias officiels ne pratiquent-ils pas la même chose depuis des années ? Au fond, pour France 5, quand les idées qui gagnent sont des idées adverses, il y a eu infox, sinon tout est normal. Cela s’appelle la déontologie à la sauce France 5, un plat de moins en moins goûté semble-t-il.